Les femmes sont toujours sous-représentées dans le monde de la Recherche. Selon les plus récents chiffres du CNRS, 34,5% des chercheurs sont des femmes. Bien que les questions de parité soient davantage prises en considération, la représentation des chercheuses peine à progresser. L’Unesco et la Fondation L’Oréal “font le pari de reconnaitre celles qui, par la portée de leurs travaux, contribuent à relever les grands enjeux planétaires.” Cette année, sept d’entre elles sont en Occitanie.
“Aujourd’hui encore, dans le monde scientifique, avoir du talent ne suffit parfois pas aux femmes pour exprimer pleinement leur potentiel et se voir reconnues à leur juste valeur” constate Jean-Paul Agon (pdt de L’Oréal et de la Fondation éponyme).
“Les femmes font progresser la science…”
Les stéréotypes occultent une part importante de l’histoire scientifique et perpétuent les inégalités entre les genres, dans l’accès aux domaines d’études et aux carrières scientifiques. “Nous ne pouvons pas nous permettre de nous priver du talent de la moitié de l’humanité : les femmes font progresser la science, et la science fait progresser le monde” plaident l’Unesco et la Fondation L’Oréal.
Aujourd’hui, en effet, seul un chercheur sur trois est une femme, selon le dernier Rapport de l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture sur la science. Dans l’enseignement supérieur, les femmes ne représentent qu’à peine plus de 35% des diplômés dans les filières scientifiques et technologiques, selon l’Institut de statistique de l’Unesco. Et seulement une personne sur cinq travaillant dans le domaine de l’intelligence artificielle est une femme.
“Si ces inégalités de genre sont si marquées, c’est parce qu’elles sont profondément ancrées dans nos sociétés, confirme Audrey Azoulay, Directrice générale de l’Unesco. C’est à cause de la persistance des stéréotypes et des préjugés sexistes, qui persuadent parfois les filles que les études scientifiques ne sont pas pour elles, malgré leur formidable potentiel (…) Nous devons – et nous pouvons – faire davantage pour promouvoir les femmes et les filles de science.”
Une Française Prix Nobel de Physique, 120 ans après…
Pourtant tout est possible comme vient d’en apporter la preuve éclatante le Prix Nobel de Physique attribué à Anne L’Huillier (avec Pierre Agostini et Ferenc Krausz) la seconde Française à recevoir cette distinction (après Marie Cury en 1903) et seulement la cinquième femme dans cette discipline depuis 1901.
Le Prix Jeunes Talents L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science représente une immense reconnaissance pour les jeunes femmes qui en bénéficient et un soutien spécifique à un moment clé de leur carrière.
D’une part, ces 35 scientifiques prometteuses vont se voir attribuer une dotation qui les aidera à poursuivre leurs travaux de recherche. D’autre part, elles vont bénéficier de formations en communication et en leadership visant à leur donner des moyens supplémentaires pour mieux affronter le “plafond de verre” et mieux valoriser leurs recherches scientifiques.
Plusieurs d’entre-elles ost liées à l’Occitanie, voici (ci-dessous) l’occasion de faire un peu connaissance…
Philippe MOURET
Carine Estelle Koné-Ariège, Saint-Girons
C’est parce qu’elle voulait allier ses convictions écologiques et sa carrière que Doufoungognon-Carine-Estelle Kone a décidé de venir en France pour étudier la biologie et l’écotoxicologie. Son engagement a été renforcé par un service civique dans le domaine de l’Éducation populaire sur les thématiques environnementales, pour lequel elle a été lauréate de l’institut de l’Engagement en 2019 à Paris. Depuis trois ans, elle mène une thèse qui allie écotoxicologie, écologie et biologie cellulaire à la Station d’Écologie Théorique et Expérimentale à Moulis, où elle étudie les effets du réchauffement climatique et de la pollution environnementale.
Entretien
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
J’étudie les effets de la pollution et du réchauffement climatique sur un micro-organisme qui joue un rôle crucial dans la stabilité des écosystèmes d’eau douce : leur disparition pourrait être dramatique pour l’ensemble des communautés, y compris les vertébrés. Dans quelques années, mes résultats pourraient participer à l’amélioration des indicateurs utilisés pour évaluer les risques environnementaux dans ces milieux.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
J’ai eu deux modèles : mon père, qui s’est battu pour l’éducation scolaire de ses filles et qui souhaitait briser les préjugés disant que la femme n’est pas destinée à faire de longues études, et Odile Nacoulma, professeure en biochimie des substances naturelles, et ses découvertes sur les phyto-médicaments. Mon choix d’étudier les sciences environnementales découle de mon amour pour la nature et de la conscience qu’il est important de la protéger.
Que peuvent apporter les femmes dans la science ?
Homme et femme, nous sommes tous concernés par les questions environnementales. Il est donc légitime que nous participions de manière équitable à la recherche de solutions pour un monde meilleur. Les femmes ont beaucoup à apporter par leur génie. Ce n’est pas étonnant que l’excellence soit un mot féminin !
Clara Marino, Hautes-Pyrénées Tarbes
C’est pendant les stages qu’elle a effectués en recherche lors de ses études ou dans le milieu associatif au cours d’une année de césure que Clara Marino approfondit ses connaissances sur les enjeux écologiques et décide de s’engager à travers la recherche. Cet engagement la conduit à mener une thèse à l’Université Paris-Saclay sur l’impact des espèces exotiques envahissantes. Introduites par l’humain dans un écosystème auquel elles n’appartenaient pas, ces espèces y ont un impact, en particulier sur la biodiversité. Son ambition ? Contribuer, à travers l’écologie, à la préservation de la biodiversité.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Mes travaux s’inscrivent dans une stratégie internationale de conservation de la biodiversité. La COP15 sur la biodiversité a pour ambition de diminuer de 50 % le taux d’introduction d’espèces exotiques d’ici 2030. Mes recherches passent par le traitement de grands volumes de données disponibles en ligne sur les espèces menacées et les espèces exotiques envahissantes pour mieux comprendre les dynamiques et les impacts des espèces exotiques. Cela me permet d’identifier grâce à des modèles statistiques les espèces les plus problématiques et les zones à risque pour mieux répondre à cet objectif intergouvernemental.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
Par mon goût pour les matières scientifiques j’ai décidé de poursuivre des études portant sur la science en général. Et c’est en débutant ma licence de biologie que j’ai découvert les sciences de l’environnement. J’ai commencé à étudier l’écologie en 2015, l’année des Accords de Paris (COP21), lorsque beaucoup de gens autour de moi parlaient des crises environnementales et climatiques. Ce que j’aime dans l’écologie, c’est sa complexité et sa dynamique perpétuelle qui nous empêchent de tout décrire et formaliser en mots et en chiffres. Le monde vivant nous surprendra toujours d’une manière ou d’une autre et cela me fascine.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
J’ai toujours été très soutenue par mon entourage. Mais, comme toutes, je me heurte au sexisme quotidien inconscient et latent, particulièrement dans le monde professionnel. Blagues sexistes, remarques « juste pour rire », coupure de la parole facile par des hommes, autant de comportements normalisés mais que, désormais, je ne tolère plus.
Manon Cairat-Pyrénées-Orientales, Rivesaltes
Parce qu’elle a fait de la santé publique une véritable vocation, Manon Cairat a étudié les risques environnementaux puis a poursuivi un second master sur la nutrition humaine. Après une thèse en épidémiologie, au Centre International de Recherche sur le Cancer de l’Organisation Mondiale de la Santé (CIRC/OMS), elle est actuellement postdoctorante à l’Inserm, également affiliée à l’University of Southern Denmark. Ses recherches portent sur la pharmaco-épidémiologie et plus particulièrement sur les potentiels effets cancérigènes ou anti-cancérigènes de médicaments largement utilisés dans la population. Très engagée, elle fait de la prévention contre le cancer, en particulier auprès des plus jeunes, un pilier de son approche.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Je m’intéresse particulièrement aux effets potentiellement cancérigènes des glucocorticoïdes, utilisés comme anti-inflammatoires et immunosuppresseur. Je mène actuellement de nombreuses études en France, au Danemark et au Royaume-Uni qui permettront de confirmer ou infirmer l’existence d’un tel effet Ces études permettront de fournir des informations importantes aux cliniciens et aux patients, ainsi qu’aux organismes et agences de réglementation. Selon les résultats, des mesures spécifiques pourraient être mises en place pour adapter les prescriptions, ou au contraire rassurer sur la sécurité de ces médicaments. C’est d’autant plus crucial compte tenu de l’utilisation généralisée de ces médicaments et de l’important fardeau mondial que représente le cancer.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
J’ai développé un goût pour la santé et la recherche lors de mes stages réalisés dans le cadre de mon cursus. Mais c’est l’affaire du Médiator® en 2010 qui a déclenché ma véritable vocation. J’ai souhaité mieux comprendre les effets secondaires des médicaments sur le long terme et j’ai décidé de me spécialiser en pharmaco-épidémiologie pour mettre en lumière des effets secondaires insoupçonnés. Cette affaire m’a aussi permis de me rendre compte de l’importance des femmes dans les sciences car c’est une femme, Irène Frachon, qui est à l’origine de sa révélation.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
Bien sûr. En partie en raison des stéréotypes de genre, les femmes ont en général moins confiance en elles que les hommes. Il peut donc être difficile pour une femme de s’affirmer ou de se mettre en avant dans le milieu de la recherche, où les femmes sont sous-représentées aux postes de direction. Sans parler des comportements sexistes ou au harcèlement sur leur lieu de travail qui représentent de véritables obstacles dans une carrière.
Mingmin Zhang-Haute-Garonne, Toulouse
Originaire de Zibo, au Nord de la Chine, Mingmin Zhang a toujours été encouragée par son entourage dans la poursuite d’études scientifiques. Après un programme intégré master-doctorat à l’Université des Sciences et Technologies de Chine (USTC), puis une thèse en cotutelle avec l’Université d’Aix-Marseille, elle s’est orientée vers un post-doctorat à l’Institut de Mathématiques de Toulouse. Ses travaux de recherche portent actuellement sur la théorie mathématique des phénomènes de propagation et d’asymptotiques précises dans des modèles de réaction-diffusion.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Mes travaux devraient nous permettre d’apporter des solutions à plusieurs défis de la recherche exploratoire. Prenons l’exemple des épidémies : les outils utilisés actuellement pour comprendre leur propagation ne prennent pas suffisamment en compte les comportements à long terme. Afin d’y remédier, je travaille sur des méthodes plus avancées.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
Ce qui me motive dans la recherche scientifique, c’est d’en apprendre chaque jour un peu plus et de développer de nouveaux concepts. De plus, les professeures rencontrées durant mes études ont eu une influence cruciale sur mon parcours et la poursuite de mes objectifs. Grâce à leurs encouragements, j’ai également gagné confiance en moi ainsi qu’en mon travail.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
Oui, lorsque je recherchais un directeur de thèse à l’USTC. J’ai alors été confrontée au refus d’un professeur qui n’acceptait pas de superviser les doctorantes. Mais, à la suite de cet événement, j’ai eu la chance de rencontrer un autre professeur, qui a accepté. Il m’a permis de rencontrer d’autres mentors et m’a encouragée à poursuivre mes recherches en France.
Aurora Valéria Pignata, Haute-Garonne, Toulouse
Après des études littéraires en Italie, Aurora Pignata découvre presque par hasard la recherche scientifique et décide d’étudier la biologie. Fascinée par l’infiniment petit ainsi que par la perfection et la complexité de la biologie cellulaire, elle mène ensuite une thèse à Lyon sur la création des circuits de neurones pendant le développement des embryons. Désormais, elle effectue son post-doctorat à l’Institut Toulousain des Maladies Infectieuses et Inflammatoires où elle étudie les maladies affectant le cerveau et la moelle épinière, comme la sclérose en plaques.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
J’étudie le rôle que joue un certain type de globules blancs – appelés Lymphocytes T résidents – sur l’inflammation chronique de la sclérose en plaques. À court terme, il est nécessaire de mieux caractériser ces lymphocytes T résidents, pour identifier leur localisation et leur rôle dans la maladie. Mes recherches pourraient ouvrir la porte au développement de nouveaux traitements contre la maladie qui cibleraient spécifiquement les lymphocytes T résidents tout en préservant d’autres types
cellulaires qui pourraient, au contraire, jouer un rôle bénéfique dans la pathologie.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
Le fait d’assister à des conférences grand public et a des événements scientifiques, comme la Nuit des Chercheurs, a éveillé ma curiosité et m’a donné l’envie d’entreprendre un cursus universitaire dans le domaine de la biologie. Par la suite, pendant ma formation, la rencontre de chercheuses extraordinaires, leur mentorat et leur soutien ont surement été des événements essentiels qui ont fait que je poursuive cette carrière.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
J’ai grandi dans un milieu patriarcal dans lequel on m’a poussée à croire que les filles ne pouvaient pas se lancer dans des études scientifiques. Il a fallu que je rencontre des femmes inspirantes, au lycée puis pendant mes premières années d’études en biologie, pour trouver le courage de poursuivre dans cette voie.
Suzanne Faure-Dupuis, Haute-Garonne, Colomiers
Résoudre des enquêtes et des énigmes anime Suzanne Faure-Dupuy. Elle se lance dans l’étude de la biologie avec pour ambition de rejoindre la police scientifique. Mais, rapidement, elle a un coup de foudre pour la recherche. Elle choisit, pour sa thèse, de s’intéresser à la virologie, afin de comprendre comment un simple virus peut faire autant de dégâts dans le complexe organisme humain. Désormais en post-doctorat au sein de l’Institut Cochin, elle étudie l’effet du virus responsable du rhume sur les macrophages, des cellules appartenant à notre système immunitaire.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Mes recherches visent à comprendre comment les virus du rhume, les rhinovirus, peuvent modifier les fonctions de notre système immunitaire et plus particulièrement celles des macrophages. Au long court, cela permettra de développer des cibles thérapeutiques pour les patients souffrant d’atteinte pulmonaires chronique, tel que la broncho pneumopathie chronique obstructive. En effet, pour ces patients, l’infection par les rhinovirus est l’un des facteurs de risque principaux de surinfection bactérienne qui peuvent avoir de graves conséquences. En tant qu’immunologiste et virologiste, je suis persuadée que réactiver les fonctions des macrophages lors d’infections virales, représente le futur des traitements antiviraux basés sur l’activation de la réponse immunitaire.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
J’ai toujours aimé les matières scientifiques, et particulièrement la biologie. En associant cela à mon goût pour les énigmes, je pense que ma voie dans le métier de chercheuse était toute tracée. Je vois la recherche comme une manière de résoudre des énigmes sur le fonctionnement du monde qui nous entoure. L’avantage, c’est qu’il y a toujours de nouvelles questions auxquelles répondre et donc un champ infini de travail.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
Il est énervant de voir son avis scientifique remis en question parce que l’on est une femme. Il est irritant de devoir répondre à des questions sur comment on va gérer sa vie professionnelle et personnelle en tant que femme, quand aucun collègue masculin n’a jamais à répondre à ces questions. Il est insupportable de voir des femmes mettre leur vie personnelle entre parenthèse car elles ne sont pas soutenues par leurs supérieurs.
Giulia Cheloni – Hérault, Montpellier
C’est en découvrant comment le vivant a développé des stratégies pour faire face à des conditions défavorables que Giulia Cheloni a décidé d’étudier la biologie environnementale. Après des études de biotechnologie en Italie et un doctorat d’éco-toxicologie en Suisse, elle mène désormais son post-doctorat d’écotoxicologie microbienne en France, au laboratoire Marbec à Sète, où elle étudie les interactions entre des micro-organismes aquatiques (les phytoplanctons) et la pollution.
Entretien :
Quels sont les enjeux à court et à long termes de vos recherches et leurs applications ?
Mes recherches portent sur la manière dont la pollution affecte les phytoplanctons, ces microalgues et bactéries présentent dans les eaux de surface, mais aussi l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur les contaminants. À court terme, l’objectif est d’identifier les mécanismes cellulaires et métaboliques qui permettent au phytoplancton de biodégrader ces contaminants. À plus long terme, la compréhension de ces mécanismes devrait permettre de développer des procédés favorisant la décontamination des zones polluées ou encore des eaux usées.
Pourquoi avez-vous choisi une carrière scientifique ?
Je suis tombée amoureuse des sciences pendant mes études au lycée. Notre professeur de sciences m’avait confié un projet sur la biotechnologie, et j’ai été impressionnée par la quantité d’applications utiles qui pouvaient être développées grâce à l’énorme potentiel que recèle la nature. Par la suite, mon intérêt pour la recherche universitaire n’a fait que croître.
Dans votre parcours, avez-vous rencontré des difficultés en tant que femme ?
Souvent, lorsque je parle de ma carrière de chercheuse et de ma vie personnelle, les gens s’étonnent que je mène les deux de front. Pourtant, en dehors du monde de la recherche, il n’est pas surprenant qu’une femme de mon âge ait deux enfants, un mari, et un travail très prenant. J’espère qu’un jour mon parcours n’étonnera plus personne.
Femmes de sciences en Occitanie :
Sciences : La Montpelliéraine Claude Grison lauréate du Prix de l’inventeur européen