L’été en art (5) : Au Miam, à Sète, l’emballante expo autour des papiers d’agrume !

Expo SUPERBEMARCHE Papiers d'agrumes & co du Miam dont certains ont été agrandis et suspendus. Photos : Olivier SCHLAMA

Succès de l’été avec plus de 50 000 personnes, le Musée international des arts modestes présente une expo étonnante, chatoyante et surprenante sur ces petits bouts de papier de soie symboles de la mondialisation et qui questionnent la société.

La si fragile pellicule posée à la main protégeant une orange… Papiers de soie, un monde en soi. L’image d’Epinal a imprimé nombre de rétines. Qui ne se souvient d’avoir froissé cette “double peau” de l’agrume ou, au contraire, selon son humeur, de l’avoir parfaitement serrée façon gros bonbon pour qu’elle épouse le fruit d’une parfaite rotondité…?

Attention, ne pas se tromper. Les voisins de quai s’appellent Foire aux Trouvailles et en face, façon minaret, un bâtiment accueille en toutes lettres, gravé, Chambre de commerce mais c’est la maison de la mer de la Région Occitanie… Pour avoir du vrai, du palpitant, du poétique, il faut pousser la porte du Miam (attention, fermeture le lundi…)

Papiers d’agrumes & co du Miam. Photos : Olivier SCHLAMA

Une expo émotionnellement chargée et riche

Et y trouver, jusqu’au mois de mars 2026, comme le définissent ses commissaires, une expo émotionnellement chargée et riche : “Chargés de valeur mercantiles émotionnelles ou artistiques, les images imprimées traversent plus ou moins discrètement nos vies de consommateurs en les rendant plus belles. Echappant à leur destin éphémère, certaines deviennent objets de collection ; parmi elles, les papiers de soie qui entourent les agrumes et dont le Miam possède plusieurs milliers d’exemplaires (…)” Au-delà de leur esthétique chatoyante, ces images “véhiculent, à travers l’Europe et le monde, l’image d’une industrie agroalimentaire globalisée dont nous sommes héritiers et nourrissent notre imaginaire.”

Représentant Mickey (pour les enfants allemands !), Play Boy, des Pyramides, Eve, Superman…! Pour l’artiste Ben, “tout est art” ! C’est le cas de la magnifique et étonnante expo, Superbemarché Papiers d’agrumes & co (1), au Musée des arts modestes, à Sète. Où l’on peut, pour le même prix d’entrée (5,60 €), s’inscrire même à une visite guidée. Une expo qui rassemble une impressionnante collection de quelque 800 petits papiers de soie qui deviennent autant de papiers de soi tellement ils semblent appartenir à notre mémoire collective.

Papiers d’agrumes & co du Miam. Même de la BD ! Ph. Olivier SCHLAMA

Vraies (mini) oeuvres d’art qui questionnent la société

La grande majorité de cette expo, réalisée en collaboration avec le lieu d’arts appliqués la Fenêtre, à Montpellier, à la suite d’un appel d’offres, est fournie par un collectionneur, Pascal Casson (1). “Ce genre de papier protecteur se voit beaucoup moins, notamment parce que les primeurs les enlèvent avant la mise en vente et leur préfère, une fois les agrumes posés sur leur étal, un petit autocollant qui détermine une marque, une origine”, explique Aurélie Carnac, médiatrice culturelle. Et puis les fongicides et les camions frigorifiques firent leur taf en nous empoisonnant…

Une si petite pellicule de papier enveloppant l’orange, témoin de tellement de choses… Et qui rassemblent pas mal de passionnés-collectionneurs sou le terme barbare de agruminvelopapyrophiliste. Suscitant, jadis, la rêverie des consommateurs aux confins de la mondialisation (d’Israël à l’Afrique du Sud en passant par l’Italie ou l’Espagne) quand les agrumes entrèrent à la fin du 19e siècle dans toutes les familles comme fruit de consommation courante. On y apprend comment ce fruit est l’exemple-même du commerce international avec des apartés sur les conditions de plantations des agrumes ; leur calibrage ; le transport dans le monde entier, etc. Et, surtout, comment ce fin papier de soie est aussi un objet culturel ! Parfois, ce sont de véritables (mini) oeuvres d’art qui questionnent la société ; des oeuvres quasi-révolutionnaires même. Et pourtant on ne sait presque jamais rien des auteurs, des graphistes qui ont souvent débordé d’imagination.

“La plupart de ces créations sont anonymes. On n’en connaît pas la datation exacte”

Papiers d’agrumes & co du Miam. Même de grands noms ont été associés à ces papiers comme Picasso, Napoléon, etc.Photos : Olivier SCHLAMA
Papiers d’agrumes & co du Miam. Même de grands noms ont été associés à ces papiers comme Picasso, Rubens, Napoléon, etc. Photos : Olivier SCHLAMA

D’un besoin sanitaire, ces fins papiers de soie deviennent peu à peu un objet de décor, support de branding. “Chacun rivalise alors d’originalité et de couleur, multipliant les noms de marques et les motifs les plus inattendus dont la variété semble infinie”. Du verger à l’étal, ces papiers de soie transforment le fruit en produit. Trois vidéos sont proposées sur la production en Espagne, en Algérie et en Sicile.

Le Miam a aussi accueilli les dons de papiers de soie d’une autre collectionneuse, Odette Lachenal, enrichis par les “doublons du musée des Arts décoratifs de Paris”. Ces objets de la marge, de la périphérie, entrent totalement dans la veine du Miam qui sait depuis des décennies exploiter tout le potentiel culturel de ces importantes inutilités. “La plupart de ces créations sont anonymes. On n’en connaît pas la datation exacte.” C’est du marketing avant l’heure, aussi. Dans la salle d’expo, surplombant des palettes constituées pour l’occasion, ont été réalisés et suspendus des agrandissements de certains de ces papiers d’emballage. Rayonnant !

Papiers d’agrumes & co du Miam. Ph. Olivier SCHLAMA

L’Espagne, par exemple, va se servir de la Coupe du Monde 1982 pour non pas créer une mascotte mais de le remplacer par l’orange !”

Ce papier de soie est support de foules d’infos : il signale la provenance, le marketing, le calibre… Ces images éclatantes sont parfois des (mini)oeuvres d’art. “Ces papiers symbolisent le soleil, la bonne santé, ce sont parfois de vrais bijoux iconographiques !” Voire politique : “L’Espagne, par exemple, va se servir de la Coupe du Monde 1982 pour non pas créer une mascotte mais de le remplacer par l’orange !” Cette même Espagne, quand elle voudra exporter en France, n’hésitera pas à dessiner une tour Eiffel sur ce papier d’emballage pour espérer plaire davantage aux Français…

Objet de contestation sociale

Papiers d’agrumes & co du Miam. Photos : Olivier SCHLAMA

C’est aussi un objet de revendication sociale, contestataire ; on le saisit à travers les appels à boycott des oranges Outspan d’Afrique du Sud qui se voit dénoncées en pleine époque de l’Apartheid en Afrique du Sud . Ou quand, plus près de chez nous, dans la ville-frontière de Cerbère (P.-O.), des “transbordeuses”, qui s’occupent, à la force des bras de porter, de transbahuter, des sacs de 25 kg d’oranges de trains espagnols dans des wagons français, les rails n’ayant pas la même largeur… “Ce sont les premières à avoir fait grève, en 1906, pour une augmentation de salaire. Un wagon a été gardé pour la mémoire de ce travail”, nous apprend Aurélie Carnac. L’artiste Pascale Herpe a mis en lumière ces femmes et leur révolte par l’édition de papiers d’agrumes portant le portrait de ces “transbordeuses”…

Collectionneur de sacs plastique imprimés de représentations architecturales !

Papiers d’agrumes & co du Miam. Ici des papiers de soie en l’honneur des “transbahuteuses” de Cerbères… Photos : Olivier SCHLAMA

Représentant Mickey (pour les enfants allemands !), Play Boy… Venues de Palerme, Venise, Florence, Ravene… Là, ce sont des imaginations débordantes qui se sont succédé. On pense à la valeur qu’avait jadis l’orange pour nos aïeuls : un cadeau de Noël pour certains mais aussi à la magnificence de la grande Orangerie de Versailles…

Papiers d’agrumes & co du Miam. Une partie est consacrée aux sacs plastiques mais exclusivement imprimés de motifs d’architecture. Ph. Olivier SCHLAMA

 

Fluide, bien travaillée, l’expo se poursuit. Et, en mezzanine, on tombe sur de très belles émotions. Professeur en histoire et cultures architecturales, Éric Monin se dit archisaccuplastikophile : il collectionne sacs en plastique mais attention qui ne sont imprimés que de représentations d’architectures, historiques ou triviales : “En sortant des magasins, explique-t-il, portés par des clients investis malgré eux d’une mission de propagande, ces motifs architecturaux installaient une nouvelle géographie héraldique, une sorte de fragmentation architecturale capable de contaminer l’ensemble de la cité selon une chorégraphie improvisée faisant sans arrêt écho à la réalité matérielle de l’espace construit.” Ce n’est pas tout.

Des essuie-tout qui nous absorbent

En tout dernier, il ne faut pas rater le “corner” consacré à l’omniprésent essuie-tout. Jetable par définition. Ici, ce n’est pas le cas. Elise Mazac et Robert Drowilal proposent, eux, une collection qui, mise bout à bout, parle de notre société. Qui l’embellit, même par la courte vie de ces morceaux de papier imprimés ! A côté de leur collection, ils ont développé, sur des bâches, les agrandissements d’un travail “para-photographique” monumental plein d’humour. Ces imprimés deviennent support de collages remarquables. Un travail qui valorise étonnamment ces bouts de cellulose absorbant voués normalement à nos poubelles. Et qui nous absorbent.

Dans ma jeunesse je collectionnais les caisses d’oranges ; je les récupérais dans les poubelles quand j’étais jeune pour leurs graphismes extraordinaires…”

Hervé di Rosa, président de l’Association de l’Art modeste
Papiers d’agrumes & co du Miam. ICI, le travail para-photographique sur l’essuie-tout… Photos : Olivier SCHLAMA

Hervé di Rosa, président de l’Association de l’Art modeste qui veille aux destinées du musée créé il y a juste 25 ans, s’exprime sur cette expo : “C’est une très vieille idée. Déjà dans ma jeunesse je collectionnais les caisses d’oranges ; je les récupérais dans les poubelles quand j’étais jeune pour leurs graphismes extraordinaires ; j’ai toujours eu un intérêt pour ce beau design anonyme. Qui était conçu dans l’entreprise-même de primeurs. Et, coup de chance, il y a cinq ou six ans, on nous a donné deux collections, des Arts Déco et d’un collectionneur {Pascal Casson, Ndlr}. Elles étaient déjà rangées dans des classeurs. On a alors lancé une bourse en association avec la Fenêtre à Montpellier. C’est le groupe Rovo, un jeune duo de graphistes qui, pendant un an, a étudié ces collections. Ils en ont fait l’inventaire, les photos et, surtout, ils en ont étudié les provenances, les moments où ces papiers de soie ont été faits ; par quelles boîtes ; y avait-il des designers qui étaient entrés en jeu, etc. Et, comme on le fait toujours avec le Miam, on a croisé ce travail avec la création contemporaine d’artistes dont on peut voir le travail.”

Expo sur l’abstraction modeste

Hervé di Rosa ajoute : “L’expo actuelle est très réussie. D’ailleurs, les gens ne s’y trompent pas. On a atteint les 50 000 entrées cet été et j’espère bien que l’on va les dépasser. Tous les jours, il y a du monde ! La prochaine expo sera consacrée à un seul artiste : Adrien Fregosi qui était venu habiter à Sète il y a 15 ans et qui est mort à 42 ans. Je l’avais repéré et déjà exposé à la Pop Galerie. Et en 2027, nous aurons une expo sur l’abstraction modeste – dont sont faits nos vêtements, nos tapisseries… Et dont le commissaire appartient au centre Pompidou, Michel Gautier. L’abstraction, ce n’est pas que Soulages… Et nous devrions avoir l’agrément du centre Beaubourg, en travaux pour quatre ans. Ce sera une expo labellisée par Beaubourg et hors de ses murs.”

Olivier SCHLAMA

  • Ouverture du mardi au samedi, visites guidées comprises dans le prix d’entrée, à 14h30 et 16h30. Prévoir une bonne heure. 15 personnes maximum.
  • (1) Le peintre normand Pascal Casson a initié sa collection en 1984 en découvrant un papier de poire chez une amie. Quarante années plus tard, les presque 20 000 papiers qu’il a récoltés, échangés, classés et donnés au Miam constituent le socle de cette exposition. Leur classement méticuleux au sein de 120 classeurs s’adapte à la logique de production des fruits et des papiers de chaque pays: thématique pour la Sicile où un motif n’entretient pas un rapport exclusif avec une marque; par région et ville de production pour 1′ Espagne; alphabétique pour les autres pays.

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