Deux radiologues, Bernard Duperray et Cécile Bour, ont écrit un livre à paraître le 29 août sur un possible scandale sanitaire : sur-diagnostics, sur-traitements inutiles, etc., le dépistage de masse du cancer du sein serait une “erreur” monumentale. Contre-productif, il reposerait sur l’idée, fausse selon les auteurs, qu’un petit cancer dépisté tôt n’évoluerait pas vers forcément une maladie qui tue.
Un demi-siècle après avoir suscité un immense espoir dans les années 1970, le dépistage de masse du cancer du sein serait une hérésie. C’est le discours, a priori très étayé, avec force schémas et références mondiales, de deux spécialistes du sujet, Cécile Bour et Bernard Duperray, radiologues (1) qui viennent d’écrire un livre qui ne sortira que fin août et dont Dis-Leur a pu lire un exemplaire. Le nom de cette bombe éditoriale, Dépistage du cancer du sein : La grande illusion. Rien de moins. Originaire d’Alès (Gard), Cécile Bour est installée en Moselle.
Pour cette lanceuse d’alerte ès qualité, il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause le dépistage systématique de femmes à risques de cancer du sein, première cause de décès par cancer chez les femmes en France. Elle est relectrice pour la revue Prescrire et préside un collectif de médecins baptisé Cancer Rose, en écho à la campagne nationale annuelle du ministère de la Santé, du nom, elle, d’Octobre Rose. La radiologue était déjà montée au créneau, avec succès, contre une association qui, dans l’Hérault, promouvait historiquement un dépistage du cancer du sein avant 50 ans. Ce qui, aux dires mêmes de l’Institut national du cancer, peut s’avérer dangereux. Bernard Duperray, son co-auteur, lui, n’y va pas par quatre chemins. “Le dépistage du cancer du sein ou l’art de rendre malades des femmes bien portantes et de donner l’illusion de les avoir guéries”, claque-t-il. Pour les deux médecins,“dépister pour mieux guérir : un leurre”. Ce n’est pourtant en rien un pamphlet.
Le dépistage n’a réduit ni la mortalité, ni le nombre de formes avancées, ni la lourdeur des traitements. Le dépistage ne permet pas de moins mourir du cancer du sein”

Flash back. Depuis 2004, les autorités sanitaires invitent toutes les femmes (de 50 ans à 74 ans) à effectuer une mammographie tous les deux ans. Objectif : diagnostiquer les cancers du sein précocement afin de réduire la mortalité ainsi que la lourdeur des traitements. Après quinze ans de dépistage, le constat est, selon les deux médecins, sans appel : le cancer du sein est diagnostiqué de plus en plus tôt, on découvre des tumeurs de plus en plus petites et pourtant “le dépistage n’a réduit ni la mortalité, ni le nombre de formes avancées, ni la lourdeur des traitements. Le dépistage ne permet pas de moins mourir du cancer du sein”. Après plus de quarante années consacrées au diagnostic du cancer du sein, Bernard Duperray arrive à la conclusion que “le dépistage comme pratique de santé publique est une grave erreur dont les femmes sont les premières victimes”.
Pourquoi le dépistage ferait-il plus de mal que de bien ? Parce que, pour commencer, il génère ce que les médecins appellent dans leur jargon du sur-diagnostic. En clair, ce dépistage de masse fabriquerait de la “maladie”. Il révèlerait des cancers “qui ne se seraient pas manifestés sans lui”. L’accusation est grave. Ce surdiagnostic, “aujourd’hui massif en France, est lourd de conséquences car il est à l’origine de sur-traitements inutiles”.
Non seulement le surdiagnostic précipite “des milliers de femmes bien portantes dans un état pathologique imaginaire terrifiant mais il entraîne des traitements qui, par leur nature et l’intensité de leurs effets secondaires, sont intolérables chez des femmes qui n’en ont pas besoin“. Le sur-diagnostic se définit comme le diagnostic d’une “maladie” qui, si elle était restée inconnue, n’aurait jamais entraîné d’inconvénients durant la vie de la patiente.
Cela fait 30 ans que l’on vit dans un monde de Bisounours… rose en disant aux femmes que le dépistage va les sauver. Or, justement, on exige de nous, de la profession médicale, la vérité.”
Cécile Bour, radiologue.
Ce n’est pas tout. Il y a entre autres les irradiations. Les cancers dits d’intervalle, entre deux examens. Et les “faux positifs”. Explication : “La probabilité que la patiente dont le test est positif soit effectivement malade, écrivent les deux médecins, s’est avérée beaucoup mois élevée que prévu (…) Sur 100 tests positifs, 93 femmes sont inquiétées inutilement (… ) C’est ce que l’on appelle les “faux positifs” Il y a l’inverse : les “faux négatifs” qui “méconnaissent un cancer sur cinq”.
C’est un livre iconoclaste qui renverse les certitudes. “Il se veut comme tel !”, revendique Cécile Bour. “Il faut expliquer aux femmes les choses telles quelles sont. Cela fait 30 ans que l’on vit dans un monde de Bisounours… rose en disant aux femmes que le dépistage va les sauver. Or, justement, on exige de nous, de la profession médicale, la vérité. De la transparence. de l’honnêteté.”
On pense qu’une lésion qui est petite va forcément devenir grande. Et on pense que si on détecte un “petit” cancer on va éviter le grossissement de ces lésions qui se révéleraient forcément mortelles. C’est faux.
Elle le redit, à la lumière d’études répertoriées dans le livre : “Le dépistage massif et indifférencié du cancer du sein ne fonctionne pas. Comme pour la prostate et la tyroïde. Ce dépistage-là est une faillite. Notre idée intuitive est fausse. Il n’y a pas de schéma linéaire, inéluctable et progressif de la maladie. On pense qu’une lésion qui est petite va forcément devenir grande. Avec une extension régionale et générale qui donne ensuite la mort. Et on pense que si on détecte un “petit” cancer on va éviter le grossissement de ces lésions qui se révèleraient forcément mortelles. C’est faux. Ça marche mais pour un seul type de cancer : celui du col de l’utérus. Là, on réduit la mortalité ; là, le dépistage marche.”
Elle ajoute : “Le dépistage de masse ne fait pas baisser la mortalité des cancers du sein. Pourquoi ? Les cancers graves du sein se développent vraisemblablement à partir de sous-populations qui sont, dès le départ, intrinsèquement méchants. Ils possèdent des caractéristiques moléculaires telles que même quand on les dépiste quand ils sont tout petits, ils vont quand même tuer leur hôte quoi que l’on fasse.”
Ce que l’on demande, c’est que les femmes aient accès à toute l’information disponible et qu’elle choisissent ou non le dépistage en toute connaissance de cause.”
Et d’insister : “Il y a eu un aveuglement complet de autorités sanitaires, davantage depuis 2004 et le lancement par Chirac du Plan Cancer, argue Cécile Bour, dénonçant “la bonne affaire pour les labos phamaceutiques“ commercialisant des traitements anti-cancer. “On a toutes les bases d’un scandale à la hauteur du Médiator. Ce que l’on demande, c’est que les femmes aient accès à toute l’information disponible et qu’elle choisissent ou non le dépistage en toute connaissance de cause. En Grande-Bretagne, par exemple, elles reçoivent une brochure complète sur le sujet. Aux USA, pourtant jusque-là très pro-dépistage de masse, il y a une demande de désescalade de la part du corps médical.”
Pourquoi les pouvoirs publics se seraient-ils à ce point trompés ? “L’état des connaissances n’est plus le même. Le problème, aussi, c’est que ce schéma a été inventé par un chirurgien devenu mythique, William Halsted, dans la seconde moitié du 19e siècle. Et que tout le monde a encore en tête aujourd’hui. Il avait allégué un taux de réussite très important après qu’il eut opéré 50 femmes : seulement 6 % de récidives. Problème, le temps d’observation était trop court…” Toute l’étude qui servit au dépistage du cancer du sein serait donc fausse.
Les deux radiologues concluent : “Le dépistage systématique du cancer du sein a échoué parce qu’il repose sur une hypothèse erronée, sur une conception du cancer du sein qui est fausse. Certains cancers régressent ou n’évoluent pas. D’autres ont d’emblée des métastases. Nous sommes devant un casse-tête, celui de comprendre de nouveaux paradigmes d’une maladie loin d’être maîtrisée.” Cécile Bour conseille, d’ici là, “ce que les femmes font déjà : se palper régulièrement le sein et, à la moindre modification ressentie, aller consulter.”
De son côté, l’Institut national du cancer (INCA) n’a pas répondu à nos sollicitations. Il maintenait il y a quelques mois que la méthode actuelle offre davantage de bénéfices que de risques. Une étude européenne, la toute première du genre, mettra peut-être tout le monde d’accord. Baptisée MyPeBs (My Personal Breast cancer Screening), elle va tenter d’ici six ans auprès de 85 000 volontaires de savoir s’il faut ou non personnaliser le dépistage. Cécile Bour et Bernard Duperray ont déjà décelé des biais importants, notamment un postulat de base acceptant d’emblée “une perte de performance de 25 %. Autant dire que c’est une étude biaisée qui permettra juste de confirmer que ce que l’on fait actuellement est la bonne méthode”, maugrée Cécile Bour.
Olivier SCHLAMA
- Le cancer du sein est un tueur en série : c’est le premier tueur des cancers féminins, occasionnant 12 000 décès par an, 19 966 mastectomies totales par an, soit 4 mastectomies totales pour 10 nouveaux cancers.
- (1) Bernard Duperray est médecin radiologue spécialiste du cancer du sein, retraité après quarante et un an de pratique à l’hôpital Saint-Antoine à Paris. Il enseigne à l’université Paris-Descartes.
Cécile Bour, originaire du Gard, a rédigé la préface est médecin radiologue vit dans la région de Metz. Elle préside l’association Cancer Rose qui milite pour que les femmes aient accès à une information indépendante et loyale.
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