Alors que la santé mentale a pourtant été érigée grande cause nationale mais sans mesures adéquates, l’étude de la Mutualité française décortique un cocktail dangereux mêlant anxiété liée à un “monde en crise” ; temps d’écran et cyber-harcèlement ; manque d’accès aux soins ; précarité et manque de vie sociale…
C’est une enquête, menée auprès de 5 633 jeunes de 15 ans à 29 ans, qui n’a rien de réjouissant. Selon la Mutualité française, les jeunes sont massivement touchés par les problèmes de santé mentale : 25 % d’entre eux sont atteints de dépression (davantage de femmes, 27 %, que d’hommes, 22 %), révèle une enquête qui vient d’être publiée par la Mutualité Française avec les Instituts Montaigne et Terram. Elle dresse un état des lieux inquiétant qui met notamment en lumière des inégalités entre les jeunes et des difficultés d’accès aux soins. Et tout un cocktail de raisons.
L’enquête montre de fortes inégalités en fonction des régions. Les statistiques s’envolent en Outre-Mer : 37 % en Guadeloupe ; 44 % en Martinique et jusqu’à plus d’un jeune sur deux en Guyane (52 %). Des chiffres sans équivalent dans l’Hexagone, où les proportions oscillent entre 19 % (Bourgogne-Franche-Comté) à 28 %
(Provence-Alpes-Côte d’Azur). Et un peu moins en Occitanie. “À cette détresse en Outre-Mer, commentent les auteurs, s’ajoute un fort mécontentement à l’égard des services publics (santé, éducation, transports) : 43 % des jeunes ultramarins se déclarent insatisfaits des services essentiels, soit plus du double de la moyenne nationale (21 %).”
Les jeunes des métropoles davantage touchés

Selon cette même étude, les jeunes urbains (27 %) sont davantage touchés que les jeunes vivant en zones rurales (20 %). Ces derniers semblent étrangement “immunisés” avec 11 % se déclarant en “mauvaise santé mentale” contre 17 % dans les grandes villes.
Selon les auteurs, les jeunes ruraux vivraient dans un cadre “plus protecteur”, “plus familial”. Et que ceux qui vivent dans nos métropoles vivraient dans “un isolement plus fort”, avec des “vulnérabilités économiques plus fréquentes”, s’agissant notamment des jeunes étudiants. Avec aussi un biais : la sur-représentation des étudiants dans les grandes villes. Une situation paradoxale puisque en zones rurales, les jeunes souffrent d’un manque de loisirs, de transports et d’activités, déclarent-ils. Et qu’ils subissent dans leur géographie une “immobilité contrainte”.
Temps d’écran et cyberharcèlement
Sans surprise, en revanche, la place très importante dans la santé mentale des jeunes : le temps passé devant des écrans. Pas moins de 44 % des jeunes passent plus de trois heures par jour sur les réseaux sociaux et 10 % y consacrent entre cinq et huit heures. “Plus le temps d’écran augmente, plus les troubles s’intensifient: 44 % de ceux qui y passent plus de 8 heures sont en dépression.” C’est trois fois plus que ceux qui y passent moins d’une heure (15 %). “Le cyberharcèlement concerne plus d’un jeune sur quatre (26 %), dont 5 % de manière récurrente. Parmi ces victimes fréquentes, 52 % présentent un état dépressif, soit plus du double de la moyenne (25 %). Toujours selon l’étude, 7 % des jeunes disent y chercher un soutien moral ou échanger sur des forums, symptôme d’un appel à l’aide: 45 % d’entre eux souffrent de dépression (contre 25 % en moyenne).”
“Peur du jugement ou de la stigmatisation et coût des consultations”
Autre problématique; l’attente pour l’accès aux soins. L’enquête de la Mutualité montre que seuls 38 % des jeunes ont déjà parlé santé à un professionnel mais que 19 % qui en ressentaient le besoin ne l’ont pas fait. Et, parmi ceux qui ne l’ont pas fait, 24 % évoquent “la peur du jugement ou de la stigmatisation” ; 17 % “le coût des consultations” et 18 % le fait que la démarche ne les aiderait pas. Ces jeunes-là demandent à ce que l’on facilite l’accès à ces soins psychologiques et que l’on renforce “la sensibilisation” : deux priorités que 36 % d’entre-eux citent.
Ce n’est pas tout. Ces mêmes jeunes interrogés demandent également à 34 % que ces soins soient “plus accessibles financièrement” ; et d’encourager les pratiques favorisant leur bien-être (sport, culture ou la relaxation). Enfin, 15 % des jeunes estiment également prioritaire la lutte contre le harcèlement. Il y a bien eu des annonces à l’issue des assises de la santé scolaire en mai dernier, sous l’égide de la ministre de l’Education nationale, Elisabeth Borne. Mais jugées insuffisantes par les syndicats.
“L’anxiété d’un monde en crise pèse lourd”

Parmi les raisons évoquées de la dépression chez de nombreux jeunes, l’étude de la Mutualité française retient “l’anxiété d’un monde en crise (qui) pèse lourd”. De la même manière, 94% des jeunes se disent inquiets pour au moins un enjeu majeur : leur avenir personnel (68 %), l’actualité internationale (83 %) ou la crise environnementale (77 %). “L’éco-anxiété devient un facteur identifié: elle touche plus de 10 millions de personnes en France et alimente une dynamique auto-entretenue entre anxiété face au monde et troubles psychiques.” Près de 9 jeunes sur 10 (86 %) déclarant avoir une mauvaise santé mentale se disent inquiets pour leur futur individuel, contre 6 sur 10 (60 %) parmi ceux qui la jugent bonne.
Précarité, instabilité et manque de vie sociale
Précarité et instabilité : les racines sociales du mal-être : c’est l’autre raison évoquée par cette étude : 47 % des jeunes en grande précarité souffrent de dépression, près de trois fois plus que chez les jeunes sans difficultés économiques (16%). “La situation dans l’enfance crée un terrain de vulnérabilité psychique durable : 35 % des jeunes ayant grandi dans un foyer relationnellement instable présentent un état dépressif, contre 15 % chez ceux issus d’un environnement familial stable”, abondent les auteurs.
La vie sociale a une grande importance. Sans surprise, l’étude démontre que “la proportion de jeunes se déclarant en bonne santé mentale est nettement plus faible chez ceux qui estiment avoir une vie sociale peu active (43 %) que parmi ceux qui la jugent riche (73 %). Parmi les jeunes qui déclarent en avoir une peu active, 59 % ressentent une solitude persistante, contre 41 % en moyenne. L’absence d’engagement dans des pratiques sportives ou culturelles va de pair avec un sentiment accru d’isolement. Plus de la moitié des jeunes sans activité physique régulière (51 %) jugent leur vie”.
Olivier SCHLAMA