Protection de l’enfance, soutien aux personnes handicapées, aux personnes âgées dépendantes, à l’insertion…. Au total, les départements de l’Hexagone ont dépensé, tous ensemble, en 2023, 43,6 milliards d’euros pour financer leurs politiques publiques. Soit une hausse “inédite depuis dix ans” de 5,3 %. C’est ce que révèle l’enquête annuelle de l’Odas.
On le savait mais les chiffres précis donnent le tournis. L’année dernière “on était au pied du mur”. Cette année, le gouffre n’est pas bien loin… Toutes les politiques publiques du département, les dépenses sociales, ont explosé et principalement dans trois domaines : l’aide sociale à l’enfance (+ de 900 M€ de hausse, du jamais vu), le soutien aux handicapés, notamment l’hébergement (+ 580 M€ de hausse pour 9,3 milliards d’euros de dépenses) et les dépenses de personnels (+ 6,7 %) “alors même que les départements enregistrent, dans le même temps, une baisse des recettes et que les droits de mutation à titre onéreux sont en berne à cause de la baisse des transactions immobilières”, explique Claudine Pallieu, la DG de l’Observatoire national de l’action sociale, l’Odas (1). Une situation “inédite depuis dix ans”, mettant les départements dans une situation financière délicate.
Un échantillon de 49 départements
L’Odas a recueilli les comptes administratifs d’un échantillon de 49 départements volontaires en retenant la “dépense nette”, soustractions faites des aides et subventions. Sa conclusion ? Les dépenses de l’ensemble des départements de l’Hexagone ont cru de 5,2 % ( plus de deux milliards d’euros) par rapport à 2022 pour atteindre, en 2023, près de 44 milliards d’euros (43,6 milliards), dont 9 milliards d’euros d’aides diverses de l’Etat (notamment RSA, APA) et 34,37 milliards d’euros de charge nette, donc. Sur ces 44 milliards, les dépenses d’allocation se montent à 20 milliards.
Hausse du nombre de bénéficiaires et des coûts de prises en charge
Toutes ces hausses ont des causes qui s’expliquent à la fois par le nombre de bénéficiaires en hausse et le coût des prises en charge. “Que ce soit sous forme d’allocations ou de paiement des établissements et services, la majorité de l’augmentation des dépenses a pour causes principales les augmentations salariales et, dans une moindre mesure, l’inflation”, est-il expliqué dans l’enquête annuelle de l’Odas.
Claudine Pallieu est longuement revenue sur la crise des “vocations” dans le médico-social, notamment, soulignant la difficulté à recruter, vu la difficulté à fidéliser des salariés dans ce secteur où il y a beaucoup de démissions et de découragement. “Et la hausse des coûts de personnels va engendrer moins de personnels. Et le personnel restant sera aussi soumis à davantage de démissions et de découragements…” Un cercle malheureusement vicieux.
Hausse des effectifs et des coûts
Cette hausse de 5,2 % est “inédite en dix ans”. Elle intervient après une hausse de 2,7 % en 2022 et 0,4 % en 2021, a déclaré Didier Lesueur, délégué général de l’Odas. La moitié de cette hausse est due aux dépenses de l’Aide sociale à l’enfance (ex-Ddass), qui ont bondi de 900 M€ (+10,2 %) à 9,8 milliards d’euros. “L’augmentation de la dépense consacrée à l’ASE est, elle, due pour un tiers à la hausse des effectifs et pour deux tiers à l’augmentation des coûts, en raison principalement des revalorisations salariales, selon Claudine Padieu, directrice scientifique de l’Odas.
Explosion du nombre de jeunes à l’ASE
Le nombre de jeunes hébergés par l’ASE a augmenté de 10 700 (+ 5,3%) en une année pour s’établir à 212 100 fin 2023. La progression la plus importante concerne les mineurs étrangers non accompagnés (MNA), en hausse de 6 800 (+ 28 %), pour un nombre total de 31 100 fin 2023, selon l’Odas, ce qui est notamment dû à un rattrapage de trois années de confinement et l’effet covid. Et encore, a-t-elle révélé, faute de places, encore 6 000 à 7 000 enfants en France n’ont pas trouvé de réponse adaptée en 2023 de la part de l’ASE, l’Aide sociale à l’enfance.
La hausse du soutien aux personnes handicapées est dû à la hausse de la prestation compensatrice du handicap (PCH) et au plus grand nombre de bénéficiaires : +13 000 en un an ! Le soutien aux personnes âgées dépendantes, lui, évolue de façon modérée, progressant toutefois de quelque 230 M€ (+ 3%), à 7,9 milliards d’euros.
Les tendances 2024 jugées “préoccupantes”
Selon le partenaire de l’Odas, la Banque postale, la situation des départements s’était déjà “nettement dégradée en 2022 et 2023, inflation et réduction des droits de mutation obligent. Les investissements ont cependant continué à augmenter et les budgets primitifs 2024 n’infirment pas cette tendance, traduisant que le creux de la vague sera sans doute atteint cette année (…)”
Quant aux tendances 2024, elles sont jugées “préoccupantes“… Toujours tirées à la hausse par l’aide sociale à l’enfance et la prestation de compensation du handicap (PCH), tout comme la reprise de l’augmentation des charges liées à l’insertion.” Côté recettes, il est certes prévu une hausse de la compensation de l’Etat de 15 % pour l’APA par rapport à 2023 mais “l’Etat reste silencieux quant à son concours pour le RSA”. Du coup, les “marges de manoeuvres des départements se réduisent”.
Crise structurelle
L’Odas parle d’une “crise structurelle”. L’Aide sociale à l’enfance est de plus en plus sollicitée pour des prises en charge de plus en plus d’enfants. Pourquoi ? L’Odas en conclut : “Cela témoigne de la difficulté des parents à assumer leurs enfants (…) Les réseaux de solidarité de proximité ne sont plus opérants, compte tenu de la déliquescence des liens sociaux (…) Cette évolution concerne également les personnes vieillissantes dans une société qui, de surcroît, ne les considère plus comme potentiellement utiles à la société”…
Olivier SCHLAMA