Membre du collectif féministe « Georgette Sand », et co-autrice du livre « Ni vues, ni connues », Camille Aspar (originaire de Saint-Estève, dans les Pyrénées-Orientales) lutte contre ce qu’elle appelle « l’invisibilisation » des femmes dans l’histoire. Le livre sera présenté vendredi à la librairie Torcatis de Perpignan…
Pouvez vous présenter le collectif ? Quel est son but ?
Le collectif « Georgette Sand » a été créé en 2014 par Ophélie Latil et Gaëlle Couraud. Ophélie Latil était membre de Jeudi noir et Génération précaire, qui sont des collectifs portés sur d’autres sujets que le féminisme ( le logement, la pauvreté). Au sein de ces groupes, elle a remarqué une discrimination quand elle prenait la parole dans les médias : c’était toujours les garçons qui étaient relayés. Sa fibre féministe s’est réveillée et elles ont créé le collectif. Après, je suis venue avec d’autres filles qui voulaient aussi lutter contre les stéréotypes sociaux.
Nous avons notamment beaucoup travaillé sur les protections féminines, qui étaient taxées comme un produit de luxe, avec une TVA de 20%. Le collectif l’a fait baisser à 5 %. Les Georgettes se sont aussi mobilisées contre le marketing “genré”, qui concerne la « taxe rose », ou les inégalités salariales. Nous avons également traité le sujet des hommes féministes, car le collectif est mixte et nous voulions montrer qu’ils peuvent être nos alliés. On a fait une campagne, comme celle d’une pub pour parfum, où des hommes exprimaient leur manière d’être féministe.
Comment a été réalisé le livre « ni vues, ni connues ? Comment vous avez choisi les figures de femmes a présenter ?
A l’origine, le collectif avait fait un Tumblr participatif ou chacune plaçait une photo d’une femme oubliée de l’histoire, ainsi q’une petite biographie. C’est comme ça que la maison d’édition nous a trouvées et nous a proposé de faire un livre. On a gardé certains membres du Tumblr : 21 co-autrice sont restées. Nous avions toutes des parcours différents et des idées de femmes qui nous avaient marquées. Une médecin a cherché les femmes scientifiques par exemple. Nous avons aussi choisi des femmes de tous continent, et de toutes époques. Cela a repésenté beaucoup de recherches : nous avons arpenté les bibliothèques pour trouver de la matière. Pour chacune nous avons expliqué le mécanisme qui avait participé à son « invisibilisation» de l’Histoire. Nous avons aussi classé les femmes par secteur d’activité : les aventurières, les « méchantes » inventées ou avérées, les femmes de pouvoir, les militantes, les intellectuelles, les artistes. Il y a aussi des « légendes noires » inventées sur certaines femmes comme celle d’Alienor d’Aquitaine. Elle est souvent considérée comme une mauvaise reine qui administrait mal ses terres. En vérité, c’est une rumeur alimentée par les moines proches du roi de France afin de la déstabiliser.
Nous avons également choisi de mettre en lumière des figures féminines négatives, pour prouver que les femmes n’étaient pas toutes douces et sensible. Il y a des « méchantes » comme Anna Pauker, une ministre des affaires étrangères roumaine très dure, Violette Maurice qui a collaboré pendant la guerre, ou encore la tortionnaire nazie Irma Grese. On voulait aussi montrer que la femme est un humain avec ses imperfections. Pour les femmes brillantes, notre postulat partait de cette question : comment ces femmes brillantes ont pu parvenir à leurs fins malgré tous ces obstacles ? Et parfois, elles ont ailleurs échoué: c’est notamment le cas de Narnnerl Mozart (la soeur de Mozart) qui a « lâché prise » face aux difficultés de sa vie. L’historienne du droit des femmes qui a préfacé notre livre, Michelle Perrot, démontre que les femmes ont agi à toutes les époques, mais qu’elle ont disparu de l’Histoire car c’est un récit écrit par les hommes.
Pourquoi avez vous choisi la figure de George Sand pour le nom du collectif ?
On a choisi George Sand , car c’est une femme méconnue, mais pas inconnue. Le slogan du collectif, c’est qu’« on ne devrait pas s’appeler George pour être reconnue. » Il fallait un symbole . C’était quelqu’un de très libre et de très moderne. On voulait aussi rappeler que c’est une grande figure politique: elle représente l’émancipation de la femme. On ne voulait pas qu’elle soit limitée à l’amante de Chopin ou Musset, ou l’auteure de romans champêtres. Pour ce qui est du prénom George, elle aurait pu le choisir à cause domaine de Noan et des gens du Berry, dont elle a toujours été très proche. D’ailleurs, nous avons été invitées au domaine de Noan par l’association « Les amis de George Sand ».
Là-bas, la guide nous a expliqué qu’effectivement, George pouvait signifier « qui vient de la terre » en berrichon, mais les interprétations sont multiples. Je pense malgré tout qu’elle n’aurait pas pu être publiée si elle n’avait pas choisi un prénom masculin. De sa part, il s’agit aussi d’une transformation : elle a 28 ans quand elle change de prénom. Elle passe d’ Aurore Dupin à George Sand, je pense que c’est une transformation en tant que femme. Par la suite, elle a toujours demandé à ce qu’on l’appelle George, car Aurore devait sûrement représenter sa vie d’avant, lorsqu’elle subissait son mariage. Elle manquait de liberté , et elle a acquis son indépendance avec ce prénom. George Sand est une personne complexe : elle défend le divorce, mais elle était opposé au vote des femmes. Il ne faut pas tout voir en blanc et noir, car c’est une figure nuancée.
Quel sont les processus qui ont participé à l’invisibilisation des femmes dans l’Histoire ?
Les processus d’invisibilisation sont multiples : cela peut être la famille (comme dans le cas de Mozart qui a brulé les compositions de sa soeur), les amours (Camille Claudel ou George Sand occultées par leurs conjoints), l’appropriation par les collègues (c’est très courant pour les scientifiques). L’Etat empêchait souvent les femmes d’accéder à des formations, comme c’est le cas pour Camille Claudel, qui habitait en province, et où le nu était interdit aux femmes. Parfois aussi, elles s’auto-censuraient.
La langue joue aussi un rôle important. On remarque qu’avant le 18e, quasiment tous les mots masculins pouvaient être déclinés au féminin. Beaucoup de salons littéraires était tenus par des femmes. L’Académie française s’est inquiétée de ce pouvoir, et dans un élan conservateur, elle a décidé que les noms de métiers féminins n’étaient plus autorisés. Ainsi, tous les termes synonymes de pouvoir comme « autrice » ou « poétesse » ont disparu, tandis que « actrice », considéré comme dégradant, est resté. En rendant les femmes plus présentes dans les livres d’Histoire, on espère justement qu’une petite fille puisse s’identifier à Victor Hugo, et qu’un petit garçon puisse le faire avec Valentina Terechkova, la première femme être allée dans l’espace.
Pensez vous que les quotas imposés dans le cinéma vont permettre une plus grande visibilité des femmes dans la culture? Certaines considèrent cela comme de la discrimination positive qui les rendent illégitimes : comment vous positionnez-vous par rapport à cela?
C’est seulement grâce au quotas que les choses bougeront plus vite : c’est un gage d’efficacité. Évidemment, on aimerait s’en passer, mais dans les faits, c’est eux qui permettent d’améliorer la situation rapidement. Même en politique, lorsque les quotas sont imposés, les femmes ont des places moins importantes. Il y a seulement 1% de compositrices en France et personne ne peut citer leur nom. Pour que cela change, les quotas sont indispensables. Peut être que les prochaines générations, en voyant toutes ces figures féminines dans la culture, trouveront ça naturel. Ainsi, les femmes pourront réussir par elles-même, sans les quotas. On ne pourra plus les taxer d’avoir pris la place d’un autre.
Mais pour l’instant, c’est le seul moyen d’être plus présentes : très peu de femmes sont programmées dans les théâtres nationaux par exemple. On ne leur accorde pas la même légitimité, surtout dans la culture. Je me rappelle d’une étude faite au Louvre sur le nombre de femmes représentées dans les tableaux, et le nombre de femmes artistes exposées : l’écart est flagrant. Dans tous les domaines, les femmes doivent redoubler d’efforts pour être respectées. Bow-Sim-Park, une maîtresse chinoise des arts martiaux, avait dit quelque chose de très vrai à ce propos: pour être reconnue en tant que femme, « il faut se donner à 150 %. »
Propos recueillis par Diane JANEL