Dossier : Entre trail et crossfit, l’étonnant phénomène des courses à obstacles

Ce nouveau sport, où l’individu est au centre de la scène, connaît un engouement certain. Directeur national de l’un des leaders, Spartan, Olivier Castelli, et Léa Frugier, présidente, elle, de l’Union française des sports à obstacles, en définissent les facettes. “Dépassement de soi”, réplique des codes de la performance de l’entreprise, “c’est aussi un moment d’exaltation”, définit le sociologue Jean Corneloup. Faites-vous une idée : Spartan en organise une le 4 mai à Carcassonne !

Sans autre arme que leur courage, ils ont troqué le treillis et l’insoutenable package militaires pour l’attirail du parfait runner. Ils ne font pas le même parcours du combattant. Et ne se préparent d’ailleurs pas à la guerre. Mais à une bataille avec soi-même. Chaque année, quelque 300 000 sportifs participent à des courses à obstacles en France (1) pour le pur “plaisir du dépassement de soi”. C’est un Américain qui a défini les contours il y a vingt ans d’un sport émergent, entre trail et crossfit.

“C’est aussi un lieu de socialisation, on s’entraide, on prépare la course ensemble, on se retrouve dans des lieux festifs…!” 

Passages de hautes palissades ; montées à la corde ; portées de sacs de sables et de chaînes de bateau ; ramper sous des barbelés ; lancer de javelots dans une botte de paille ; exercices aux anneaux ; obstacles d’agilité – une poutre de 10 centimètres sur 10 mètres de long -, etc. Depuis dix ans, ces courses d’un nouveau genre offrent la possibilité de se mesurer.

C’est un univers très sportif, en plein développement, qui a été freiné par la crise sanitaire et qui s’inscrit dans le prolongement des codes et “valeurs” de l’entreprise dont certaines y envoient des équipes. Mais pas seulement. Jean Corneloup, sociologue, spécialiste des cultures récréatives à l’université Clermont-Auvergne, confirme bien sûr cette gémellité mais en y ajoutant une dimension importante : “C’est aussi un lieu de socialisation ; on s’entraide ; on prépare la course en groupe ; on partage des repas ou on se retrouve dans des lieux festifs…!” (Lire son riche entretien ci-dessous👇).

Chaque course est une belle machine – les obstacles restent d’ailleurs souvent sur place après. Les plus éclatantes sont organisées par des sociétés privées qui ont importé le concept des USA en 2013, en Europe. Comme Spartan, à Carcassonne, le 4 mai prochain, au lac de la Cavayère.

En démonstration aux JO de Los Angeles en 2028

Olivier Castelli, directeur national de Spartan. Ph. DR.

Son directeur national, Olivier Castelli, explique : “En France, nous organisons quatre événements dans l’année (Val Morel, Morzine, Saint-Raphaël et Carcassonne) qui, chacun, attire entre 5 000 et 6 000 participants, soit 25 000 dossards dans l’année. En Europe, nous organisons 45 courses et 250 sur la planète. Le profil-type, c’est un homme entre 25 ans et 40 ans.”

Il n’y a pas encore de fédération. Ces événements sont placés sous la tutelle de la fédération d’athlétisme qui gère le côté sécurité, notamment. “Il existe une association nationale qui s’est créée en vue de regrouper les acteurs de ce sport. La course d’obstacles {un format exclusif de 65 mètres et 8 obstacles, Ndlr} devrait être présente en démonstration aux JO de Los Angeles en 2028, probablement sous l’égide du Pentathlon moderne.”

Course à obstacles à Carcassonne le 4 mai

Quel est le profil de ces sportifs accomplis dont certains participeront à la Spartan Race à Carcassonne le 4 mai ? “Il y a plusieurs catégories dans cette discipline. La spécialité de la Spartan Race, c’est la course chronométrée et le côté sportif pur, c’est notre marque de fabrique. Nous avons aussi des catégories open, précise Olivier Castelli. Il y a donc des chronos, un championnat, un championnat d’Europe et même un championnat du Monde. Il y a des catégories d’âge, etc. Et, à chaque fois que l’on ne peut pas passer un obstacle, il y a une pénalité, une boucle à faire, ce qui rajoute du temps au chrono. Cela peut être associé au parcours du combattant… Je n’aime pas ce terme, trop militaire. On est sur des distances de 5 km, 10 km, et 21 km. On est dans la recherche de limites, un peu dans la souffrance.”

Mélange de fitness et de course à pied

Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

La souffrance ? Mais ne souffre-t-on pas suffisamment dans la vie quotidienne…? “La souffrance, c’est aussi le but de l’ultra trail ou de l’Iron man. On fabrique des hormones qui donnent du plaisir. On retrouve donc du plaisir dans cette souffrance. C’est comme cela que je le pratique personnellement…”, souligne Olivier Castelli.

Certaines courses à obstacles comme La Ruée des ­fadas, ­SoMad ou la Frappadingue se veulent parfois un peu moins sportivement sérieuses, davantage fun. L’entraide est au coeur de toutes ; certaines aiment que l’on s’y déguisent… “Ce qu’il faut savoir, c’est que ces courses, même s’il y a de la course à pied typée trail sur nos événements, reprend Olivier Castelli, c’est vraiment un mélange entre fitness et de course à pied. Il existe beaucoup de communautés qui se construisent peu à peu. Il y a pas mal de clubs qui créent eux-mêmes leurs camps d’entrainement avec obstacles. Et qui s’organisent en mode associatif.”

Pour les élites, les “pros” qui en vivent sans doute avec leurs sponsors, en visant championnats du monde et d’Europe, on y distribue 20 000 € de primes. À Carcassonne, il y a un 5 km avec 20 obstacles et le 10 km avec 25 obstacles. Et aussi une course pour les 4 ans-13 ans. Dans la capitale de l’Aude, pas de prime au gagnant mais la course fait partie d’une “série” française que le gagnant de trois courses, le “championnat”, bénéficie d’une prime en monnaies sonnantes et trébuchantes.

Goût de la performance mis en exergue

Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

Comment expliquer le phénomène ayant généré par ses promoteurs l’hachtag #çacestdusport qui avait fait florès sur les réseaux sociaux pour contrer un certain bashing ? C’est un sport nouveau qui s’inscrit, certes, dans le prolongement de la société capitaliste. La pratique est d’abord dans la droite ligne de la société individualiste bling bling issue des années 1980. Goût de la performance, mis en exergue. Démontrer sa capacité à aller au bout d’un projet…

Revenant sur les prémices de ce sport, la Toulousaine Léa Frugier préside l’Union française des sports d’obstacles. “Pour la partie française, avait d’abord été créée une structure OCR (Obstacles, Course, Racing) France, dit-elle, et on est passée à Union française de sports d’obstacles en 2020, le but est de rassembler un maximum de coureurs sous une même bannière, ainsi que les organisateurs et les partenaires connexes. Et passer donc un cran supérieur en ayant des associations ou des clubs affiliés qui sont souvent eux-mêmes multisports (athlétisme, sports d’obstacles, trail, triathlon…) Certaines se dirigent vers le pentathlon moderne mais à part sur une épreuve spécifique, il existe tout un tas d’autres formats.”

C’est l’aspect récréatif qui domine

Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

Difficile de savoir actuellement combien il y a de pratiquants. Certains ne désirent pas (encore) se ranger sous la même bannière, ne comprenant pas forcément l’intérêt de faire ensemble. Les participants peuvent aussi faire plusieurs sports et y viennent pour un défi entre copains… C’est l’aspect récréatif qui domine. “Quelqu’un qui va courir trois Ruées des Fadas dans l’année, il n’ y voit pas forcément son intérêt”, opine Léa Frugier. “Ce qui ressort des organisateurs en cette période post-covid, c’est que les gens ne sont pas sûrs d’eux. Ils s’inscrivent à la dernière minute. Ils sont à l’affût des codes promo, des moindres avantages… Hier soir, on me demandait déjà les offres promotionnelles pour ceux qui s’inscriront dans les trois premières courses du calendrier. Ce comportement est une tendance lourde.” Et puis, c’est une discipline qui réclame aussi la participation de beaucoup de bénévoles pas forcément faciles à trouver et à fidéliser.

600 000 “dossards” par an avant le covid

Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

“On connaît un chiffre : avant le covid, on en était à 600 000 “dossards” dans l’année” de sportifs qui s’inscrivaient à des courses à obstacles. “Comme on est censés être sous la tutelle du règlement de la FFA (Fédération française d’athlétisme). Si on voulait devenir une fédération ou organiser un championnat officiel, la FFA nous demanderait un certain nombre de licenciés, par exemple. Il est encore difficile de quantifier le nombre de pratiquants uniques ; il peut y avoir un trailer qui, d’un coup, va participer à deux courses d’obstacles parce qu’il trouve ça fun ; ou un sportif qui ne fait que du crossfit et qui s’inscrit comme ça pour une ou deux courses avec des copains qui font des sports co’ par ailleurs et qui peuvent trouver ça sympatoche… Ça marche beaucoup sous sa forme loisirs. C’est n’est ailleurs pas la partie compétitive qui fait le chiffre d’affaires des organisateurs. Et pour un comptage précis, il faudrait contacter tous les organisateurs…” Dont certains ne sont que de petites associations sans prétentions qui se créent juste pour un événement.

Relativement tendance dans le Sud

Léa Frugier ne dément pas le chiffre actuel de 300 000 pratiquants. Prenons l’exemple des organisateurs de la course 1914-1918, inspirée de la Première Guerre mondiale qui organisent des trails mais aussi une course à obstacles. Ils brassent presque 2 000 dossards en un dimanche et la partie “élite” ou compétitive représente 250 participants.” Léa Frugier précise qu’il y a moins de participants dans la centre de la France mais davantage dans l’Ouest. Dans le Sud, c’est relativement tendance. Et, en Savoie, là où il y a un environnement naturel qui s’y prête, aussi. Certains clubs possèdent aussi des terrains, ce qui facilite la possibilité d’organiser une course.

Un engouement dans de nombreux pays

Léa Frugier. DR.

“300 000 pratiquants, c’est fort probable, dit Léa Frugier, qui est aussi vice-présidente de la Fédération européennemais il est difficile de se mettre totalement d’accord sur un chiffre”. La crise sanitaire a été un frein, interdisant l’accès aux salles de sport, comme celles où se pratique le ninja (rendu populaire par l’emission TV Ninja Warrior) ; mais ouvrant des choix possibles en extérieur, comme la pratique du swimrun, ou du vélo. Il y a donc eu, un temps, une “fuite” vers d’autres pratiques. “Il y a eu un changement clair mais notre sport a l’air de repartir. Il existe sous beaucoup de formats. Notre mission est toujours d’encourager et de rassembler l’ensemble des pratiquants, organisateurs et acteurs de ce sport.” 

Dans certains pays comme l’Italie, la Hollande ou la Pologne ou encore l’Espagne, on compte beaucoup de pratiquants et d’événements (parfois les mêmes franchises qui proposent beaucoup de dates). “Aux tout premiers championnats du monde en Belgique, en septembre dernier, on a pu rencontrer nos homologues des autres fédérations desquels on a appris que les Philippins pratiquaient beaucoup la course à obstacles, comme en Asie-Pacifique ; là-bas, c’est très soutenu par les ministères des Sport ; il ont des salariés. Nous, nous sommes bénévoles.” 

“Les courses à obstacles, c’est un marché en croissance”

Émeline Desrumeaux Ph. JF Noireau à la ligue UFSO Séries et 100 mètres OCR, 2023.

La jeune Union des sports d’obstacles fédère pour l’instant treize associations affiliées mais c’est un chiffre trompeur qui en révèle mal l’engouement. Les raisons sont nombreuses ; leurs membres sont libres de prendre ou pas une adhésion à l’Union en plus de celle de leur club. Il y a, de plus, des comportements erratiques et individualistes. On peut s’inscrire à une Spartan dans l’année sans s’inscrire dans un club et encore moins dans l’Union nationale.

“Les courses à obstacles, c’est un marché en croissance”, affirme, lui, clairement Olivier Castelli. Comment l’expliquer, vu le nombre de sports proposés de plus en plus important ? “La course à obstacles, c’est intéressant parce que ce n’est pas que de la course à pied. Il faut de l’endurance et des muscles. Face aux obstacles, on peut se rendre compte d’un déficit de muscles et de puissance. Il y a un intérêt pour les participants à avoir une bonne motricité et une préparation totale du corps. Prenez les meilleurs ultra-trailers, ils ne se classeront pas au-dessus de la 50e place dans l’une de nos courses… À cause des obstacles dont ils n’ont pas l’habitude et fatiguent, les usent…”

Il y a un lien avec les valeurs de l’entreprise, c’est clair. Cela fait aussi appel à beaucoup de camaraderie. Et sur les obstacles, il y a quand même cette volonté de “faire ensemble”

Olivier Castelli, directeur national de Spartan
Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

Il ajoute : “Nos meilleurs performeurs sont des anciens purs coureurs, ou trailers. Ils ont adapté leur préparation. La performance est importante dans leur motivation. Ou de chercher à s’améliorer d’une course à une autre.” Et Olivier Castelli de confirmer : “Il y a un lien avec les valeurs de l’entreprise, c’est clair. Cela fait aussi appel à beaucoup de camaraderie. Et sur les obstacles, il y a quand même cette volonté de “faire ensemble”, notamment dans les catégories “open” ; il y a ce désir d’aider les autres et de faire en sorte que toute l’équipe avance en même temps. Sur les Spartan Race, le parcours est difficile et on se rend compte que, comme dans l’entreprise, cela fait appel à un petit noyau. Nous avons un autre type d’événements, les Tough Mudder (dur et boue en anglais)”.

Même l’Armée propose une course à obstacles !

Course à obstacles. Ph. Marc Rafanell Lopez, Unsplash

La course à obstacles est devenue un tel phénomène que même l’Armée de Terre se réapproprie la formule du parcours du combattant adapté à Monsieur Tout le Monde. Un exemple qui devrait faire florès. L’Armée de Terre via le 519e Régiment organise d’ailleurs un Docker Race le 28 avril sur les plages du Mourillon. Cette première course à obstacles est ouverte au grand public.

“Les participants de cette course réaliseront une bonne action, car la majeure partie des bénéfices sera reversée aux associations d’aide aux blessés des trois armées.” Avec deux formules : une course en équipe le matin, la Team Docker : 4 km, 20 obstacles terrestres et aquatiques, de 2 à 4 personnes (avec possibilité de s’inscrire en individuel et d’être inclus à une équipe le jour de la course) à partir de 16 ans et une course en famille l’après-midi, la Family Docker : 2 km, 16 obstacles, de 2 à 4 personnes avec un adulte obligatoire, enfants à partir de 10 ans. La boucle est bouclée.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Les standards officiels : le 100 mètres OCR avec 12 obstacles ; “short” : 3 km avec 20 à 25 obstacles ; “distance standard” : entre 12 et 15 km et entre 30 et 40 obstacles. Il y a aussi des courses d’endurance qui peuvent aller à 20 km, 25 km ou 50 km. Il y a aussi le “Ninja” qui se pratique en intérieur. Et enfin le 100 mètres Ninja qui fonctionne, aujourd’hui, beaucoup en ligues privées.

“Une aventure Canada Dry mais sympathique et ludique”

Pour le sociologue, ce sport précédé par les parcs aventures et même le scoutisme, trouve un écho parmi les Zadistes. Et trouve à ses yeux des qualités et une “appétence pour la vie”.

“Le marché de la course à obstacles existe depuis une dizaine d’années. Je n’ai pas l’impression qu’il va s’amplifier et devenir une tendance qui va bousculer le marché des pratiques de plein air. C’est une pratique un peu aseptisée ; il n’y a pas de débordements et cela reste standard. Cela ne va pas aussi loin que des stages commando que l’on peut faire et qui sont plus exigeants où l’on s’y confronte pendant trois jours dans un engagement et une immersion beaucoup plus forts et exigeants dans la nature. Il faut y accepter cette exigence, ce rapport à la nuit…”

Les parcs aventure ont précédé les courses à obstacles

Spartan Race Carcassonne, ph Spartan.

Ensuite sont arrivés “les parcs aventure qui sont issus, aussi, du militaire ! Dans les années 1980, c’était aussi l’occasion de se confronter à différents obstacles. Ce n’est qu’ensuite que ces parcs sont devenus des mondes ludiques aménagés par des entreprises. Cela fait partie de l’invitation à s’investir dans des espaces où il y a des jeux d’équilibre, de force, d’acrobatie. Aujourd’hui, nous entrons dans un nouveau monde qui est celui des courses à obstacles. Dans certains cas, on se rapproche de la logique de l’hyper-modernité : l’enjeu, c’est que chacun puisse se confronter à différentes dimensions de soi-même pour se prouver son excellence, sa capacité à relever des épreuves dans un monde où, parfois, on a l’impression qu’il est trop aseptisé.”

“On n’est pas très loin des activités sportives dérivées de l’athlétisme”

“Les courses à obstacles, ça reste gentil et sportif. On n’est pas très loin des activités sportives dérivées de l’athlétisme, par exemple. Des courses sur route ou du trail. Elles restent une activité dites en surface de la nature et c’est là qu’il y a, non pas une tromperie, mais une fiction qui reste ambitieuse sur le plan de l’imaginaire qu’elle transmet mais, dans la réalité, cela ne remet pas en cause notre urbanité. C’est une aventure Canada Dry, comme on disait dans les années 1980. On a le sentiment que l’on est dans une projection imaginale alors que l’on n’est qu’un guignol qui s’amuse à travers de nouveaux jeux. En même temps, c’est très sympathique et ludique.”

“L’individu doit être acteur de son projet”

Jean Corneloup, sociologue. Ph. DR

Le lien avec le monde de l’entreprise s’impose pour lui aussi : “On peut concevoir ce genre de course comme en relation avec une nouvelle forme d’entrepreneuriat qui fait en sorte que l’individu soit engagé dans des moments courts – trois, quatre heures – ce qui signifie qu’il faut avoir une “démarche-projet” ; être capable de se préparer ; de se donner les ressources pour atteindre un objectif au sein duquel l’individu doit se prendre en charge et être acteur de son projet…”

“Cela relève d’une certaine pédagogie qui existe depuis longtemps”

Le sociologue définit aussi : “C’est une course qui a des propriétés sportives et sociales particulières : c’est souvent organisé par des entreprises qui ont flairé qu’il y avait un marché à prendre ici. Et qui répondent à ce qu’un certain public recherche. Qui compte retirer un certain bénéfice en fonction des épreuves. En étant obligé de se confronter à des terrains qui interrogent nos rapports à cette matière – qui se rapproche un peu de la spéléologie, sous terre – ; à des espaces verticaux ; avec l’obligation, parfois, de ramper… Cela relève d’une certaine pédagogie qui existe depuis longtemps. Qui n’est pas nouvelle. Au 19e siècle, surtout début du 20e siècle, il y a eu la volonté de donner de la présence à des activités de plein air, en permettant à des individus de pouvoir renforcer leur capacité à résister à une forme de souffrance…

Scoutisme, hier, Extinction Rébellion, aujourd’hui…

Course à obstacles. Ph. Marc Rafanell Lopez, Unsplash

Il y a aussi un lien avec “l’homme sauvage, issu des peuples autochtones, ouvrant la possibilité de s’inscrire dans le monde de la nature ; le scoutisme a permis cela aussi. Arrêtons de penser que c’est nouveau. Dans les années 1970, il y a eu tous les mouvements de l’écologie extrémiste s’opposant au capitalisme. Et, aujourd’hui, avec des mouvements de défense de terrains (ZAD), comme Extinction Rebellion, qui défendent des menaces sur certains milieux écologiques. Ils se préparent à la guerre, à la guérilla, à résister au pouvoir politique, à la gendarmerie… “

“Codifiés et standardisés, assez proche du sport moderne”

“L’enjeu, dit-il encore, n’est pas de dire que toutes ces pratiques sont les mêmes. Suivant le cadre, elles ne traduisent pas la même chose. On pourrait aussi évoquer un mouvement extrêmement fort, les micro-aventures qui ne s’inscrivent pas dans une institution avec des règles du jeu où l’on est complètement investis dans le système. Dans les courses à obstacles, on n’y invente pas ses propres règles. On n’est plus en liberté. On est codifiés et standardisés. On est assez proche du sport moderne. La seule différence, c’est que l’individu a plus la capacité à avoir la présence dans des espaces pas complètements aseptisés. Ce n’est pas la course à obstacles que l’on fait en athlétisme. Il reste encore une marge de proposition.”

Il y a une diversité des jeux et des pratiques dans les activités ludiques et créatives : escapes game, courses à obstacles, etc. : cette variété enrichit la palette des invitations à se sentir complètement vivants dans notre monde contemporain”

Il ajoute : “Une part de ces courses à obstacles a un lien avec le monde de l’entreprise mais les gens ont aussi besoin d’avoir des espaces, une pratique standard. De rejoindre des univers envoûtants pour se divertir. Un peu à l’image des jeux vidéo. Ce qui est stimulant. Cela peut aussi être pris pour un anti-modèle entrepreneurial : certains peuvent avoir envie de sortir du monde de l’entreprise sans considérer que c’est une réplique de l’entreprise. Le jeu peut se suffire à lui-même sans vouloir le comparer sans cesse à la société et l’entrepreneuriat. On peut aussi vouloir quelque chose de simple : jouer. On veut avoir des moments d’exaltation.”

“C’est, aussi, une appétence pour le monde, pour la vie”

Course à obstacles. Ph. Marc Rafanell Lopez, Unsplash

Le sociologue Jean Corneloup prolonge : “C’est aussi un moment où l’on peut travailler sa santé, son bien-être et être dans une séquence de bonheur puisque cela procure de l’effervescence. C’est très important. Car les gens qui participent à ces courses prennent soin de leur corps, s’entrainent. Et à une époque où la population a des problèmes de santé parce que trop sédentaire, c’est, aussi, une appétence pour le monde, pour la vie. On peut le critiquer mais c’est déjà une bonne occasion. Par ailleurs, plus globalement, il existe une diversité des jeux et des pratiques dans les activités ludiques et créatives : escape game, courses à obstacles, etc. Et cette variété enrichit la palette des invitations à se sentir complètement vivants dans notre monde contemporain. C’est extrêmement riche…

Un miroir de nos vies quotidiennes

N’est-ce pas un miroir de nos vies bien remplies d’épreuves quotidiennes ? “Cela s’inscrit dans la capacité de l’individu à s’engager dans le management du projet, à être dans la résilience, à s’adapter à des situations en ayant des dispositions athlétiques. C’est dans la continuité de ce qui participe à un management du projet. Entrepreneurial.” 

Course à obstacles. Ph. Marc Rafanell Lopez, Unsplash

Les courses à obstacles, c’est un prolongement du monde de l’entreprise où “l’on est évalués pour les compétences ; l’individu est davantage acteur via ses capacités à s’investir dans des projets. Et c’est tant mieux. Au-delà de ça, l’individu a besoin de s’inscrire dans des sphères mimétiques, comme on les appelle. Cela se fait dans des ailleurs qui nous donnent des possibilités de sortir de la routine. C’est une nouvelle forme de mise en récits. Les individus peuvent se transformer grâce à un “imaginaire d’aventurier”, situé au début du champ de l’aventure. Il y a, dans ces courses à obstacles, cette dimension de combattant, cette capacité à être dans des espaces où il nous faut modifier notre rapport au sensible, à la terre, à la boue, à la verticalité. C’est passionnant de saisir tout cela…”

“C’est sympa de se dire : “Je vais devoir me frotter à la boue, à la verticalité, à ramper…”

Le sociologue soulève aussi une question importante : “Cette activité crée du récit. Les participants vont parler de ces courses, ils vont échanger, s’inscrire dans un univers où, en tant qu’acteurs, ils vont avoir des choses à se dire. Le corps devient vivant. Il va être bouleversé parce que la nature, certes aménagée, est là. C’est sympa de se dire : “Je vais devoir me frotter à la boue, à la verticalité, à ramper, etc.” C’est un environnement exigeant qui nous oblige à nous adapter. Dans dans ce sens là que j’aimerais en parler plutôt que de parler que de la logique capitaliste qui est derrière.

Il y a, dans ces courses à obstacles cette capacité à être dans des espaces où il nous faut modifier notre rapport au sensible, à la terre, à la boue, à la verticalité. C’est passionnant de saisir tout cela…”

“Nous sommes encore dans un espace où la fusion de l’individu dans une communauté est minimale ; l’individu est au centre de la scène. En revanche, parfois, si l’on va dans le médiéval fantastique – ça existe à Québec et cela commence à apparaître en France – tout d’un coup, l’individu va s’inscrire dans des communautés de jeux bien plus fortes. De la même manière, si l’on va à ces courses à obstacles entre copains ou dans le cadre de l’entreprise – de plus en plus d’équipes existent ainsi – , on cultive un art de coopérer ensemble, en s’inscrivant à ces courses-là. Ce qui relève, parfois, de la logique de l’entrepreneuriat.”

“Dans l’univers du médiéval fantastique, c’est autre chose, on se transforme en un personnage de guerre, du Moyen-Âge, en appartenant à des guildes et on est complètement projetés dans l’imaginaire de cette époque-là. L’individu n’est plus le référent. On s’inscrit alors dans des communautés pour communier avec d’autres. S’investir dans une fiction dans laquelle la personne a envie d’être dans des collectifs. On participe à des combats ensemble ; cela va beaucoup plus loin.”

Propos recueillis par O.SC.

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