France-Espagne : le TGV trace son sillon

Ce jour-là, en gare de Montpellier, même la grève de la SNCF, élargit le sourire de satisfaction des habitués de la ligne franco-espagnole. Au moins, avec la Renfe, son homologue espagnole, “pas d’emmerde de ce type…” Le TGV franco-espagnol partira à l’heure pile alors que les haut-parleurs n’auront de cesse de cracher leurs annonces d’annulation de trains français…

Dans quelques heures, en ce 14 décembre, tout ce que la capitale catalane compte d’acteurs économiques se retrouvera dans une magnifique salle d’un musée de Barcelone. Lui aussi tout sourire, Yann Monod, directeur d’Elipsos, filiale commune aux deux pays, annonce qu’il “y a un gros potentiel” entre la capitale de l’ex-Languedoc-Roussillon et la capitale catalane. Mais moins avec Toulouse qui a vu récemment sa liaison directe avec Barcelone être supprimée : celle-ci n’était “remplie qu’à 30%”.

On fête les 20 ans de cette coopération unique dont trois ans en grande vitesse entre la France et l’Espagne. Petits fours et champagne : on y fêtait aussi par anticipation le succès évident de la vente flash qui allait suivre en décembre : 9 000 places à 20 euros vendues en trois jours !

Yann Monod

Cette ligne est un réel succès, dit-il. Depuis 1996, nous avons accueilli près de 10 millions de clients. Nous relions 17 villes en France et en Espagne. En trois ans, nous avons transporté 5,7 millions de voyageurs dont 2,5 clients internationaux entre les deux pays. Rien qu’en 2016, on a transporté 1,9 million de voyageurs dans nos trains dont 850 000 entre France et Espagne. Il y a une réelle appétence un besoin ferroviaire entre les deux pays.” Les objectifs de départ sont-ils atteints ? “Pas tout à Fait, confie Yann Monod. Entre-temps, sont passés par là la crise économique, la douloureuse période d’attentats qui nous a fortement impactés.”

Et la concurrence avec l’avion ?

“Quand on est arrivés, il y avait déjà une offre aérienne. On est arrivés en challenger. Quand on parle de concurrence, il faut prendre en compte le trajet Paris-Barcelone. On peut aussi parler de Lyon et dans une moindre mesure de Marseille où l’on a aussi des concurrents aériens. Notre positionnement est différent. On offre autre chose à nos clients. Une offre directe. Simple.” Il rappelle les avantages du train décuplés entre grandes villes : “On peut accéder au train jusqu’à deux minutes avant le départ. De centre-ville à centre-ville, on peut voyager jusqu’à trois bagages sans suppléments, etc. C’est aussi confortable : sièges larges de la place pour les jambes ; une prise à chaque siège ; c’est du temps utile : pour travailler, dormir, lire, regarder le paysage…”

Sans parler des tarifs compétitifs. Un Perpignan-Barcelone, le moins cher est à 19 euros. “Ce qu’on constate, c’est la proportion de tarifs bas la plus importante sur le trajet.” Selon Yann Monod, on va attendre encore quelques temps pour connaître une amélioration de desserte.

“Notre offre est structurée pour des longues distances. Forcément, on a du mal à proposer pour les gares intermédiaires sur le parcours des horaires tôt le matin ou tard le soir. Pour Perpignan, l’été, on a de vraies opportunités. L’hiver, c’est plus compliqué pour avoir quatre heures sur place à Barcelone. On pense à des améliorations car le marché Interregional nous intéresse et on sent un potentiel. La fin du train de nuit entre Paris en Cerbère il y a quelques jours n’aura qu’un faible impact sur le TGV France-Espagne. Ce n’est pas le même type de clientèle. Il y aura un effet de report Marginal.”

Qui prend ce TGV binational ?

“80% de nos clients voyagent pour des motifs de loisirs et de tourisme. 20% pour affaires. Ceux-là font des parcours courts entre Catalogne et Languedoc-Roussillon ou Midi Pyrénées. 40% des clients sont français et 20% sont espagnols. Il reste 40% qui viennent du reste de l’Europe et/ou du monde : c’est une surprise. Et une bonne surprise, cela nous ouvre une perspective intéressante. Ces clients-là qui font souvent un tour d’Europe utilisent notre train comme un produit touristique. Pourquoi ? Ils ont souvent voyagé 10h, 12h, 15h en avion avant l’Europe et ils n’ont plus envie de prendre un nouvel avion. Ils prennent notre train. Ils viennent rechercher une expérience, celle de la grande vitesse en Europe. Y compris celle des paysages, les plus beaux se situent entre Narbonne et Perpignan, absolument magnifiques.”

Quant à la coopération, “il a fallu apprendre à se connaître. Ça change des trains de nuit. Fallu rapprendre a travailler d’une autre manière. Elle fonctionne bien après des ajustements pour que ça fonctionne bien. Exemple : dans chaque train, on a un contrôleur SNCF et un contrôleur Renfe systématiquement. Il nous a fallu un an pour que chacun trouve sa place (en France et en Espagne, ils ne font pas tout à fait les mêmes choses). Soudés, ils travaillent ensemble sans rupture. ”

Directeur de l’agence catalane de tourisme, Patrick Torrent ne dit pas autre chose. “Nous commençons à développer une expérience touristique pour les marchés lointains, Chine et Singapour en tête, note-t-il, à évoquer la possibilité d’un circuit gastronomique incluant le triangle Lyon, Milan, Barcelone qui accueille par ailleurs chaque année près de cinq millions de Français. Ce n’est pas la fréquentation française qui nous préoccupe mais celle des autres pays !”

Patron du mythique hôtel cinq étoiles le Juan-Carlos, le Français Franck Sibille confirme. “En mars, nous partons en mission en Chine avec 35 entreprises du secteur touristique, tours opérateurs et gros hôteliers pour prospecter…” Pas sûr que les Français gardent longtemps leur première place…

OLIVIER SCHLAMA