Partenaires, pratiques… : Les Français ont une sexualité plus variée mais moins intense

Ph. Toas Heftiba, Unsplash

C’est la 4e étude du genre depuis 1970 qui actualise le “paysage sexuel” des Français. Avec un paradoxe d’emblée : davantage de pratiques, de partenaires mais des couples – parce qu’il y en a moins, aussi – qui font moins l’amour… En creux, les auteurs démontrent une évolution du modèle familial. Et une plus grande acceptation de l’homosexualité

Contexte des sexualités en France : c’est le nom d’une vaste enquête – Inserm-ANRS, Santé Publique France – dont on attendait les résultats freinés par l’irruption de la crise du covid. C’est seulement la 4e du genre depuis 1970 qui délivre d’intéressants premiers enseignements après cinq années de travail rendues possibles par  les réponses de 31 518 répondants, de 15 ans à 89 ans (contre 18 ans à 69 ans auparavant, même si les septuagénaires et octogénaires de l’étude ne vivent pas en institution), interrogées sur le sujet entre novembre 2022 et décembre 2023. Sur leurs pratiques, leur histoire sexuelles. Ce qui donne, grâce au travail de 133 enquêteurs et enquêtrices de l’institut Ipsos, 65 000 heures de travail pour établir un “paysage sexuel” actuel.

Les couples font moins l’amour

Ph. Gbartz, unsplash

À la lecture de cette enquête au long cours, un fait saillant apparaît : un paradoxe. une diversité croissante des pratiques, des partenaires mais moins d’activité sexuelle. Les Français étendent leurs recours à des pratiques (davantage de masturbation, de pénétration anale, buccale). Ils déclarent davantage aussi de partenaires ; développent, pour certains, surtout les jeunes, une sexualité virtuelle par écrans interposés. Mais, d’un autre côté, des couples qui font moins l’amour. Peut-être parce que le modèle familial évolue avec une régression du nombre de couples ; une plus grande autonomie de la gent féminine qui cherche aussi à moins “faire plaisir” à l’autre, moins contrainte par la domination masculine. Et davantage sans doute d’individualisme.

L’âge du premier rapport sexuel remonte

Premier enseignement de cette vaste étude, dans le détail, l’âge du premier rapport sexuel qui remonte un peu ces dernières années. En 2023, l’âge médian au premier rapport est de 18,2 ans pour les femmes et 17,7 ans pour les hommes.

L’étude souligne : “L’âge médian au premier rapport sexuel, c’est-à-dire l’âge auquel la moitié de la population a eu son premier rapport, a diminué de près de trois ans pour les femmes entre le début des années 1960 et le milieu des années 2000 (20,1 ans contre 17,3 ans) et d’un an et demi pour les hommes (18,8 ans contre 17,3 ans). Depuis la fin des années 2010, les tendances se sont légèrement inversées avec une augmentation de l’âge médian au premier rapport sexuel pour les deux sexes. En 2019-2023, l’âge médian atteint ainsi 18,2 ans pour les femmes et 17,7 ans pour les hommes. La remontée de l’âge médian au premier rapport sexuel s’observe également dans d’autres pays, notamment au Danemark, en Norvège, en Suède et aux États-Unis.”

Hausse du nombre de partenaires sexuels mais…

Ph. Annie Spratt, Unsplash

Autre fait remarquable : une augmentation du nombre de partenaires sexuels et un écart femmes-hommes qui reste important. Mais les chiffres divergent ! Ainsi, toujours en 2023, les femmes de 18 ans-69 ans déclarent 7,9 partenaires en moyenne au cours de la vie et les hommes 16,4. Et d’analyser : “Le nombre moyen de partenaires sexuels au cours de la vie chez les femmes de 18 ans-69 ans ayant déjà eu un rapport sexuel a augmenté au fil du temps, passant de 3,4 partenaires en moyenne en 1992 à 4,5 en 2006 et à 7,9 en 2023.” Hommes et femmes ont-ils la même définition du partenaire sexuel…?

Et pour les hommes ? Ces chiffres sont stables entre 1992 et 2006 (11,2 et 11,9 respectivement), et augmentent substantiellement pour atteindre 16,4 partenaires en moyenne en 2023. Enfin, Le multipartenariat dans les 12 derniers mois (le fait d’avoir eu plusieurs partenaires sexuels dans la dernière année), augmente lui aussi, en particulier chez les jeunes de 18 ans à 29 ans, passant de 9,6 % en 1992 à 19,3 % en 2006 et 23,9 % en 2023 pour les femmes, et de 22,9 % en 1992 à 29,0 % en 2006 et 32,3 % en 2023 pour les hommes.

Répertoire des pratiques sexuelles s’est diversifié

Ph. Stratz Marekinski, Unsplash

Troisième enseignement, saillant : les trois-quarts des femmes (près de 73 %) et presque tous les hommes (plus de 92 %) déclarent avoir déjà pratiqué la masturbation. C’est vrai pour tous les âges. “Le répertoire des pratiques sexuelles s’est sensiblement diversifié au fil du temps, et de plus en plus d’hommes et de femmes déclarent avoir expérimenté d’autres pratiques sexuelles (masturbation, sexe oral et rapports anaux) que les rapports vaginaux.” Et : “L’augmentation est beaucoup plus prononcée chez les femmes. En 1992, 42,4 % des femmes de 18 à 69 ans déclaraient s’être déjà masturbées, 56,5 % en 2006 et 72,9 % en 2023. Chez les hommes du même âge, cette pratique est intégrée aux répertoires sexuels de longue date et l’augmentation est moins marquée, passant de 82,8 % en 1992 à 89,9 % en 2006 et 92,6 % en 2023.”

Fellation, cunnilingus, pénétration anale

L’étude scientifique s’arrête sur une plus grande diversité de pratiques. Le pourcentage de personnes ayant déjà expérimenté la fellation (réalisée ou reçue) au cours de la vie a également augmenté au fil du temps, passant de 63,2 % en 1992 à 78,3 % en 2006 et 84,4 % en 2023 chez les femmes, et de 75,3 % à 85,5 % et 90,5 % chez les hommes.

Des tendances similaires sont observées pour l’expérience du cunnilingus au cours de la vie. La pratique de la pénétration anale a également augmenté au fil du temps chez les femmes, passant de 23,4 % en 1992 à 38,9 % en 2023.  Ces évolutions donnent à voir l’élargissement des répertoires sexuels, observé depuis le début des années 1970.

Meilleure acceptation de l’homosexualité

Ph. Brian Lundquit, Unsplash

Sans surprise, on observe une meilleure acceptation sociale de l’homosexualité (un peu moins marquée chez les hommes) et de la transidentité : “En 2023, 69,6 % des femmes et 56,2 % des hommes de 18 ans-89 ans considèrent que l’homosexualité est une sexualité comme les autres. Et 41,9 % des femmes et 31,6 % des hommes de 18 ans-89 ans considèrent que la transidentité est une identité comme une autre.” Des évolutions qui entérinent l’évolution de la société qui a vu arriver la loi sur le mariage pour tous, en 2013 et celle sur la législation ouvrant l’accès à la PMA aux couples de femmes et aux femmes célibataires, en 2021.

Autre enseignement de cette étude : 8,8 % des femmes et 8,9 % des hommes de 18 ans-89 ans déclarent avoir eu au moins un ou une partenaire du même sexe au cours de la vie. Un fait davantage marqué chez les jeunes. Entre pratiques, attirance et identification, on observe que plus d’une femme sur cinq (22,6 %) et un homme sur sept (14,5 %) n’est pas strictement hétérosexuels, dans le sens où elles et ils rapportent soit une attirance, soit des pratiques, soit une identité qui n’est pas hétérosexuelle. C’est particulièrement le cas des femmes âgées de 18 à 29 ans (37,6 % d’entre elles ne sont pas strictement hétérosexuelles, contre 18,3 % pour les hommes du même âge).

Le numérique : “Une révolution en marche”

“La remise en cause de l’hétérosexualité” est ainsi plus fréquente chez les jeunes générations, celles-ci ayant grandi, dans justement une période de forte évolution des droits et de la visibilité sociale des personnes LGBTQA+. La remise en cause de l’hétérosexualité est aussi plus remarquable chez les femmes.

Photo DR

La sexualité s’individualise de plus en plus comme si on pouvait se passer de partenaires en chair et en os. L’étude parle également d’une “révolution en marche”, s’agissant de la sexualité via un écran d’ordinateur qui s’est massivement développée depuis une vingtaine d’année. Les chiffres sont là aussi révélateurs : “33 % des femmes et 46,6 % des hommes ont eu une expérience sexuelle en ligne avec une autre personne (connexion à un site dédié, rencontre d’un partenaire, échange d’images intimes). Cela va avec une baisse sensible du nombre de rapports sexuels avec un partenaire. En 2023, 77,2 % des femmes et 81,6 % des hommes de 18-69 ans déclarent avoir eu une activité sexuelle avec un partenaire au cours de l’année.”

Diminution de la fréquence des rapports sexuels

Ainsi, “l’activité sexuelle dans les 12 derniers mois ainsi que la fréquence des rapports dans les quatre dernières semaines ont diminué au fil du temps, pour les deux sexes et dans tous les groupes d’âge. En 1992, 86,4 % des femmes âgées de 18 ans à 69 ans avaient eu des rapports sexuels au cours de l’année écoulée ; cette proportion est passée à 82,9 % en 2006 et à 77,2 % en 2023. De même, le pourcentage d’hommes ayant eu des rapports sexuels au cours de l’année écoulée est passé de 92,1 % en 1992 à 89,1 % en 2006 et 81,6 % en 2023. La baisse est beaucoup moins marquée chez les personnes qui vivent en couple. Il reste que la très grande majorité de la population a eu une activité sexuelle dans l’année, y compris aux âges les plus avancés.”

Ces résultats interrogent sur la définition même d’un rapport sexuel, qui, si elle a pu évoluer au fil du temps, renvoie toujours majoritairement à un scénario qui comporte une pratique de pénétration vaginale ou anale”

De la même manière, le nombre de rapports sexuels lors du mois écoulé a chuté de 8,6 en 2006 à 6 en 2023 chez les femmes et de 8,7 à 6,7 chez les hommes. L’étude avance : “Ces résultats interrogent sur la définition même d’un rapport sexuel, qui, si elle a pu évoluer au fil du temps, renvoie toujours majoritairement à un scénario qui comporte une pratique de pénétration vaginale ou anale. Ils sont aussi à mettre en perspective avec le développement d’autres formes d’expériences sexuelles que l’enquête donne à voir. Ces tendances à la baisse, tant en ce qui concerne l’activité au cours des douze derniers mois que la fréquence des rapports sexuels au cours des 4 dernières semaines, se retrouvent également dans d’autres pays occidentaux, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis.” Mais, “une vie sexuelle qui se prolonge aux âges avancés. En 2023, 56,6 % des femmes et 73,8 % des hommes restent actifs sexuellement entre 50 et 89 ans”.

“Prévention limitée lors de nouvelles relations sexuelles”

Ph. Unspash.

Par ailleurs, les auteurs de l’étude pointent “une prévention limitée lors de nouvelles relations sexuelles”. Ainsi, 49,4 % des femmes et 52,6 % des hommes utilisent un préservatif lors de leur premier rapport sexuel avec un ou une partenaire rencontré(e) dans les derniers douze mois. Et 49,4 % des femmes et 52,6 % des hommes indiquent utiliser un préservatif au premier rapport avec un ou une partenaire rencontré dans les 12 derniers mois. L’utilisation décline avec l’âge.

Grossesses non souhaitées en augmentation

Les grossesses non souhaitées sont en augmentation. En 2023, 34,7 % des dernières grossesses survenues dans les 5 ans sont non souhaitées. En 2023, 12,8 % des femmes de 18 ans à 49 ans rapportent avoir eu une grossesse non souhaitée dans les 5 dernières années. C’est près de 4 points de plus qu’en 2016 (8,9 %), mais les différences de formulation des questions posées dans les enquêtes peuvent expliquer en partie les écarts observés.

Cette augmentation se confirme toutefois, lorsqu’on retient une formulation commune d’une question portant sur la dernière grossesse dans les 5 ans, considérée comme non souhaitée (c’est à dire pas du tout ou plus tard ou ne se posait pas la question) dans 34,7 % des cas en 2023 versus 28,9 % en 2016. En 2023, 51,8 % des dernières grossesses survenues dans les 5 ans sont non souhaitées chez les jeunes femmes de 18 à 29 ans contre 27,8 % chez les 30-49 ans.

Olivier SCHLAMA

👉 UN DON POUR SOUTENIR DIS-LEUR !

L’information a un coût. En effectuant un don, vous réduisez, en plus, votre impôt en soutenant les journalistes indépendants de Dis-Leur ! à partir de 1 € et défiscalisé à 66% ! 

– Après notre premier prix un concours national organisé par le ministère de la Culture en 2018 devant 500 autres medias, après l’installation de bandeaux publicitaires en 2019, après avoir été agréés entreprise de presse, nous lançons en collaboration avec le syndicat de la presse numérique (Spiil) un appel aux dons. Merci pour votre générosité et merci de partager largement !

Cliquez ICI : https://dis-leur.fr/dons/