Engouement des “sociétés à mission” : La révolution du “business avec des valeurs”

Coup de projecteur sur ce capitalisme qui se revendique heureux avec des pratiques plus responsables en pleine expansion comme le confirme Coralie Dubost, députée et corapporteuse de la loi Pacte. Exemples avec Espace Propreté, première du genre en France à avoir adopté ce modèle ; Terra Hominis, “première du monde viticole” à en avoir fait autant, Com’Event qui évoque, elle, une “révolution”, et même un restaurant, O Jasmin… Du côté de Primum Non Nocere, c’est un “tournant dans la vie économique”. Certains travaillent même à la création de territoires à mission !

Un cadeau tombé du ciel ! C’est ainsi que Ludovic Aventin a accueilli la bonne nouvelle, en 2019, de la possibilité pr la loi de devenir une “société à mission”, “la 1er du monde viticole”, revendique-t-il. Puis, le fondateur de Terra Hominis (terre des hommes, en latin), a foncé vers le greffe du tribunal de commerce mais celui-ci n’avait pas encore reçu le bon formulaire pour changer les statuts !

Un collectif des entreprises à mission dans l’Hérault

Les AG de Terra Hominis sont toujours festives et conviviales comme l’état d’esprit des associés aux projets. Ici, en juin 2017, à l’issue d’une grande balade vigneronne. Photo : DR.

Depuis, Ludovic Aventin a créé le collectif des entreprises à mission de l’Hérault. Et milite urbi et orbi sur cette “plus grande révolution depuis l’invention du Code Napoléonien !” En 1804… Il a créé une start-up innovante proposant des vignobles en copropriétés, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI, avec à ce jour 3 200 associés et pas moins 40 vignobles partagés qui ont “sauvé des vignerons”, assure ce patron de sept salariés.

Une mission d’ordre social et/ou environnemental

Comme l’explique l’Observatoire national, une société à mission, c’est une entreprise – 504 y sont à ce jour référencées dans l’Hexagone – qui se donne une mission d’ordre social et/ou environnemental, au delà de son but lucratif. Cette mission est intégrée aux statuts de la société. Celle-ci est suivi par un comité de mission et évaluée ensuite par un organisme indépendant. Elle est issue de la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation de l’économie) du 22 mai 2019.

Cela signifie que l’on peut faire du profit et avoir une responsabilité globale ; on n’est pas là que pour satisfaire les associés. Surtout, cela donne du sens à notre travail…”

Ludovic Aventin, de Terra Hominis
Terra Hominis a été l’une des première société à s’intéresser à ce statut. Ici à l’Assemblée nationale. DR.

De l’avis de tous les patrons qui l’ont adoptée, ce n’est pas un gadget. Au contraire. Le scandale des Ehpad d’Orpea pousse l’un de ses actionnaires à lui demander de prendre le statut d’entreprise à mission. Comme un gage pour l’avenir. “Pour nous, cela n’a pas changé grand-chose mais cela parachève notre façon d’être, confie encore Ludovic Aventin de Terra Hominis. Cela signifie que l’on peut faire du profit et avoir une responsabilité globale ; on n’est pas là que pour satisfaire les associés. Surtout, cela donne du sens à notre travail ; cela redonne un élan ; c’est aussi une bonne chose pour recruter des gens qui partagent les mêmes valeurs. La semaine dernière, je suis allé voir une société à Bordeaux pour un partenariat qui me semblait intéressant. Elle était justement entreprise à mission”, résume Ludovic Aventin. Qui se ressemblent s’assemblent.

“Le démarrage timide à cause des Gilets jaunes et la crise”

Ludovic Aventin de Terra Hominis. DR.

On ne compte encore que quelques centaines d’entreprises à mission en France. “Le démarrage a été timide parce qu’il y a eu les Gilets jaunes et la crise sanitaire, estime-t-il. Aujourd’hui il y en a de plus en plus. Mais les organismes officiels connaissent mal cette possibilité. Je suis même en rapport avec Gilles Goujon, le Trois-Étoiles de Fontjoncouse, qui aimerait en être…!” Pour Ludovic Aventin, c’est aussi une bonne action collective.

Il pointe : “C’est LE statut que j’attendais ; il nous va comme un gant. Maintenant, il faut faire porter l’effort sur les TPE.” Il est vrai qu’à l’ombre des mastodontes que sont Danone ou Carrefour ou telle mutuelle nationale qui se réclament de l’entreprise à mission, il faut faire attention de ne pas être pris dans les mêmes mailles qu’eux de la communication opportuniste… “Mais bon, même si c’est le cas, cela va quand même dans le bon sens. C’est le statut de l’entreprise de demain ! On n’a pas le choix.”

À l’inverse du greenwashing, on dit à tout le monde : voilà nos valeurs, nos engagements, notre raison d’être et je les affiche. Et je les affiche tellement que je les grave dans mes statuts”

Muriel Fournier d’Espace Propreté. DR.

Au coeur de la démarche, il y a ce que l’on appelle “la raison d’être”, c’est un peu comme un pacte scellé avec toutes les forces vives de sa société. Comme un engagement gravé dans le marbre. Terra Hominis, à Boujan-sur-Libron, près de Béziers (Hérault), place le vigneron au coeur de la sienne (1). Pour Muriel Fournier, patronne d’Espace Propreté, à Montpellier, c’est même une profession de foi (2). Elle dit : “À l’inverse du greenwashing, on dit à tout le monde : voilà nos valeurs, nos engagements, notre raison d’être et je les affiche. Et je les affiche tellement que je les grave dans mes statuts.”

“Seule société en France dans ce cas”

Une étape cruciale, cette réécriture des statuts et de la raison d’être. “Ça rassure clients comme salariés car même s’il y a un changement de gouvernance, la vision de la société ne changera pas.” Pour Muriel Fournier, ce nouveau statut est très symbolique. “J’ai juste eu besoin de formaliser ce que l’on fait ensemble depuis que j’ai repris la société il y a quatre ans. Mais on l’a fait avec les salariés : 19 sur 32 ont travaillé sur la raison d’être. Et cela a été fait plus tôt que prévu, au 1er février. C’est un bel engagement.” Muriel Fournier ajoute : “J’ai été étonnée qu’aucune des 45 000 entreprises de nettoyage du pays n’ait entamé cette démarche. Nous sommes la seule entreprise en France à avoir ce statut.”

Fiche de paie, temps de travail…

Comité des parties prenantes d’Espace Propreté. DR.

Dans ses nouveaux statuts Espace Propreté a, par exemple, ajouté la mission de “former nos salariés sur leurs droits et devoirs”. “Depuis trois ans, nous organisons une formation annuelle (à l’occasion de la journée de Solidarité) pour expliquer à nos salariés comment lire une fiche de paie, quelles sont nos obligations mutuelles concernant le temps de travail, comment on calcule les congés payés, ce qu’est un accident du travail, quoi faire en cas de harcèlement moral ou sexuel…” Ce n’est pas tout.

Achats locaux, économie circulaire…

Une autre mission s’est ajoutée : “Développer les achats locaux, l’économie circulaire”. Depuis toujours, nous favorisons nos achats auprès de nos propres clients (assurance, logiciel informatique, intérim, expert comptable, avocats, site web, travaux des locaux, mobilier…)” Et encore : “Nous avons ajouté comme mission de contribuer au développement économique et social du territoire par une performance économique durable”. Espace Propreté est mécène de plusieurs associations (dont Les Nouvelles Grisettes).”

Salariés, clients, fournisseurs impliqués

Comité des parties prenantes d’Espace Propreté.DR.

Muriel Fournier, d’Espace Propreté, ajoute à propos des sociétés qui ne feraient pas ce qu’elles disent : “Cela peut être un acte de communication si cela n’est pas fait avec sincérité. Nous, nous n’avons fait que formaliser ce que nous avons mis en place il y a des années. Et avant de valider la “raison d’être”, je l’ai soumise “aux parties prenantes”, ceux qui sont concernés de près ou de loin par mon entreprise, pour leur demander ce qu’ils en pensent : salariés, clients, fournisseurs, médecine du travail, etc. Trois de nos clients ont participé ainsi qu’un fournisseur ainsi que quatre salariés. Ils ont discuté mot après mot de cette raison d’être.”

Résultat, “ceux qui étaient investis, le sont encore davantage. Pour les nouveaux, cela a permis de se rendre compte des valeurs de l’entreprise et de resserrer les liens entre eux, en sachant que mes agents ne se voient pas beaucoup, par ailleurs, ils sont le plus clair du temps chez nos clients.”

Avec une formation RSE, le passage facilité

Le déclic s’est produit il y a un an. “Un client est venu me voir pour nous dire qu’il nous quittait parce qu’il aurait trouvé une entreprise de nettoyage investie dans la RSE – alors que quelques jours plus tard je recevais un prix de la Chambre des métiers en tant qu’entrepreneur responsable… Je ne suis dit qu’il y avait un problème dans ma communication : je fais la même chose en terme de RSE tous les jours et ça ne se voit pas. Il est juste plus “commercial” que moi et fait moins de RSE que moi… J”ai même fait une formation de huit mois sur la RSE avec douze boîtes de nettoyage d’Occitanie et Paca. Ça fait peu sur le nombre d’entreprises existantes… Du coup, avec cet accompagnement, le passage en entreprise à mission s’est fait naturellement.” Ce statut vertueux est d’autant plus important que les sociétés de nettoyage sont les invisibles de l’économie.

“De plus en plus de société s’intéressent à ce modèle : du business avec des valeurs”

Pour Grégory Blanvillain, le mot engouement est encore un peu trop fort. Il parle plus volontiers de frémissement : “De plus en plus de société s’intéressent à ce modèle : du business avec des valeurs”, dit celui qui est patron de Com’Event (une agence d’organisation d’événements, basée à Lattes, près de Montpellier) et représentant de la CGPME 34, il parle d’une “révolution” et pas seulement parce que cela apporte une ligne supplémentaire sur le Kbis de la société, sa fiche d’identité.

C’est une prise de conscience globale. Qui nous permet d’avancer et d’avancer ensemble”

Grégory Blainvillain, CGPME 34

Jusqu’à maintenant, décrypte-t-il, on avait d’un côté les grands capitalistes et de l’autre les vertueux de l’économie sociale et solidaire. Maintenant, on a cette troisième voie très pertinente notamment pour les TPE. C’est aussi un outil de management et cela aide à formaliser des pratiques que nous avons déjà sur les achats responsables, par exemple, sur les enquêtes de satisfaction, etc. C’est une prise de conscience globale. Qui nous permet d’avancer et d’avancer ensemble. Dans l’avenir, nous serons encore plus éco-responsable pour organiser séminaires et autres événements…”

Marre de l’opposition entre les soi-disant méchants capitalistes et les associations soi-disant vertueuses

Olivier Toma DR.

À la tête de Primum non nocere (en premier ne pas nuire, en latin), une agence de coaching RSE parmi les premières sociétés à mission en France, basée à Béziers (32 salariés, 2,2 M€ de chiffre d’affaires), Olivier Toma n’a pas de mots assez forts pour exprimer le vif intérêt de ce nouveau statut qui vient bousculer habitudes et clichés d’un pays “encore très dogmatique. On se retrouve comme au moment de la promulgation de la loi de 1901. C’est un peu la suivante, 1902 ! Une révolution !” Marre de l’opposition entre les soi-disant méchants capitalistes et les associations soi-disant vertueuses de l’ESS. “J’ai connu des gens extraordinaires comme des salopards dans les associations”, maugrée Olivier Toma.

Le greenwashing ? Impossible ! Nous sommes évalués régulièrement par un cabinet indépendant mais aussi par nos partenaires”

Olivier Toma de Primum non nocere

Avec les sociétés à mission, ajoute-t-il, “c’est une géniale 3e voie ; on définit sa raison d’être ensemble avec ses équipes, c’est collaboratif. Le greenwashing ? Impossible ! Nous sommes évalués régulièrement par un cabinet indépendant mais aussi par nos partenaires.” Dans ces cas-là, impossible de raconter des balivernes. Tout le monde s’en rendrait compte.

“Dans un mois, justement, nous allons être évalués. J’ai la pression. Parce que certaines choses ne sont pas au point. C’est une bonne chose ! Sinon, on ferait de la merde ! Nous sommes à un tournant dans le monde économique. La loi Pacte (Plan d’action pour la croissance et la transformation de l’économie) c’est comme si on avait inventé la loi de… 1902 ! Cent vingt ans après celle de 1901 qui a transformé une partie de l’économie française en créant les associations, à but non lucratif, dont le but n’est pas le partage des bénéfices. On compte 1,5 million d’associations en France.

Un rôle sociétal et environnemental

O Jasmin, le restaurant de Chaouki Asfouri n’est pas sous forme associative. Cela ne l’empêche pas de gérer son restaurant, à Saint-Gély (Hérault), avec “bienveillance” depuis 11 ans, dit-il. Il est désormais société à mission, sans doute l’un des rares restaurants en France à l’être. “Au départ, j’étais éligible au label de Maître Restaurateur. Il y a pas mal de critères de qualité auquel nous répondions, comme travailler avec des produits frais (même mes oeufs, bio, je les achète à 2 kilomètres du restaurant !); utiliser les circuits courts etc.”

Recyclage, compost, plantation d’arbres…

Chaouki Asfouri, patron du O Jasmin. DR.

Au cours d’une réunion avec Coralie Dubost, députée Larem, le restaurateur, par ailleurs président de l’Association des entrepreneurs du Pic-Saint-Loup qui en regroupe 150, s’aperçoit que le statut d’entreprise à mission qui a un rôle sociétal et environnemental, colle parfaitement à sa vision de l’entreprise qui va plus loin que d’autres : “Nous nous sommes engagés dans le recyclage et la production de compost ; nous finançons chaque mois la plantation de dix arbres ; nous recyclons les mégots que les clients écrasent devant le restaurant.” 

Management participatif au coeur de l’entreprise

Chaouki Asfouri a aussi une approche sociale intéressante qui est du “gagnant-gagnant” : “Nous avons, par exemple, créé une prime vélo/trottinette pour ceux de nos salariés qui veulent se déplacer en mode doux ou à pied.” La politique salariale suit. “On paie au-dessus de la grille de la profession. Mais ce n’est pas l’essentiel : nos huit salariés sont sensibles à notre management participatif : chaque changement de carte se fait avec eux ; nous avons un plan de maîtrise sanitaire qui leur fait gagner du temps précieux…”

Il offre même des massages à ses salariés !

Résultat, à l’heure où l’hôtellerie-restauration manque cruellement de main d’oeuvre (avec 237 000 postes à pourvoir !), lui enregistre une “fidélité constante de nos collaborateurs ; ils se sentent bien chez nous. Du coup, il y a peu de turn over.” Chaouki Asfouri a même recours aux massages “sur vêtements” pour ses huit salariés ! “Ce qui est important aujourd’hui c’est notre capacité à bien manager”, confie-t-il. Avec une vision sociétale. Il donne un exemple timidement : “Nous “travaillons” à la réinsertion des mineurs non accompagnés en nous portant garants pour les cautions pour qu’ils trouvent à se loger…”

De l’entreprise aux territoires à mission !

C’est pour dupliquer ces bonnes pratiques qui déploie ce capitalisme vertueux qu’Olivier Toma de Primum non nocere a à coeur de développer une idée qui peut faire florès : créer non pas seulement des entreprises à missions mais des territoires à mission. Et à partir de ce mouvement émergent, lancer une dynamique. “Nous travaillons à cela à Tours, Angoulême et Valenciennes, confie Olivier Toma en faisant travailler ensemble associations, collectivités et entreprises volontaires sur des thèmes précis. conditions de vie, changement climatique, etc.”

À Montpellier, aussi, l’idée fait son chemin. Comme le dit de concert Chaouki Asfouri qui travaille à l’élaboration d’un label sur le Montpelliérain. Il a déjà un nom : Ethiq (pour Environnement, territoire, humain, qualité). C’est l’Association des entrepreneurs du Pic-Saint-Loup qui s’occupe de son élaboration. Ensuite ? Ensuite l’idée c’est de se servir de cette boîte à outils des bonnes pratiques partout en France.

Beaucoup sont de ces entreprises familiales qui ont plus que d’autres compris l’enjeu…”

Coralie Dubost, députée de Montpellier

Rapporteuse du volet RSE dans la loi Pacte, la députée Larem de l’Hérault, Coralie Dubost, juriste de formation qui accompagnait les entreprises dans leur démarche RSE, confirme : “C’est effectivement la prochaine étape et l’Hérault est territoire expérimental sur ce sujet avec la CGPME 34, confie la députée. Pour l’entreprise à mission, la mayonnaise a bien pris, même plus vite que ce que l’on pensait. C’est historique. C’est entré dans le Code Civil qui n’avait pas bougé depuis Napoléon ! Y compris localement ; peut-être parce que nous avons pas mal d’entreprises déjà engagées dans une politique RSE. Pourquoi ? Parce que beaucoup sont de ces entreprises familiales qui ont plus que d’autres compris l’enjeu. Elles aiment aussi notre mode de vie ; notre arrière-pays…”

Olivier SCHLAMA

(1) La raison d’être de Terra Hominis : “Préserver ce qui fait la force de nos vignobles, la diversité de ses vignerons en créant du lien entre les amateurs de vin et les vignerons et ainsi dynamiser les territoires ruraux tout en tenant compte des enjeux sociaux et environnementaux. Permettre à la nouvelle génération de vigneron qui travaille dans le respect de l’environnement et qui n’a pas les moyens financiers permettant l’acquisition de foncier ou le paiement de fermage en numéraire de s’installer ou de se développer. Permettre à des agriculteurs en difficulté de trouver un levier financier tout en leur permettant de poursuivre et pérenniser leur activité. Être une force vive, de création et de partage qui veut contribuer à façonner un monde fraternel pour demain en tissant et en renforçant les relations humaines entre les Hommes.”
(2) La raison d’être d’Espace Propreté : “Centrées sur l’humain, le respect et la responsabilité, nos équipes accompagnent chaque client pour lui permettre d’évoluer dans un environnement propre et sain et de se consacrer pleinement à son cœur de métier. En découle une série de valeurs couvrant le spectre de la RSE : permettre à chacun de se développer dans un parcours professionnel respectueux de l’intégrité de la personne ; être un acteur clef dans la réduction des impacts environnementaux de nos client ; utiliser le développement durable comme un levier d’innovation et de création de valeur pour les parties prenantes.”