Chronique livres : Des zèbres, un écureuil et un poisson rouge…

Tous les mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie. C’est au tour du Sétois Patrick Misse, la Marseillanaise Claude Cruzel et de la Nîmoise Charlotte Arnal.

Du travail à l’ancienne

Autrefois, Patrick Misse était ophtalmologiste à Sète. Cela se voit dans ses écrits. Aujourd’hui, il projette sur les choses et les êtres un regard-loupe qui a la profondeur et l’acuité des professionnels de l’observation. Il prend son temps, s’attarde sur les détails, chemine à petits pas, revient en arrière, repart en avant, tourne autour du pot pour faire durer le plaisir… Cela donne, sous sa plume, des histoires racontées à l’ancienne, c’est-à-dire comme on les racontait à l’époque où le papier imprimé exerçait un magistère absolu sur l’univers médiatique et où les grands auteurs régalaient leurs contemporains en étirant leurs récits sous le format quotidien de feuilletons au long cours agrémentés de longues parenthèses.

C’est du joli travail et surtout un beau roman d’aventures

Son dernier roman, Drôles de zèbres en Amazonie, est un rejeton de ce genre classique. L’intrigue en est bien ficelée, le suspense adroitement maîtrisé, l’écriture soignée, chaque personnage campé avec soin, l’univers brésilien où Patrick Misse situe son histoire est rigoureusement documenté. C’est du joli travail et surtout un beau roman d’aventures où s’entremêlent une histoire d’amours contrariées, la quête initiatique d’une mère confrontée à un enfant surdoué, les carnets intimes d’un médecin corrompu, un polar sur les dessous peu reluisants de certaines missions humanitaires, un plaidoyer pour l’écologie responsable et un conte fantastique inspiré par le chamanisme en usage chez les autochtones peuplant les profondeurs de la forêt amazonienne… Le tout, géré avec maestria, constitue un savant mélange de Tintin, Françoise Dolto, Claude Lévi- Strauss, Bridget Jones et Indiana Jones. Savant mais captivant. À lire de préférence à l’ombre d’une tonnelle fleurie, bien installé sur une chaise longue, à l’abri des moustiques et des anacondas.

  • Drôles de zèbres en Amazonie, de Patrick Misse, L’An Demain éditions, 335 pages, 16 €.

Des brins de poésie

Que faire d’un écureuil empaillé ? Confiez-le à Claude Cruzel et elle en fera un poème : “Le petit écureuil empaillé/Dort sur le confiturier/Il ne faut pas le réveiller”. Cette grand-mère de Marseillan fait de tout un poème. Tout, chez elle, le moindre petit rien, fait rime : une petite fleur, une goutte de pluie, un rayon de soleil, les huîtres, la neige, une cascade, un accouchement, le souvenir d’un Noël, d’une crèche, d’un voyage à Las Vegas ou à Moscou, chacun des moments de tendresse partagés avec ses petits-enfants, et même “L’histoire de la dent de maman/Qui s’enlève et saute constamment…”

Claude Cruzel versifie comme elle respire : “L’écriture est pour moi un exutoire/J’ai moi-même du mal à le croire/Le premier mot posé sur le papier/Je ne peux plus m’arrêter…” Oh ! bien sûr, ses rimes n’ont pas la prétention de faire de l’ombre à celles, plus sophistiquées, d’un Paul Valéry, ou à celles, moins prosaïques, d’un Arthur Rimbaud. Mais la naïveté de cette gentille rimailleuse a du charme ; chacune de ses bluettes exprime les petites choses de la vie quotidienne avec une infinie délicatesse et une délicieuse fraîcheur naturelle. On aurait tort d’en négliger la portée. Il y a sous la simplicité de son écriture « cette espèce de musique qu’il faut entendre pour en juger » dont parlait Voltaire quand il définissait la poésie.

  • Les poèmes de Claude, Claude Cruzel, Editions Baudelaire, 152 pages, 14,50€

Un traité bienvenu

Que faire d’un poisson rouge ? Surtout ne le mettez pas dans un bocal, sinon Charlotte Arnal déboulera chez vous pour vous prouver scientifiquement que tout poisson rouge logé dans un bocal subit des souffrances dont la réalité intolérable ne saurait être niée au seul prétexte que les animaux humains sont incapables de les ressentir.

Charlotte Arnal, c’est cette militante de la cause animale, originaire de Nîmes, diplômée en biologie et en droit, qui, en 2019, a marché de Montpellier à Paris pour demander à l’Assemblée nationale que la protection des animaux soit inscrite dans la Constitution de la République française. Elle vient de publier un Petit traité pour faire avancer les droits des animaux.

Cet ouvrage documentaire est destiné au grand public, qui y trouvera tout ce qu’il faut savoir pour “mieux appréhender la question animale sous l’angle du droit”, mais il est aussi dédié à toutes celles et à tous ceux qui, par leurs actions désintéressées, “contribuent chaque jour à rendre notre monde plus juste”. On y trouve notamment plusieurs propositions de réformes institutionnelles, toutes très argumentées, et en particulier le souhait que soit créé un ministère de la Condition animale. Seuls les imbéciles en souriront. Et si Emmanuel Macron veut vraiment léguer aux générations futures “une planète plus vivable”, qu’il se dépêche de confier à une Charlotte Arnal la gestion de son bocal élyséen !…

  • L’émancipation animale. Petit traité pour faire avancer les droits des animaux, Charlotte Arnal, Double Ponctuation, 145 pages, 16 €.

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr

Lisez les chroniques de Dis-Leur !

Chronique livres : Des zèbres, un écureuil et un poisson rouge…