Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour de Patrice Teisseire-Dufour, Anaïs Jaunay et Laurent Cachard.
Galeries de portraits
L’art du portrait, en littérature, n’est jamais neutre. La description d’un personnage, qu’il s’agisse d’un personnage fictif ou d’un personnage réel, porte toujours la marque de son auteur. Tout portrait a un objectif, une fonction ; il traduit les intentions de son auteur. Et un même portrait peut remplir plusieurs fonctions selon les critères physiques, psychologiques, moraux ou sociaux utilisés par l’auteur pour définir son personnage.
Les grands romanciers du XIXe siècle – Honoré de Balzac, Eugène Sue, Emile Zola, etc.- restent, en la matière, les meilleures références parce que, à leur époque, l’écrit n’étant pas encore concurrencé par l’image, la description des personnages, qu’ils soient fictifs ou journalistiques, se devait d’être aussi exhaustive que possible pour retenir – captiver – l’attention des lecteurs. Les meilleurs romanciers étaient ceux qui maîtrisaient l’art du portrait avec assez de talent pour jouer sur toute la gamme des fonctions recherchées en donnant l’impression de le faire sans le moindre effort.
Les quatre fonctions du portrait
C’est à leurs œuvres que renvoient les codes académiques qui encadrent aujourd’hui l’art du portrait en littérature auquel la Bibliothèque nationale de France, officiellement, assigne quatre fonctions : une fonction référentielle, une fonction narrative ou explicative, une fonction symbolique, une fonction esthétique.
Le portrait a une fonction référentielle quand il “a pour but de permettre au lecteur de se forger une idée précise du personnage, de le visualiser en le rendant vraisemblable”. Le portrait a une fonction narrative ou explicative quand “il met en valeur un personnage à un moment précis de son histoire”. Le portrait a une fonction symbolique quand “il montre la portée sociale, morale ou psychologique d’un personnage”. Le portrait a une fonction esthétique quand “il décrit un personnage selon les critères du beau ou du laid prévalant à l’époque où l’auteur le situe”. Tout dépend de l’effet recherché par son auteur.
Le portrait d’un petit village devenu grand
 Premier exemple. Patrice Teisseire-Dufour, journaliste toulousain, reporteur tout terrain, ancien rédacteur de L’Indépendant, La Semaine du Roussillon, La Dépêche du Midi, collaborateur permanent de Pyrénées Magazine (Milan Presse), vient de signer, aux éditions Privat, un ouvrage destiné à raconter l’histoire de Saint-Lary Soulan, un petit village des Hautes-Pyrénées situé au fond d’une vallée, la Vallée d’Aure, “devenu, en soixante-dix ans, une des plus vastes stations de ski des Pyrénées françaises avec plus de 100 kilomètres de piste mais aussi une cité thermale et une commune au patrimoine naturel remarquable incluse dans le Parc national des Pyrénées…” Il se devait de mettre en valeur cette métamorphose. Il l’a fait en journaliste localier.
Premier exemple. Patrice Teisseire-Dufour, journaliste toulousain, reporteur tout terrain, ancien rédacteur de L’Indépendant, La Semaine du Roussillon, La Dépêche du Midi, collaborateur permanent de Pyrénées Magazine (Milan Presse), vient de signer, aux éditions Privat, un ouvrage destiné à raconter l’histoire de Saint-Lary Soulan, un petit village des Hautes-Pyrénées situé au fond d’une vallée, la Vallée d’Aure, “devenu, en soixante-dix ans, une des plus vastes stations de ski des Pyrénées françaises avec plus de 100 kilomètres de piste mais aussi une cité thermale et une commune au patrimoine naturel remarquable incluse dans le Parc national des Pyrénées…” Il se devait de mettre en valeur cette métamorphose. Il l’a fait en journaliste localier.
Fermier, joueur de rugby, berger-sculpteur, libraire, monitrice de ski devenue pâtissière…
Sous sa plume, cette histoire est devenue une saga. Non qu’il ait usé d’artifices ou brodé en abusant de superlatifs superfétatoires. Bien au contraire. Il l’a fait d’une plume sobre, factuelle, dépourvue de fioritures. En faisant le choix de raconter la métamorphose de Saint-Lary Soulan à travers les portraits des hommes et des femmes dont les actes individuels, additionnés, l’ont, peu à peu, accomplie. Il y a dans cette galerie, bien sûr, le portrait de la championne de ski Isabelle Mir, médaille d’argent en descente aux Jeux olympiques de Grenoble en 1968, dont la famille est à l’origine de la création de la station Lisez notre article ICI.
Mais il y a aussi le portrait d’un dameur-pisteur, d’un fermier, d’un joueur de rugby, d’un berger-sculpteur, d’un restaurateur, d’une libraire, d’un accompagnateur en montagne, d’une monitrice de ski devenue pâtissière, d’un chef cuisinier, de la cheffe de la police municipale, etc.
Charge émotionnelle
Ces portraits de personnalités locales sont accompagnés de photos. Celles-ci rendent inutile toute description physique. Ces portraits jalonnent le texte principal, qui raconte comment le petit village est devenu une grande station habitée par un attachant corps social. La fonction de ces portraits est à la fois référentielle et symbolique. Chacun d’eux contient une charge émotionnelle. Leur juxtaposition donne une dimension charnelle à tout le reste. Patrice Teisseire-Dufour n’a pas eu besoin d’en rajouter. Chaque portrait est construit de la façon la plus simple qui soit : quelques éléments factuels pour présenter la personnalité concernée, résumer son parcours, et des guillemets ouverts pour la laisser parler. L’auteur s’efface derrière son sujet, se fait filigrane. C’est propre, net, bien fait. Cela donne un beau livre sur un bel endroit et de belles personnes.
- Saint-Lary Soulan, authentique, sportive et pyrénéenne, Patrice Teisseire-Dufour, Photographies : Arnaud Späni, éditions Privat, 145 pages, 32 €.
Le portrait d’une génération
Deuxième exemple. Anaïs Jaunay, ancienne journaliste de France 2, réalisatrice de documentaires, scénariste, maîtresse de conférences associée en communication à Paris, se consacre aujourd’hui à l’écriture de portraits d’entreprises et d’entrepreneurs. Elle a accepté d’aider la Fédération nationale des associations de directeurs d’établissements et services pour personnes âgées (Fnadepa) à concevoir et réaliser, à destination du grand public, un ouvrage portant “un regard positif sur le vieillissement et l’accompagnement du grand âge”. Le pari était audacieux.
 Comment intéresser le grand public à la vie quotidienne des personnes âgées, en particulier à la vie routinière de celles qui résident dans les Ehpad ? Anaïs Jaunay a fait le choix intuitif de bousculer les idées reçues en portant sur l’univers clos des séniors “un regard décalé et positif” en rupture avec les clichés. Mais il lui a fallu parcourir toute la France des Ehpad pour trouver à raconter des histoires vraies validant son intuition originelle. Et elle les a trouvées ! Et elle en a fait des perles assemblées comme un collier littéraire dont la fonction narrative devient symbolique.
Comment intéresser le grand public à la vie quotidienne des personnes âgées, en particulier à la vie routinière de celles qui résident dans les Ehpad ? Anaïs Jaunay a fait le choix intuitif de bousculer les idées reçues en portant sur l’univers clos des séniors “un regard décalé et positif” en rupture avec les clichés. Mais il lui a fallu parcourir toute la France des Ehpad pour trouver à raconter des histoires vraies validant son intuition originelle. Et elle les a trouvées ! Et elle en a fait des perles assemblées comme un collier littéraire dont la fonction narrative devient symbolique.
Prouver que vieillir est aussi, pour certains d’entre nous, “une chance”
D’une résidence de Perpignan, elle a ramené le récit savoureux d’une escapade amoureuse rocambolesque. D’une résidence de La Farlède (Var) elle a ramené le dénouement bouleversant d’un cold case. D’une résidence de Saint-Vivien-de-Médoc (Gironde), elle a ramené le récit inattendu d’une drôle de virée en boîte de nuit. D’une résidence d’Hyères (Var), elle a ramené le portrait décapant d’un geek nonagénaire. D’une résidence de Saint-Martin-de-Sanzay (Deux-Sèvres), elle est revenue avec le souvenir d’une exposition de photos rock’n’roll. Etc.
Cela fait une vingtaine d’histoires vraies, plus ou moins fictionnées pour en renforcer la narration ; elles se fondent sur les témoignages des intéressés ou des professionnels recueillis au sein des établissements du réseau de la Fnadepa. Les héros et les héroïnes de cet original “feuilleton” s’appellent Pierre, Paulette, Joseph, Berthe… Ils font partie de ces gens que l’on dit vieux mais leur particularité est d’avoir en commun de ne se préoccuper ni de leur âge, ni de leur autonomie, parfois réduite, pour continuer à vivre en s’amusant, en rêvant, en aimant, en explorant de nouveaux territoires de vie. Cette galerie de portraits-là n’est pas illustrée mais Anaïs Jaunay, rompue à l’art du reportage, donne à voir tous les personnages qu’elle a croqués avec une empathie communicative qui atteint pleinement l’objectif recherché par son commanditaire : prouver que vieillir est aussi, pour certains d’entre nous, “une chance”. La lecture de ce livre est roborative.
- Vous Avez dit Vieux ?, Anaïs Jaunay, Cap Béar éditions, 194 pages, 16 €.
Le portrait global
Troisième exemple : le portrait total. Celui dans lequel se fondent toutes les fonctions. Le portrait façon Laurent Cachard. Chez ce boulimique de l’écriture, à l’aise dans tous les genres et tous les formats, qui swingue comme on respire sur la musique des mots autant que sur celle des partitions, le souci de la belle ouvrage, dans l’expression littéraire, prévaut toujours sur toute autre considération.
Qu’il s’agisse de construire une saga romanesque à la manière des grands auteurs russes – le premier tome de son Aurélia Kreit lui a demandé dix ans de travail – ou d’improviser en quinze jours, pour le théâtre, les cinq actes d’un Dom Juan revenu des enfers, Laurent Cachard s’attelle toujours à la recherche de l’excellence formelle, par discipline, et par plaisir de la discipline, parce qu’il fait partie des rescapés de la civilisation de l’écrit restés fidèles à l’idée que tout écrivain digne de ce nom doit à ses lecteurs – comme le prof le doit à ses élèves – de tendre à l’idéal dans chacune de ses œuvres, dans les plus modestes comme dans les plus ambitieuses. Question d’état d’esprit.
“Arrêter l’instant”
 Quand l’éditeur de l’An Demain, Jean-Renaud Cuaz, lui a proposé, en 2023, de mettre en chantier une série de portraits de gens de Sète, sa ville d’adoption, où il exerçait alors comme prof de lettres au Lycée de la Mer, il n’a donc pas hésité un seul instant parce qu’il a vu dans cette offre l’opportunité d’élargir sa palette dans un genre littéraire qu’il pratiquait déjà, en privé, quand il s’amusait à croquer certains de ses proches dont il voulait, selon son expression, “arrêter l’instant”.
Quand l’éditeur de l’An Demain, Jean-Renaud Cuaz, lui a proposé, en 2023, de mettre en chantier une série de portraits de gens de Sète, sa ville d’adoption, où il exerçait alors comme prof de lettres au Lycée de la Mer, il n’a donc pas hésité un seul instant parce qu’il a vu dans cette offre l’opportunité d’élargir sa palette dans un genre littéraire qu’il pratiquait déjà, en privé, quand il s’amusait à croquer certains de ses proches dont il voulait, selon son expression, “arrêter l’instant”.
Deux ans plus tard, Laurent Cachard a déjà livré au public, sous le titre Figures Singulières, cinquante “portraits de Sétois d’aujourd’hui”. Ce sont des textes longs, rédigés avec un soin méticuleux, à la fois distanciés et intimistes. “J’appelle ça psychologisant”, explique-t-il. “Quand je rencontre quelqu’un, je fais à la fois la restitution de ce qu’il me dit, de son parcours, mais aussi de ce que je perçois de la personne pendant qu’elle me le dit. Il y a une part d’interprétation, de subjectivité de mon regard” (Hérault-tribune, janvier 2025). {Dis-Leur lui avait consacré un portrait un an plus tôt ICI}.
“Une main qui caresse et une autre qui griffe…”
Grand lecteur de presse, Laurent Cachard pratique l’art du “portrait pleine page” comme le font les meilleures plumes des grands journaux. Il connait les secrets de fabrication d’une bonne interview : il sait créer un climat de confiance avec l’interlocuteur qu’il choisit ; il sait choisir la meilleure stratégie pour l’amener à se confier (entretien directif, non directif, semi directif) ; il sait choisir le bon endroit car on n’interroge pas les gens n’importe où ; il sait choisir le bon ton, poser les questions, les bonnes questions, etc. Mais chaque interview renouvelle le jeu du chat et de la souris. Un jeu dont il se délecte : “Une main qui caresse et une autre qui griffe…”
Un jeu au cours duquel le romancier développe sa propre stratégie en distillant ses réflexions personnelles en contre-point de ses observations. Il raconte les autres en se regardant lui-même dans le miroir qu’il leur tend. Il rédige ainsi ce qu’il appelle son alter-biographie. Sous l’intervieweur s’active le passionné des mots, le mélomane, le cinéphile. Chacun de ses portraits est une gourmandise emballée sous un titre de polar : Macaronigt fever, Les Oiseaux de Bocage, Hier à Sousse, Chicken fun, Racine Karé, Tout pour ma Cherry, All the Président’s man, Parti en Cacahuète, Un Zeste Zélé de Zinc Zen, Very Bad Georges, etc. On se régale. Comme eût dit l’autre Georges, The Only One, chez ce fils de Guignol converti à la religion sétoise de la macaronade y a rien à jeter.
- Figures Singulières, tome 2, Laurent Cachard, 35 pages, L’An Demain éditions, 19 €.
                                                                                                                           Alain ROLLAT
                                                                                                                 alain.rollat@orange.fr
