C’est le grand mythe de notre temps. L’un des rares temples français de l’intelligence artificielle (IA) s’établira à Toulouse en septembre. La décision a été annoncée ce 24 avril 2019. L’université fédérale de la Ville Rose a franchi un cap majeur dans ce dossier. Une réussite qui rejaillira sur toute l’Occitanie. Le point avec Nicholas Asher, directeur scientifique du 3IA Aniti, et Philippe Raimbault, président de l’Université fédérale de Toulouse.
L’université fédérale de Toulouse touche le Graal. Après avoir été retenue en février par un jury international parmi les quatre finalistes français à un projet d’institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle (1) avec Saclay (Paris), Nice et Grenoble. À la suite à l’appel à manifestations d’intérêt issu du rapport du député et mathématicien de renom Cédric Villani, lancé dans le cadre du programme national de recherche en intelligence artificielle, et annoncé par le Président de la République. Le site toulousain est arrivé à l’acmé de cette très sélecte sélection de l’Agence nationale de la recherche (ANR).
Toulouse devrait vraisemblablement accueillir à l’automne 2019 l’un des quatre instituts dédiés à l’intelligence artificielle (3IA) voulu par le gouvernement français. La décision ultime sera prise en mai prochain, après une dernière audition des porteurs de projets le 11 avril. Pour une ouverture espérée en septembre 2019.
Le jury a été impressionné par la qualité et la cohérence de notre dossier. Nous regardons comment mettre de l’intelligence artificielle dans les avions, dans le domaine de la santé, etc. Dans des systèmes où la vie est en jeu.”
Nicholas Asher, directeur scientifique du 3IA Aniti.
“Le jury a été impressionné par la qualité et la cohérence de notre dossier. Nous regardons comment mettre de l’intelligence artificielle dans les avions, dans le domaine de la santé, etc. Dans des systèmes où la vie est en jeu”, réagit pour Dis-Leur ! Nicholas Asher. Le directeur scientifique du projet 3IA Aniti a du mal à contenir sa joie d’être si près du but. “Le jury peut toujours refuser in fine la labellisation, dit-il… Tout en rassurant : “Les jurés ont bien noté l’implication totale de nos partenaires industriels…” Qui dit labellisation dit argent : “Le projet est évalué entre 80 millions d’euros et 100 millions d’euros. Divisés en trois tiers : L’Etat, les partenaires industriels (Airbus, Continental, Thalès, Pierre Fabre…) et enfin les institutions, y compris scientifiques (CNRS, Universités, INRA, INSERM…)
Et, s’il est retenu, le projet Aniti bénéficiera d’un budget de 20 millions d’euros par an pendant quatre ans, financés par l’État, les partenaires industriels, les établissements universitaires et les organismes de recherche scientifique et technologique, avec le soutien des collectivités locales. “La métropole nous prêtera des locaux, dans le bâtiment B 612 de l’université. Nous utiliserons également d’autres locaux, à Rangueil.”
L’institut rassemblera plus de 200 chercheurs. L’enjeu est de faire de Toulouse l’un des leaders mondiaux de l’intelligence artificielle, avec l’objectif de doubler le nombre d’étudiants en IA et de créer plus d’une centaine de start-up d’ici 2023.”
L’IA, deux lettres qui peuvent rapporter gros à la métropole toulousaine mais au-delà à la région Occitanie tout entière. Le projet toulousain ANITI (Artificial and Natural Intelligence Toulouse Institute) “rassemblera plus de 200 chercheurs issus de 33 laboratoires de recherche. L’enjeu est de faire de Toulouse un des leaders mondiaux de l’intelligence artificielle en recherche, formation, innovation et développement économique, avec l’objectif de doubler le nombre d’étudiants en IA et de créer plus d’une centaine de start-up d’ici 2023”. Les thématiques du projet toulousain sont : la mobilité et les transports, l’environnement, l’agriculture et la santé.
“L’ambition du projet Aniti est aussi de développer une nouvelle génération d’intelligence artificielle dite hybride, associant de façon intégrée des techniques d’apprentissage automatique à partir de données et des modèles permettant d’exprimer des contraintes et d’effectuer des raisonnements logiques”, explique-t-on au sein de l’université fédérale. “Cette approche permettra d’apporter de meilleures garanties en termes de fiabilité et de capacité d’expliquer et d’interpréter les résultats des algorithmes utilisés, tout en veillant à l’acceptabilité sociale et la viabilité économique. De telles garanties sont requises par le type d’applications ciblées par le projet comme par exemple les véhicules autonomes du futur.”
Une partie de la réussite de l’IA réside dans le niveau d’acceptation par le public de ce qui est annoncé comme une révolution.”
Nicholas Asher.
“Une partie de la réussite de l’IA réside dans le niveau d’acceptation par le public de ce qui est annoncé comme une révolution”, confie Nicholas Asher, directeur scientifique du projet 3IA. Il faudra que cette révolution bénéficie aux citoyens, y compris dans sa composante éthique et socio-économique.. Les Gafa, les géants du web que sont Google, Amazon, Facebook et Apple, disent évidemment tous du bien de l’intelligence artificielle. C’est leur intérêt…”
Ces instituts seront là aussi pour mettre en valeur les compétences des chercheurs français, dont certains sont de tout premier plan. “Nous avons des atouts comme la bonne tenue du système scolaire et universitaire, notamment en mathématiques. Nous avons cependant un déficit de jeunes compétents en IA mais notre pays est un endroit agréable à vivre”, détaille Nicholas Asher. Entendez par là qu’il sera plus aisé d’attirer des pointures dans le domaine. Il le faudra bien : “La France dépense 650 millions d’euros à l’intelligence artificielle ; nous avons, certes, des chercheurs renommés. Mais nous n’avons pas la puissance des Gafa ou de l’Allemagne qui y consacre 4 milliards d’euros ni de la Chine, 56 milliards !”
Ne vendons pas la peau de l’ours… Mais, c’est vrai : nous avons un écosystème très puissant à Toulouse. Nous avons de très nombreux chercheurs depuis assez longtemps.”
Philippe Raimbault, président de l’Université fédérale de Toulouse.
De son côté, le président de l’Université fédérale de Toulouse, Philippe Raimbault, dit : “Ne vendons pas la peau de l’ours… Mais, c’est vrai : nous avons un écosystème très puissant à Toulouse. Nous avons de très nombreux chercheurs depuis assez longtemps. Je pense au CNRS, à UPS, à des organismes très pointus et rares. Nous avons aussi un important tissu industriel, notamment dans l’aéronautique, avec Airbus, et dans les transports avec Continental et Renault avec qui on pourra aborder le thème de la voiture autonome. Mais aussi dans le domaine de la santé avec le CHU, l’un des plus meilleurs de France, ou l’un des plus grands groupes pharmaceutiques Pierre Fabre… C’est avec tous ces acteurs majeurs que nous avons co-construit ce projet.”
L’IA, telle que nous la concevons, ce n’est pas que des mateux déconnectés de tout. Dans le projet, il y a tout un volet de sciences sociales, de sociologie, d’éthique…”
Ce projet d’institut aura-t-il des retombées en Occitanie, jusqu’à Montpellier ? “Depuis le début, le premier appel d’offres, on nous a dit les 3IA, c’est sur le territoire d’une seule métropole, confie Philippe Raimbault. C’est pour cela que nous n’avons pas pu présenter un projet Toulouse-Montpellier. Mais nous ne perdons pas espoir d’une coopération. Dans le droit fil du futur institut, des chaires seront créées. Du coup, des scientifiques montpelliérains pourront s’y associer.”
Apparition de risques éthiques, numérisation des emplois, robotisation voire disparition des métiers intermédiaires… L’intelligence artificielle éblouit autant qu’elle fait peur. “Nous avons justement prévu la création de chaires sur l’acceptabilité sociale de l’IA dans notre projet. L’IA, telle que nous la concevons, ce n’est pas que des mateux déconnectés de tout. Dans le projet, il y a tout un volet de sciences sociales, de sociologie, d’éthique, etc. Un tissu dense d’un ensemble de disciplines qui se complètent”, répond-il.
Olivier SCHLAMA
- (1) L’intelligence artificielle (IA) est selon le Larousse “l’ensemble des théories et des techniques mises en oeuvre en vue de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine”. L’IA fait appel aux maths, la philosophie, l’informatique… Elle recherche des méthodes de résolution de problèmes à forte complexité grâce notamment aux algorithmes. Plus généralement, l’IA met en oeuvre des dispositifs imitant ou remplaçant l’homme dans certaines disciplines.