L’après-A 69 : Les élus de l’Aveyron inquiets pour le projet de doublement de la RN 88

La deux fois deux voies de la RN 88 bis est à l'arrêt. Ici, la RN 88 en Aveyron, à hauteur de Rodez. Ph. Olivier SCHLAMA

“Nous sommes dans le même cas de figure que la A69”, s’inquiète Arnaud Viala. Dans une motion, les élus du département de l’Aveyron qu’il préside réclame une modification de la loi pour les grands projets. Les Amis de la Terre, eux, se disent prêts à porter l’affaire devant la justice.

Ce jour-là, comme les autres jours, sur l’actuelle RN 88, on serpente sur 50 km autour de Rodez comme l’on peut au rythme d’un tracteur hoquetant devant soi et d’un semi-remorque impressionnant derrière. Sans aucune échappatoire. Prisonnier de ce ruban de bitume jusqu’à la A 75…

Il y a bien une nouvelle route qui a été validée, celle qui doublera peut-être un jour, sur deux fois deux voies, la RN 88 entre Rodez et Séverac-le-Château. L’autorisation date de 1997. Président du département, locomotive dans ce projet qui doit mobiliser les autres financeurs, Arnaud Viala en appelle à la responsabilité de l’Etat. Pour que la loi soit révisée, comme il nous l’explique ; pour que l’échec de la A 69 n’enterre pas ce barreau d’un enjeu très important.

Arnaud Viala, président du département de l’Aveyron. Ph. Olivier SCHLAMA

“L’arrêt abrupt du chantier de l’A69 entre Castres et Toulouse, dans le Tarn, marque un virage décisif dans l’approche française sur les grands travaux d’aménagement de notre territoire” : ainsi débute la motion votée par les élus départementaux de l’Aveyron. “Si elle devait se confirmer, cette décision signalerait la fin de tout projet d’envergure et signifierait que notre pays renonce à se moderniser et à poursuivre la mise en œuvre d’infrastructures de connexion et de transport pourtant indispensables.”

Là aussi, comme dans le Tarn, on invoque le développement économique et l’amélioration des déplacements en zone rurale. Dans un entretien à Dis-Leur, le président du département de l’Aveyron, Arnaud Viala appelle à “corriger la loi. C’est urgent et vital (…) Pour la rendre plus lisible, de sécuriser les procédures. Il en va de l’avenir de nos projets, de notre pays, de notre vision de la place de l’homme et de ses activités dans la société”. Et d’ajouter dans la motion : “La suspension de chantiers largement engagés ajoute au désastre écologique une aberration budgétaire à l’heure où les finances publiques sont déjà lourdement impactées.”

“Les élus de l’Aveyron signataires, solidaires des Départements de France, appellent donc à sortir au plus vite de cette situation ubuesque et demandent à l’État de s’engager pour la sécurisation des grands travaux d’infrastructures et de revoir le cadre légal et réglementaire des grands projets qui paralyse notre pays.”

Pourquoi avez-vous voté cette motion ?

Arnaud Viala : La loi sur les grandes infrastructures routières est mal faite. Je ne suis pas du tout dans une démarche de contestation de décision de justice, celle qui a mis l’A 69 à l’arrêt. Je suis dans une démarche de constat, du fait que la loi est mal faite et à force de vouloir garantir absolument tout et n’importe quoi dans les mêmes textes on en arrive à une aberration totale.

Vous craignez que la A 69 “contamine” le projet de “doublement” de la RN 88 ?

Arnaud Viala : Oui et ce n’est pas le premier projet avorté du genre. On a eu Sivens, Notre Dame des Landes, le terminal de Roissy… Il y en a eu des quantités. On fabrique des lois où l’on veut être un pays qui se modernise et s’aménage et un pays qui met “ceinture et bretelles” qui fabrique toutes les précautions. Les voies de recours sont multiples et les projets sont stoppés, parfois à des stades très avancés. C’est dramatique.

Quel est le projet de doublement de la RN 88 ?

La deux fois deux voies de la RN 88 bis est à l’arrêt. Ici, la RN 88 en Aveyron, à hauteur de Rodez. Ph. Olivier SCHLAMA

Arnaud Viala : C’est exactement le même schéma que la A 69, entre Toulouse et Castres. Mais sans péages. On est sur un linéaire de 50 km d’une nouvelle route, sur un terrain nu, qui, pour nous ne peut se faire qu’avec deux fois deux voies. C’est pour cela que l’on parle de doublement : le trafic y sera important ; que c’est un axe économique fort et de transit. Et que, surtout, la partie réalisée de Rodez à Albi est déjà à deux fois deux voies.

Ce n’est pas le doublement d’une route existante. C’est une route neuve même si on l’a également appelée RN 88. Elle sera baptisée d’une autre nom si on arrive à la faire. Avec une DUP (décision d’utilité publique) existante depuis 1997. On est aussi préoccupés de ce que dira la jurisprudence de la A 69, si jamais elle est négative pour le constructeur.

Économiquement, l’impact est énorme. Non seulement toute la vallée de l’Aveyron est une zone depuis 30 ans on a préfiguré l’arrivée de cette route pour y implanter des entreprises qui ne demandent qu’à se développer et puis c’est aussi un itinéraire de transit pendulaire d’est en ouest depuis Toulouse jusqu’à la A 75 et au-delà jusqu’à Lyon. Le projet total porte sur un linéaire qui va bien au-delà de l’Aveyron.

Quel est le coût et le financement de cette nouvelle voie ?

La deux fois deux voies de la RN 88 bis est à l’arrêt. Ici, la RN 88 en Aveyron, à hauteur de Rodez. Ph. Olivier SCHLAMA

Arnaud Viala : C’est mon combat actuel. On est dans l’Himalaya budgétaire, comme dirait Bayrou et, en plus, quand on voit le contexte juridique et judiciaire… On est atterrés. Les 50 km coûteraient quelque 500 M€, c’est l’ordre de grandeur. J’ai une vision pour mon pays, j’ai été député : on n’est pas arrivés au bout de la modernisation et de la création des infrastructures ; on est encore dans un besoin. On est un grand pays, par la surface. On a la chance d’avoir des habitants un peu partout sur le territoire. Et cette chance, il faut la garder. Si on ne permet pas les connections, routières en particulier, on va provoquer un exode rural au 21e siècle alors que ce n’est pas du tout l’aspiration des Français…

Le département est-il “locomotive” dans ce projet ?

Arnaud Viala : C’est le département de l’Aveyron qui a obtenu dans le cadre de la loi 3DS le transfert de la voie de l’Etat et des emprises foncières. Et le département est maître d’ouvrage. Nous sommes dans le tour de table comme l’est la Région Occitanie. Et nous sommes en discussion très poussée avec l’Etat à son plus haut niveau ; d’où ma présence quasi-hebdomadaire à Paris. Notre vigilance sur les suites de l’affaire de la A 69 est double.

Ne regrettez-vous pas que depuis 1997, le projet n’ait pas avancé ?

Arnaud Viala : Il y a eu du concret. La DUP portait sur un linéaire très important. Il y a eu des travaux très importants entre Rodez et Albi ; après Rodez, côté Laissac, A 75, portés par le département avant moi. Le problème c’est que nous sommes face à des enjeux financiers très lourds. Et nous arrivons dans une période défavorable.

Qu’est-ce qui empêche le démarrage des travaux ?

Arnaud Viala : L’argent. Et les dernières autorisations que nous n’avons pas parce que nous ne les avons pas sollicitées, n’ayant pas terminé le tour de table financier. Ce qui nous empêche d’aller plus vite, c’est l’argent.

Les Amis de la Terre veulent porter l’affaire devant la justice ; qu’en pensez-vous ?

A 69 à l’arrêt. Ph. Atosca

Arnaud Viala : Je n’en doutais pas… Ils iront dans toutes les démarches possibles pour empêcher ce projet d’aboutir. Ce qui souligne à quel point leur posture est idéologique et systématique. Elle n’est même pas liée au projet. Ils font une interprétation de la loi bien à eux. Dans la définition même de la raison impérative d’intérêt public”, ce qu’il faut arriver à démontrer, c’est que l’on a étudié plusieurs possibilités. En l’espèce plusieurs fuseaux routiers, plusieurs types d’aménagements et que celui qui est présenté est celui qui coche le plus de cases. On ne compare pas routes, rail, torchons et serviettes…

Des actions sont-elles prévues, par exemple, avec des élus de Haute-Loire et au-delà ?

Arnaud Viala : Nous avons pris cette motion parce que je souhaitais que l’on affiche notre solidarité avec les élus du Tarn où je me suis rendu sur le chantier de la A69 la semaine dernière avec le président des Départements de France . On est surtout combatifs. Je ne veux pas être assimilé aux élus du RN qui prétendent que c’est la justice qui ne fait pas son travail. La justice fait son travail. Avec les éléments législatifs qui lui sont fournis. C’est la loi qui est mal faite. Je réclame une modification de la loi pour qu’on ne se retrouve plus dans cette situation ubuesque. Je ne veux pas que l’on supprime le droit de recours mais que ce droit soit contenu. On ne peut pas le rendre illimité. A moment donné, on doit pouvoir arrêter la procédure. Et quand cela a été tranché après que tout le monde a donné son avis, terminé, on passe à l’acte.

Olivier SCHLAMA

Les Amis de la Terre : “On est prêt à porter l’affaire devant la justice”

L’association milite pour que la région reprenne vite la rénovation de la ligne SNCF Rodez-Séverac et de sécuriser la RN 88.

Jean Olivier, président des Amis de la Terre de Midi-Pyrénées. DR

Jean Olivier est président des Amis de la Terre de Midi-Pyrénées. “Pour des raisons budgétaires, la région suspend la rénovation de la ligne de chemin de fer Rodez-Séverac qui s’est dégradée depuis des décennies. C’était pourtant un projet sur les rails jusqu’à il y a peu. Mais la Région préfère renoncer à son financement prioritaire ainsi qu’à l’achat de 30 trains TER neufs dont elle vient de suspendre la commande au profit de la LGV et, ici, de la route. Mais elle maintient sa part sur la route. C’est contraire, affirme-t-il, à la loi LOM de 2019 qui oblige à travailler en priorité sur les infrastructures ferroviaires et les mobilités douces. C’est la même configuration que la A 69. Juridiquement, c’est un motif de nullité. Ce que prévoit le Code de l’environnement, c’est de démontrer qu’il n’y a pas d’alternative ; qu’il y a une raison impérative majeure.” Et d’ajouter : “On est prêt à porter l’affaire devant la justice. Cette route, je l’emprunte depuis ma tendre enfance”, dit-il, reconnaissant un problème de bouchons récurrents “à cause principalement des camions”. Comment fait-on désormais ? Il insiste sur le fait que le financement de la voie ferrée permettrait de soulager la route et la “sécuriser“.

“Ce projet va défigurer la haute vallée de l’Aveyron”

Camions et voitures sont à la queue leu-leu dans cette partie de l’Aveyron, ce qui la rend particulièrement insupportable. Michel Raynal, des Amis de la Terre, reprend ce qualificatif “d’insupportable” et, pour plusieurs raisons, selon lui : “Par le fait qu’il y a ce projet de deux fois deux voies, il n’y a pas eu d’amélioration de l’existant depuis longtemps. Ce projet va défigurer la haute vallée de l’Aveyron.” C’est un vieux projet qui a obtenu  une déclaration d’utilité publique en 1996.

Les Amis de la Terre font partie du collectif d’associations formant Stop RN 88 opposées, à ce projet de mise à deux fois deux voies de la RN 88. Qui, en Aveyron, se matérialise par un tronçon d’une quarantaine de kilomètre, de Rodez à Séverac-le-Château. “Notre collectif défend la mise en valeur de cette voie qui n’a pas été faite depuis longtemps. Avec la remise en état de la voie ferrée avec de plus nombreux cadencements. Il en coûtera selon nos calculs 500M€, pris sur d’autres dépenses, notamment du département.” La RN 88 (dont la section transférée au Département de l’Aveyron), un axe majeur qui relie Toulouse et Lyon, qui fera l’objet d’un investissement à hauteur de 200 M€, en Lozère, en Aveyron et dans le Tarn.

O.SC.

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