Saga : La belle aventure du Nîmois Marc Teissier, constructeur des motos Sherco

Marc Teissier, patron de Sherco. Ph. Olivier SCHLAMA

C’est un chef d’entreprise rare qui emploie 150 personnes et produit 15 000 machines par an dans 86 pays. Avec toujours un coup d’avance, l’ancien pilote de trial et grossiste en produits laitiers vit poignée dans le coin depuis 1998 avec ses motos enduros et trial. Avec des projets : débarquer sur le grand marché des motos routières et, qui sait, peut-être même sur le marché de la voiturette électrique qu’il “observe” avec intérêt !

Avec son regard perçant, le Gardois Marc Teissier n’est pas un esprit “décaféiné”, comme il se plait à le dire de gens qu’il juge peu réactifs. Point de suffisance mais de la franchise, comme on en rencontre peu, de la part du boss de Sherco – un vrai personnage – , l’un des tout derniers constructeurs de motos Français – dont le siège et deux usines sont basées à Nîmes – avec MBK (désormais appartenant au Japonais Yamaha) – et Peugeot, marque avec laquelle il met une nouvelle moto 50 cm3 à boîtes de vitesse sur le marché le 1er janvier prochain.

On a besoin de moteurs thermiques toujours plus puissants, plus compacts, plus légers”

Avec son futur XP 6, Peugeot Motocycles veut ainsi surfer sur la bonne image et le savoir-faire de Sherco qui, depuis 30 ans, tient haut le pavé des “pousse-pierres”, un marché certes de niche mais qui lui permet de produire quelque 15 000 machines chaque année vendues dans 86 pays. Et qui attirent de nombreux aficionados, au-delà des simples licenciés d’enduro et de trial.

Dans le show room de Sherco, à Nîmes. Ph. Olivier SCHLAMA

À l’approche du Dakar, où Sherco sera à nouveau présent avec une 450 cm3 SRF (Sherco rallye Factory), l’effervescence polie est palpable dans les locaux du siège. Dans l’un des bureaux jouxtant le showroom, se conclut un partenariat à mots feutrés. La fille de Marc Tessier, Stéphanie,  responsable du design, conceptrice entre autres des kits déco des bécanes très appréciés trouve le temps de décorer le sapin de l’entreprise. Quant aux cerveaux du secteur hyper-secret de recherche et développement, eux, chauffent à blanc autour de leurs bancs d’essais. Car les projets sont l’essence-même de Sherco. Un 450 cc routier s’y imagine comme une machine de 850 cc. “On a besoin de moteurs thermiques toujours plus puissants, plus compacts, plus légers”, explicite Marc Teissier dans une périphrase. L’avenir s’y déroule dans une chorégraphie silencieuse.

“Notre marque bénéficie d’une bonne image”

Dans l’antre du si secret service recherche et développement. Ph. Olivier SCHLAMA

Et puis, Sherco a une résonance particulière chez les ados. Avec ses motos de 50 cm3, que l’on peut piloter dès 14 ans, qui ont tout de ses grandes soeurs qui ont raflé de grands prix internationaux, Sherco s’est imposée auprès des jeunes comme la première machine du futur motard. Liberté en bandoulière. : une 50 cc Sherco coûte la bagatelle de 4 000 € neuve ; les occases ne décotant peu. C’est la porte d’entrée de la mobilité à poignée dans le coin. “Nous vendons quelque 15 000 motos dont 3 000 à 4 000 de 50 cc en France chaque année”, souligne Marc Teissier devant l’entrée des chaines de production qu’il a lui-même adaptées pour que “les ouvriers travaillent au mieux”, explique-t-on.

Dans ce petit marché, où d’autres marques sont présentes (Riuju, Fantic, Beta, Derby…), la Sherco, comme la personnifient les ados, fait figure d’acmé. Ils sont nombreux à être dans les starting-block à l’aube de leur 14 ans. “Notre marque bénéficie d’une bonne image”, lâche Marc Teyssier. “Il y a un ensemble de choses qui interagissent en notre faveur : notre marque est fraîche et dynamique.” Le moteur, Minarelli, qui respecte les normes européennes antipollution Euro 5 + et qui n’aura pas de mal à respecter les suivantes, est commun à tous les fabricants des engins de cette puissance. Reste que la Sherco est facilement débridable. Et tous les gamins le savent. Un argument-massue.

“Nous, on sait faire des Formule 1 de la moto, des Porsche, des Ferrari. On va bientôt aussi fabriquer des Twingo…”

Dans l’usine ultra-moderne. Ph. Olivier SCHLAMA

Marc Teissier ne veut pas rester les deux bottes sur le même cale-pied. Des projets, il en a pour développer Sherco, une réussite rare made in Occitanie. En plus du partenariat avec Peugeot, le patron cherche à développer une gamme plus routière que ses enduros pour “entrer, d’ici cinq ans, dans le grand marché du deux-roues à moteur. Nous travaillons à concevoir des motos de 125 cm3 à 850 cm3, avec des bicylindres, pour vendre de plus gros volumes ; il faut être costaud mais avec toutes nos années  d’expérience, on a eu le temps d’apprendre”, confie, sibyllin, le patron de la marque nîmoise. Marc Teissier aime faire des comparaisons : “Nous, on sait faire des Formule 1 de la moto, des Porsche, des Ferrari. On va bientôt aussi fabriquer des Twingo…”

L’affaire KTM a ébranlé le marché. “Il a fallu s’adapter.”

Comme avertissement, il a évidemment gravé dans sa mémoire la toute fraîche mésaventure du groupe KTM qui a, en 2024, commencé à couler, en emportant sous-traitants et certains concurrents dans sa chute tout en offrant en pâture des dizaines de milliers de motos bradées, renchérissant de fait celles de ses concurrents, dont Sherco qui, elles, ne le sont pas, bradées. L’affaire KTM a ébranlé le marché. “Chez nous, il a fallu s’adapter”, dit-il, avec retenue. Entendre : on a serré les boulons. “Nous employons 150 personnes et nous réalisons un chiffre d’affaires de 50 M€.” Jusqu’à il y a deux ans, l’entreprise nîmoise faisait des bénéf’. Là, c’est plus tendu.

“Le vélo électrique, utilisé pour de petites mobilités, lui, a du sens”, pas la voiture électrique

Ph Olivier SCHLAMA

Ce n’est pas tout. Marc Teissier, 63 ans, abhorre, certes, les motos électriques. Il trouve à l’électrification tous les maux de la terre, énumérés sur BFM Business aux “reportages” rémunérés qu’il vient d’allumer pour revoir un sujet anti-véhicules. En fait un édito pré-enregistré sur les voitures électriques : pas assez de production électrique ; pollution ; métaux rares et chers utilisés, inabordable sans subventions, etc. “Mais le vélo électrique, utilisé pour de petites mobilités, lui, a du sens”, affirme Marc Teissier, qui revendique d’avoir été un “cancre à l’école”. Peut-être un cancre surdoué qui s’ignorait ? “Les études offrent des certitudes et si tu ne doutes pas, tu ne fais rien de bien”, dit-il comme un mantra. Pourtant, les études ouvrent l’esprit, affranchissent, permettent d’entrevoir le champ des possibles…? Tout le monde ne peut pas devenir un grand chef d’entreprise. “Parmi les gens, certains naissent vieux… Il faut trouver sa case pour être bien… Moi, je suis un rebelle”, confie Marc Teissier, l’autodidacte, dans une réplique.

Grossiste en produits laitiers, il explose les compteurs

Une Sherco préparée pour le Dakar. Ph. Olivier SCHLAMA

Pas de grandes études au compteur, donc, mais un destin qu’il se trace tout en sachant s’entourer. « À l’âge de faire mon service militaire, j’ai devancé l’appel de l’armée”, rembobine-t-il. Au bout de deux mois à Strasbourg, il réussit à revenir à Nîmes puis à se faire réformer grâce à une connaissance de son père, grossiste en épicerie, plus précisément en produits laitiers. Là, il développe l’entreprise familiale. Et explose les compteurs. Rachat d’un camion ; puis du concurrent essoré qui deviendra son salarié (!) ; présence reconnue aux halles de Nîmes… En quelques années, le chiffre d’affaires double, de 6 millions de francs à 12 millions de francs. Son appétit grandit. Il se paie même une centrale d’achats à Alès qui en vaut pourtant presque le triple. “Épicier en gros, c’est un métier de fou, avec des journées de 5 heures à 20 heures et des petites marges, vérifier les dates de péremption, les stocks…” Il a 26 ans et sa vie se déroule à marche forcée. “On me contacte alors pour racheter la boîte ; à la deuxième fois et au bon prix, je vends.”

“Suiveur pour pilotes, je me rend compte que l’on peut faire mieux en matière de moto”

Jean Michel Paquient, DG, Marc Teissier. DR

Dans la foulée, Marc Teissier, qui est aussi passionné de trial, fait le « suiveur », indispensable guide de pilotes chevronnés en plein championnat du monde pour leur indiquer les meilleurs positionnement des roues. Il se rend compte “que l’on peut faire mieux en matière de conception de moto”. Tout commence par là. Créer sa propre marque devient une évidence. Il créera d’abord Scorpa avec un associé. Mais, voulant développer son propre moteur, il montera ensuite Sherco, contraction de la marque Bultaco et du modèle Sherpa. Le chef d’entreprise est loin d’avoir épuisé toutes ses idées.

Le plus gros concurrent des Sherco 50 cc, ce sont les voiturettes électriques sans permis dont les fameuses Ami ou Aixam pour lesquelles les mères de famille ont les yeux de Chimène, avec – l’illusion de – la sécurité en prime. Là, l’oeil de Marc Teissier frémit comme sous l’effet de la caféine. “J’observe ce qui se fait ; j’observe le marché… Une voiturette électrique, cela a du sens.” Marc Teissier est un esprit sur-vitaminé !

Olivier SCHLAMA