Quatre ans après la loi Molac, la commission de la culture du Sénat propose 23 mesures “ambitieuses” en faveur de l’enseignement des langues régionales. Elle préconise notamment de développer les filières bilingues dans l’enseignement public, de sécuriser le financement des réseaux privés d’enseignement immersif, ou encore de permettre aux élèves de composer en langue régionale au brevet et au baccalauréat.
Comment faire vivre les langues régionales, notre patrimoine commun ? Une commission sénatoriale prône dans un rapport senti, rendu public, à appeler à un effort massif de formation des professeurs, condition indispensable pour assurer l’avenir des langues régionales, patrimoine immatériel vivant de notre nation. La promotion des langues régionales passe aussi par leur inscription et leur visibilité dans l’espace public. Ce à quoi se résout de plus en plus la Région Occitanie qui fait déjà beaucoup, comme nous l’expliquait Benjamin Assié, élu régional.
La région Occitanie s’est donné comme mission d’aider à ouvrir un cursus bilingue ; développer l’enseignement renforcé ; aider à l’ouverture d’une calendreta ; déployer une signalétique bilingue… L’Office public de la langue occitane a élaboré douze fiches-conseil pour les maires. Sur 4 500 communes d’Occitanie, 500 devraient déjà s’en saisir : elles s’étaient prononcées en faveur d’une politique active de vulgarisation dans une grande enquête menée par la Région Occitanie. Et c’est aussi pourquoi Dis-Leur ! a initié une chronique occitane depuis sa création en 2019 ICI.
“Le nombre de locuteurs continue de s’effondrer”

Ph. Olivier SCHLAMA
Plus généralement, “sans sursaut politique et sociétal fort, ces langues seront quasiment éteintes d’ici une à deux générations”, alertent les sénateurs Max Brisson et Karine Daniel dans leur rapport d’évaluation de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, publiée le 17 octobre. Adoptée dans un “large consensus”, la loi visait à “renforcer l’enseignement, sécuriser l’usage dans l’espace public et reconnaitre la valeur patrimoniale des langues régionales. Quatre ans après son adoption, la mission sénatoriale ne peut que constater que “le nombre de locuteurs continue de s’effondrer”.
“Plus de 70 langues sont encore parlées dont la plupart sont menacées de disparition à moyen terme”
“Plus de 70 langues régionales sont encore parlées en France, rappellent les membres de la commission. Pourtant, la plupart sont menacées de disparition à moyen terme. Face à ce constat alarmant, la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, dite loi Molac, constitue la première loi de promotion et de défense de ces langues. Elle a suscité un immense espoir dans les territoires concernés” (lire ci-dessous).
En cause, la transmission de ces langues dans le cadre familial ayant quasiment disparu, l’avenir de celles-ci est désormais lié à son enseignement hors de la maison. Et à l’école, s’il y a eu des progrès dans le primaire avec des conventions structurant l’offre dans certains territoires, ce n’est toujours pas le cas dans le secondaire. Comme le rappelle Karine Daniel (socialiste, Loire-Atlantique), “si le nombre d’élèves suivant un enseignement de langue régionale augmente, le rythme reste trop lent pour compenser la disparition rapide des locuteurs”.
Un sursaut politique et sociétal s’impose. Pour Max Brisson (LR-Pyrénées- Atlantiques), “nombreux ont été les ministres à affirmer leur attachement aux langues régionales. Il est désormais temps que ces propos tenus à la tribune des assemblées nationales se traduisent en actes”.
Un bilan en trompe l’oeil

Parce que le bilan de ces années se pose en trompe-l’oeil. À la rentrée 2023, plus de 107 000 élèves de primaire suivent un enseignement de langue vivante régionale. De la maternelle au lycée, ce sont 168 000 élèves qui sont concernés. Les effectifs de primaire sont en progression de 47 % entre 2021 et 2023, soit une augmentation de près de 35 000 élèves. Cette augmentation est d’autant plus remarquable que sur la même période le nombre d’écoliers chute de 172 000 en raison de la déprise démographique. Le nombre de filières bilingues augmente également légèrement. Les filières immersives à l’école primaire publique, bien que restant pour l’instant relativement confidentielles, se développent.
Dans le détail, pour le nombre d’élèves du premier degré suivant un enseignement de la langue régionale (public et privé sous contrat), il atteint une progression de 30 % entre 2021 et 2023, de 20 067 à 26099 élèves en occitan. Pour le catalan, la progression est moins forte, 3 %, de 12 964 élèves en 2021 à 13 289 en 2023.
“Ouvertures de filières bilingues : parcours du combattant”
Mais “cette évolution doit toutefois être nuancée sur trois points, indique le rapport sénatorial : le rythme du développement de l’enseignement est insuffisant pour compenser la diminution du nombre de locuteurs. À titre d’exemple, plus de 60 % des brittophones (le parler breton) sont actuellement âgés de plus de 60 ans. Par ailleurs, les ouvertures de filières bilingues sont décrites comme un parcours du combattant par les acteurs concernés, avec un manque d’information des parents par l’éducation nationale et des règles d’ouverture qui changent d’une année sur l’autre.”
Et les données sur les effectifs transmises par le ministère de l’Éducation nationale ne font pas la distinction entre les différentes intensités dans l’apprentissage de ces langues, qui peuvent varier de quelques heures par an dans le cadre d’une sensibilisation ou initiation à un volume hebdomadaire plus élevé avec l’enseignement renforcé (trois heures par semaine), la parité horaire voire l’enseignement immersif.

Si l’on n’évoque que l’occitan, le rapport sénatorial est limpide : Selon l’état des lieux 2020 de l’office public de la langue occitane.“7 % des personnes interrogées dans les régions Occitanie et Nouvelle-Aquitaine ainsi que dans le Val d’Aran en Espagne déclarent parler occitan sans difficulté ou suffisamment pour tenir une conversation simple. Cette proportion varie fortement selon les départements. Elle n’est que de 2 % dans les départements fortement urbanisés, mais atteint 22 % pour les territoires plus ruraux.”
Devant la quasi-disparition de la transmission familiale des langues régionales, la loi Molac mettait l’accent sur l’école en renforçant l’enseignement à travers des conventions entre État et collectivités territoriales, et en clarifiant la participation financière des communes à la scolarisation de leurs élèves dans des établissements privés d’enseignement bilingue.
Le modèle immersif fragilisé
Pourtant, soulignent les mêmes sénateurs, la loi Molac a connu un “séisme” avec la censure par le Conseil constitutionnel de son article relatif à l’enseignement immersif, méthode considérée comme particulièrement efficace pour former des locuteurs de bon niveau mais jugée contraire à l’article 2 de la Constitution qui édicte “la langue de la République [et par extension de l’enseignement, ndlr] est le français”. Si une circulaire de décembre 2021 a ouvert “une voie de passage” en assouplissant le calcul de la parité horaire à l’échelle des cycles scolaires, cette fragilisation du modèle immersif a “affaibli très fortement” les réseaux associatifs en Bretagne, Alsace, Pays basque, Occitanie, Catalogne et Corse, alors même que des contrats d’association lient certains de leurs établissements avec l’Éducation nationale depuis plus de trente ans.
“Abandon massif” à l’entrée dans le secondaire

Mais au passif, on relève des ouvertures de filières bilingues décrites comme “un parcours du combattant” et un flou sur l’intensité des apprentissages, car les données de l’Éducation nationale ne distinguent pas entre les quelques heures annuelles d’une simple initiation, l’enseignement renforcé à trois heures par semaine ou l’enseignement immersif.
Surtout, la mission constate un “abandon massif” de l’apprentissage des langues régionales à l’entrée dans le secondaire. Si l’on comptait 107.192 élèves suivant un enseignement de langue régionale en primaire à la rentrée 2023, ils n’étaient plus que 47 882 au collège et 13 091 au lycée. Explication des rapporteurs : “La réforme du lycée a oublié les langues régionales”, celles-ci n’ayant été rattrapées qu’in extremis sous forme d’options et de LVC (troisième langue) souvent placées en fin de journée ou sur la pause déjeuner.
Bilan “très mitigé” pour les conventions État-collectivités
Pour expliquer cette trajectoire négative, les rapporteurs évoquent le bilan “très mitigé” des conventions signées entre l’État et les collectivités territoriales. “Des territoires ne sont toujours pas couverts [par exemple pour le catalan, ou en Loire-Atlantique pour le breton], certaines conventions n’ont pas été renouvelées ou ne sont pas appliquées”, déplore la mission. Par ailleurs, quand elles existent, ces conventions voient leur mise en œuvre entravée par “un contexte budgétaire tendu et incertain” ainsi que par “une très forte carence en ressources humaines”, ce que la mission considère comme le “principal frein au développement de l’enseignement des langues régionales”. Pour l’occitan, il n’existe par exemple qu’un emploi et demi en équivalent temps plein itinérant pour l’ensemble des écoles primaires du Cantal…
Macron : “Un instrument au fond de division de la Nation”
La bataille n’est pas gagnée… L’école, sous la Troisième République s’est, rappelons-le, construite contre les langues régionales. Il est d’ailleurs à noter que la méfiance de la République vis-à-vis de ces langues susceptibles de remettre en cause son unicité reste latent comme en témoignent les discussions au Conseil constitutionnel sur la charte des langues régionales en 1999. Faut-il vraiment rappeler le combat des instituteurs de Jules Ferry, ces “hussards noirs de la République”, qui n’ont justement eu de cesse de décourager le maintien ou le développement des langues régionales, pour édifier l’unité du pays ? Ou, plus récemment, le discours du président de la République à l’Académie française en 2024 : “La langue a été le creuset de l’unité du Pays d’abord de ses textes administratifs, des lois et des jugements prononcés elle a été la fabrique d’une nation qui, sinon, s’échappait entre ses langues vernaculaires, ses patois, ses différentes langues régionales, qui, pour nombre d’entre elles, existent encore mais étaient un instrument au fond de division de la Nation”…
Olivier SCHLAMA
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Nota bene. Les rapporteurs, dans un souci de précision et d’efficience, ont souhaité centrer leurs travaux sur les articles relatifs à l’enseignement. En effet, alors que, pour beaucoup de langues, la transmission familiale est devenue marginale, le futur des langues régionales passe nécessairement par l’école. Par ailleurs, ils ont également restreint pour l’essentiel le champ de leur rapport au territoire métropolitain. À cet égard, ils soulignent la spécificité des langues ultramarines sur deux points : d’une part, l’usage social de ces langues, tout comme leur utilisation dans un contexte familial sont encore importants ; d’autre part le cadre applicable aux territoires d’outre-mer est différent en raison de lois organiques spécifiques.
“Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France”
L’introduction du rapport sénatorial est éclairante qui replace les langues régionales dans leur contexte historique. “Dès la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la consolidation de notre République est caractérisée par une volonté farouche d’éradiquer, au nom de l’unité nationale, les particularismes locaux, au premier rang desquels figurent ce que nous appelons aujourd’hui les langues régionales et de les reléguer dans la sphère privée. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de manière variable selon les régions, leur transmission au sein des familles décline progressivement au profit du français, symbole de modernité et d’ascension sociale. Cette rupture, particulièrement forte sur le territoire hexagonal, se manifeste au sein d’une même famille où la langue régionale maternelle est pratiquée avec les enfants nés à la fin des années 50 et non leurs frères et sœurs nés une dizaine d’années plus tard.”
La loi Deixonne de 1951 relative à l’enseignement des langues et
dialectes locaux reconnaît certes leur existence, mais est davantage un texte de
tolérance de ceux-ci à l’école au service des apprentissages fondamentaux que
de valorisation.
Mobilisation dès les années 1970
Et : “Face au déclin de ces langues, les militants associatifs puis les élus locaux se mobilisent à partir des années 1970. Les premières classes bilingues publiques et les premières écoles immersives associatives, bientôt fédérées en réseaux et passant sous contrat d’association avec l’État dans les années 1990, apparaissent. La question de la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires en 1999 met sur le devant de la scène sociétale et politique le débat sur la place et la reconnaissance de ces langues, mais aussi alerte sur les dangers qui pèsent sur celles-ci, en raison de la diminution du nombre de locuteurs.”
Neuf ans plus tard, les langues régionales sont inscrites dans la Constitution à l’article 75-1 qui dispose qu’elles “appartiennent au patrimoine de la France”. Toutefois, cette modification du texte fondamental de notre pays reste à l’état de symbole, sans conséquences concrètes. Constatant cette inertie, le député Paul Molac, dépose le 30 décembre 2019 sa proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion. Faisant l’objet d’un large consensus au sein des deux chambres, tout groupe politique confondu, elle est
adoptée le 8 avril 2021.
“À bien des égards, il s’agit du premier texte concret de promotion des langues régionales. Son adoption fait naître de nombreuses attentes et espoirs – mais aussi des inquiétudes et une certaine colère sur les territoires à la suite de la censure de deux articles par le Conseil constitutionnel dont celui relatif à l’enseignement immersif. Quatre ans après le vote de cette loi, la commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport a inscrit dans son programme de contrôle une évaluation transpartisane de ce texte.”
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