Feu de l’Aude : “Revoir le financement des Sdis et prendre en compte la valeur du sauvé”

Feu des Corbières. Ph. Sdis de l'Aude

Il y a quatre semaines tout juste se déclarait un incendie historique dans l’Aude. Déterminée, Hélène Sandragné, présidente du département, demande à l’Etat que les règles de financement évoluent et que les assurances paient davantage. Selon le colonel Christophe Magny, directeur du Sdis 11, la valeur du sauvé sera sans doute très importante. Sachant que 45 000 hectares et 12 villages et plusieurs centaines d’habitations ont été préservés.

Même si ce département est résilient, après plus de 16 000 hectares parcourus par les flammes dont 11 133 brûlés, lors d’un mégafeu malheureusement historique, avec un bilan faisant état d’une personne décédée et de 40 personnes blessées, dont deux grièvement, on est au bord de la rupture.

“Nous allons écrire à Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur. On a géré ce feu dans l’urgence dans un premier temps, rappelle Hélène Sandragné dans son retour d’expérience. Il y a eu le formidable travail des pompiers ; des maires courage qui étaient là pour leurs administrés ; les élans de solidarité… Le département de l’Aude est l’acteur des solidarités humaines. On est intervenu très vite sur le terrain avec des permanences sociales, aidé par Aude Solidarité, l’association qui gère des fonds, des aides immédiates, etc.” Et on est aussi “l’acteur des solidarités territoriales. On a très vite activé celui que l’on avait déjà lancé en 2018 pour l’accompagnement des communes. Avec un guichet unique pour leurs besoins et les demandes de subventions. En lien avec l’Association des maires de l’Aude. On a mobilisé notre agence technique, etc.”

“Le Sdis vient de me présenter la facture du feu : 1,5 M€ pour les quatre feux de cet été !”

Le feu des Corbières cet été. Ph Sdis de l’Aude.

Au-delà de l’urgence, Hélène Sandragné a voulu tirer les conséquences financières du dramatique incendie qui a ravagé les Corbières et attirer l’attention de tous sur “le combat que l’on mène” sur le financement du SDIS, Service départemental d’incendie et de secours pour que les moyens soient reconsidérés. “Le modèle est à revoir. Il y a besoin de davantage de moyens et que les assurances paient davantage. Sur un budget de 36 M€, nous, département, nous en payons 20 M€. Rien que pour les feux de l’Aude, nous avons dû ajouter 3 M€. Notre contribution est passée de 17 M€ par an à déjà 20 M€, soit + 3 M€. Et le Sdis vient de me présenter la facture : 1,5 M€ pour les quatre feux de cet été ! Tous les départements sont dans la même situation. Nous sommes au bout du modèle du financement.” Surtout quand on sait que 75 des 95 départements ont été appelés en renfort. Avec la mobilisation de 2 200 pompiers au plus fort de l’incendie.

Il faudrait que les assurances paient davantage. Des solutions comme celle-là, nous en avons mis sur la table et tout est écarté. Ce n’est pas possible”

Que demande-t-elle ? “Nous demandons à l’État de repenser ce modèle. Tous les président(e)s de département sont sur la même ligne. Nous avons fait des propositions de possibilités de fiscalités existantes que l’on pourrait répartir différemment. Nous n’avons aucune réponse. Toutes ces discussions se font dans un cadre de discussions que l’on a appelé le “Beauveau du feu”. Au début de l’été il y a une réunion et ils ont dit : on verra ça à la rentrée. On a vu…” Et : “On a proposé que soit différemment répartie la taxe de séjour ; on est revenu sur les assurances. On parle toujours de ce que ces incendies coûtent aux assurances. On oublie de parler de parler de ce que les pompiers ont sauvé et ce qui ne coûtera pas. Ça s’appelle la valeur du sauvé. Certes, les assurances ont joué sur ce grand incendie. Mais on demande à l’Etat s’amener les assurances sur cette valeur du sauvé. On leur permet d’économiser !”

“Il faudrait que les assurances paient davantage”

Hélène Sandragné. Ph. CG de l’Aude

Hélène Sandragné, précise sa pensée : “Il existe une taxe sur les assurances, la TSCA, dont une partie est fléchée Sdis. Pour le département de l’Aude, c’est 9 M€. Il faudrait que les assurances paient davantage. Des solutions comme celle-là, nous en avons mis sur la table et tout est écarté. Ce n’est pas possible. Et, dans le même temps, on a besoin de davantage d’hommes sur le terrain ; de remplacer les Canadairs… Macron avait promis après les feux de la Gironde, deux Canadairs ; l’un est parti avec les économies budgétaires ; le second est prévu pour 2028. Et, comme dit l’autre, et en attendant, on fait comment…? Et il y a des possibilités : nous avons une filière aéronautique qui a travaillé ce sujet. L’Etat doit investir. Les régions méditerranéennes sont très impactées par la fameuse règle des 30.” Le combo explosif vent, chaleur, faible humidité.

N’annulez pas vos vacances. Venir, c’est nous aider. Le feu, c’est 20 000 hectares brûlés depuis le début de l’été. L’Aude, c’est 630 000 hectares, il y a de quoi faire”

Hélène Sandragné ajoute un troisième point à sa prise de parole pour annoncer une campagne de com. “Le tourisme a pris un coup ; des réservations ont été annulées, etc. Pour nous, c’est important de dire aux touristes : “Venir et revenir, c’est soutenir”. N’annulez pas vos vacances. Venir c’est nous aider. Le feu, c’est 20 000 hectares brûlés depuis le début de l’été. L’Aude c’est 630 000 hectares, il y a de quoi faire. Rien n’est parti : la Méditerranée est toujours là, le canal du Midi n’est pas parti. Nos stations n’ont plus. Et la saison va jusqu’en novembre.” Et d’ajouter : “Nous travaillons à l’avenir. Et avec Carole Delga dans le cadre d’un plan global. Cela va se faire dans le mois. Ce n’est pas facile ; on ne peut pas faire ça en pensant en “silos” ; quand on parle des prix agricoles ; de la transformation des terres viticoles ; de l’eau ; des friches ; de la fermeture des massifs ; de l’élevage… Tout est lié. Il faut avoir cette approche globale. Ce n’est pas problèmes et solutions. Il faut tisser les expertises.”

Une vie sauvée, cela s’évalue entre 2 M€ et 4 M€ et un blessé grave, c’est 500 000 €. On arrive ainsi à plus d’un milliard d’euros en 2023″

Colonel Christophe Magny, directeur du SDIS de l’Aude. Ph. Sdis de l’Aude.

Interrogé sur la valeur du sauvé, le colonel Christophe Magny, directeur du Sdis de l’Aude, explique : “Notre retour d’expérience est en cours sur ce feu historique d’il y a un mois dans les Corbières. Nous n’avons pas encore chiffré la valeur du sauvé. Mais on sait que 45 000 hectares et 12 villages et plusieurs centaines d’habitations ont été préservés. Sur le feu lui-même, c’est aussi 7 356 habitants et 1 132 bâtiments protégés recensés par l’ONF, trois campings dans cette zone où 17 communes ont été touchées. Dans notre schéma directeur, nous avions fait le calcul de la valeur sauvée, à l’issue d’un feu sur les hauts de Narbonne. Par ailleurs, en 2023, sur les 22 000 secours à personne, on évalue à 139 vies sauvées et 1 021 blessés graves préservés. Une vie sauvée, cela s’évalue entre 2 M€ et 4 M€ et un blessé grave, c’est 500 000 €. On arrive ainsi à plus d’un milliard d’euros en 2023.”

Il ajoute : “Nous avions fait aussi un calcul à partir des défibrillateurs sur les personnes sauvées. Il y en avait eu 59 pour lesquels il y avait eu une utilisation pour des personnes acheminées vivantes au centre hospitalier. Et des victimes de noyades de niveau 3 qui auraient péri sans l’aide des sauveteurs de plage. On en a eu six en 2023. Et avec les feux de bâtiments, on arrive au total général à 66 personnes sauvées cette année-là. Et là on évaluait la valeur du sauvé à 260 M€. Mais là la méthodologie c’est de prendre comme base 1,3 % des interventions.”

“1 € dépensé permet de préserver 166 € de biens”

Quant au feu, il prend l’exemple de celui du 4 juillet 2023 qui avait parcouru 113 hectares à Montredon-lès-Corbières pour faire “le calcul de l’espace combustible, la zone d’activités, les quartiers résidentiels… On était arrivés à 103 M€ de valeur du sauvé sur ce seul feu. Si on ajoute les frais réels du Sdis engagés et les moyens nationaux, on arrivait à 618 M€, rien que pour ce feu-là. Il ressort de ce feu étudié que 1 € dépensé permet de préserver 166 € de biens.”

Rien que pour le mois de juillet, où il y avait pas mal de maisons dans des zones péri-urbaines, et rien que dans l’Hérault, cela représente quelque 800 M€” 

Un fourgon des pompiers de l’Hérault engagé sur un feu à Grabels. Ph. SDIS 34

Responsable de l’unité feux de forêt au SDIS de l’Hérault, département régulièrement touché par les incendies, Aurélien Manenc explique ce calcul : “On part du contour du feu et on fait simuler la situation si les pompiers n’étaient pas intervenus entre deux heures et six heures après la non intervention. On calcule ainsi l’impact sur la végétation, les cultures et aussi les zones habitées et les maisons dans l’axe du feu qui ont pu être épargnées par le feu parce que protégées par notre intervention. Idem pour les forêts. On calcule aussi les tonnes de carbone séquestrées par les massifs forestiers et qui ne l’auraient pas été sans notre intervention. Dix maisons à 1 M€ protégées cela peut aller vite et représenter 10 M€ de valeur du sauvé. En face de cela, on met en face le coût de l’intervention.”

Le calcul est le résultat d’une soustraction. “Rapidement, on se rend compte que par rapport au coût d’une caserne de pompiers dans une commune, sur des incendies comme celui de l’Aude où 16 000 hectares ont brûlé, on est sans doute sur plusieurs centaines de millions d’euros. On évalue aussi l’impact économique : une entreprise sauvée par exemple et aussi l’impact sur le tourisme. Dans l’Hérault, cette valeur du sauvé, on la calcule sur des incendies à partir de 5 hectares ou 10 hectares. Rien que pour le mois de juillet, où il y avait pas mal de maisons dans des zones péri-urbaines lors d’incendies où nous sommes intervenus, et rien que dans l’Hérault, cela représente quelque 800 M€.” 

Olivier SCHLAMA

  • Quand la souffrance s’ajoute à la souffrance. “La rave party avec 2 500 personnes qui font la fête à Fontjoncouse (Aude) dans les Corbières ? Parfois, je me dis : on vit dans des mondes parallèles… Les mecs font une fête dans des paysages dévastés. Quel plaisir peut-on y éprouver ? Il faut venir voir ce que c’est… Tout est calciné à perte de vue. Du noir partout… Des odeurs… Ensuite, l’idée de faire la fête dans un lieu où les gens sont accablés, frôlent la désespérance pour certains qui ont tout perdu… Mais dans quel monde vit-on ?“, souffle Hélène Sandragné. La présidente du département de l’Aude n’avait pas besoin de cela pour remonter le moral de ses concitoyens.