Livre : Avec Caracas, Martinelli agite les maracas envoûtantes du roman noir avec talent

Olivier Martinelli. Ph. Dom Garcia

L’écrivain Sétois ne fait pas dans la salsa ou le merengue. Avec son dernier opus qui sort ce mercredi, il explore la veine du nature writing, avec des descriptions au scalpel dans la jungle hostile du Venezuela… Laissez-vous trimbaler dans cette fiction envoûtante.

Il fait tout pour garder son surnom d’écrivain rock. Le Sétois Olivier Martinelli sera en concert jusqu’à jeudi à Paris en première partie des fameux The Woodentops groupe fétiche dont il emporta une galette quand, étudiant, il s’exila un temps à la Réunion pour y terminer ses études de maths. C’est un grand Petit Poucet, Martinelli. Il vient de sortir un nouveau roman noir qui distille, lui aussi, une très belle musique comme des notes posées sur un chemin que l’on partage avec bonheur avec lui. Une trajectoire qui se découvre au fil des pages comme si on traçait l’histoire à son propre présent, au fil des pages. Avec des coups de théâtre comme autant de riffes rageurs d’une guitare électrique : Caracas.

C’est un ouvrage envoûtant, animal même

Dans ce roman, on n’est pas pris classiquement par la main avec un début classique, un milieu, une fin. Non, on est charriés dans un flux d’événements et de pensées. C’est un ouvrage envoûtant, animal même, on y ressent une multitude de sentiments, du mirage jusqu’à la rédemption, si l’on se place du côté d’un tueur que l’on aime bien… Le premier chapitre existe depuis 15 ans ; il est paru dans un recueil de nouvelles sur le thème de l’instinct. “Un jour j’ai appris qu’il existait deux tribus dans la Sierra Nevada et les deux se sont télescopés dans ma tête ; ça a donné ce livre”, précise Olivier Martinelli qui a publié ce livre chez Kubik Editions.

“Le visage de Dolorès s’est déshabillé de son inquiétude. Il m’a fait l’effet d’un plongeon dans un lac transparent”

Ph. O.SC.

Dans cet opus, qui se situe au Venezuela, même la souffrance y est belle. Même les morts donnent tout leur sens à la vie. Ce n’est pas une écriture esthétisante mais immédiatement compréhensible. Haletante qui, staccato, imprime la rétine d’une urgence sans cesse renouvelée. On sent l’haleine dans le cou du “héros”, Arthur, un Français dont on ne connaît l’intrigue – prouesse ! – qu’à la page 75. De son kidnapping ubuesque à la traque dont il est l’objet à sa survie, en passant par la description d’émeutes – bien réelles, elles – qui secouèrent ce pays pourtant riche avec son pétrole Et les intentions d’une Dolorès – qui signifie douleur… Un peu plus loin : “Le visage de Dolorès s’est déshabillé de son inquiétude. Il m’a fait l’effet d’un plongeon dans un lac transparent.”

Comme poursuivi par un cauchemar

Extrait : “Dolorès ressemblait à sa ville, à la fois brûlante, avide et prisonnière. Je savais peu de choses sur elle. Mais je voulais la retrouver à n’importe quel prix. Même si le prix à payer était ma propre vie. Jusqu’à aujourd’hui, rien, dans mon existence, ne m’était apparu avec une telle évidence, une telle clarté. Depuis tant d’années déjà, j’étais comme absent de moi-même, enchaînant les missions à l’étranger. Ma vie affective était un désert.” On a tous le souvenir douloureux – dont le réveil nous délivre enfin ! – d’un cauchemar où il faut échapper à un événement morbide. Eh bien, il y a de cela dans le dernier opus de Martinelli : une urgence. Les Farc, des tueurs, une jungle hostile, des morts, un pays bouffé par la corruption ; le poporo ; les chamans ; le chupacabra…

Mise en abymes d’une souffrance qui souffre

Olivier Martinelli a produit un roman à vivre et dans lequel on est trimbalés comme des brimborions heureux d’être aux avant-postes ; il y fait tomber des “pluies de larmes” ; nous fait voyager dans un univers où “le fleuve est un rapace aux serres acérées”. Ce livre, il faut le lire d’une traite. Il y a du 24-Heures Chrono mais aussi du No country for old Men des frères Coen tant son écriture cinématographique se pare d’un scénario évoquant une puissante et universelle histoire d’amour contrariée. C’est même une mise en abymes d’une souffrance qui souffre.

“Je n’aime pas les personnages immobiles”, décrypte Olivier Martinelli. Du roman noir, il en a déjà produit. “J’ai voulu avec Caracas explorer une veine, le nature writing comme disent les anglais, confie l’auteur. C’est à dire des intrigues qui se situent dans la nature ; dans des bicoques avec des alambics au fond du jardin. C’est une littérature que j’apprécie beaucoup. La plupart de mes livres auparavant étaient urbains. Là, j’ai voulu explorer ce genre de situation. J’ai découvert un auteur canadien d’origine indienne, Richard Wagames. Sa spécialité, c’est tout ce que je croyais détester : la description de paysages, notamment. A chaque fois, qu’il décrit un coucher de soleil, il me met les larmes aux yeux…”

“Le sentiment d’éternité vit un chaos

Caracas, c’est aussi et surtout une petite musique qui colle à la peau. Cela peut être celle de Nat King Cole, choisie par l’auteur, qui se laisse surprendre dans son processus de création : (…) “Des larmes ont creusé un chemin jusqu’à ma bouche, écrit-il. Elles étaient salées. Elles avaient le goût de la peau de Dolorès. J’ai passé ma langue sur mes lèvres. Je me sentais à la fois si vide et si plein d’elle. T’ai tourné mon visage vers le hublot et j’ai souri à son absence.” Vivement la présence d’un prochain livre où “le sentiment d’éternité vit un chaos”.

Olivier SCHLAMA

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