Dossier présidentielle: Les candidats à la moulinette des lobbies

Les lobbies font feu de tout bois, à un mois du premier tour... Photo Bim MaxPPP. Dominique Quet

C’est toute la société qui cherche à faire pression sur les candidats à la présidentielle, profitant de la fenêtre médiatique. Agriculture, police, économie sociale et solidaire, retraités qui se mobilisent contre leur petites pensions, viticulture face à une concurrence déloyale…  Un contre-pouvoir émerge : de nombreuses associations du monde numérique proposent d’éduquer le citoyen et de lui redonner le pouvoir.

Il y a le cri de désespoir, celui du président de la mutuelle Intériale, de la police, Pascal Beaubat, qui se désole de la fracture ouverte : “C’était en 2016. Il y a une éternité. Renaud chantait: “J’ai embrassé un flic (…) Comme lui, comme vous, des millions de Français témoignaient leur reconnaissance à la police (…)” Il dénonce après Charlie Hebdo, le Bataclan, Magnanville, Nice : “Le flic, on ne l’embrasse plus; on l’insulte, on lui crache à la figure, on l’immole.” Autres groupe d’intérêts, la Coordination rurale a établi dix propositions phare pour l’agriculture ; Familles de France, elle, défend 30 propositions patchwork : la réussite scolaire de tous les enfants, des prestations familiales plus justes ; l’accès aux soins de qualité pour tous ; le droit au logement pour les plus jeunes ; une retraite décente et juste ; la préservation de notre planète, etc. Les retraités manifestaient jeudi dernier pour que leurs maigres pensions soient réévaluées ; dans un autre domaine, le SNES, principal syndicat d’enseignants du second degré) y va aussi de son appel pour “un lycée pour tous !”, réclamant davantage de moyens. Les fédérations et organismes œuvrant pour la langue et la culture occitanes questionnent, aussi, les candidats à l’élection présidentielle, défendant l’idée d’une loi pour un vrai statut de cette langue régionale vivace.

Ce n’est pas tout. Le Réseau national de l’économie sociale et solidaire (RENESS) s’invite, lui aussi, dans la présidentielle 2017 et lance un appel “pour la création d’un vrai ministère de l’économie sociale et solidaire. Et veut que l’on crée les conditions du développement d’un Produit Intérieur de Fraternité !” Tout un programme ! Ce pan de l’économie représente, dans la région, 22 800 établissements, 210 000 salariés et pas moins de 5,2 milliards d’euros en salaires, soit 16% de l’emploi privé en région. De quoi les écouter attentivement…

Parlement de la société civile

Après deux jours de congrès au Lazaret, à Sète (Hérault), Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France, défend une autre option  : “Nous sommes à l’origine de l’Appel des Solidarités et ses 500 propositions : 150 000 citoyens ont déjà répondu présent sur le site dédié ou on envoyé un simple SMS (gratuit) avec le mot “Présent” au  32 321. Déjà, 120 associations d’envergure nationale nous ont rejoint, elles étaient 80 il y a un mois ; 14 millions de Français sont engagés dans des associations, sans compter la solidarité spontanée de tout un chacun. Ils manquent de visibilité et de poids. Le but cette fois n’est pas de faire une énième plate-forme à soumettre aux candidats. En 2012, nous avions fait comme beaucoup d’autres de propositions sur le logement, l’hébergement, l’accès aux droits, etc. Certes, il y a eu un plan de lutte contre la pauvreté. Mais on a du mal à en voir les effets : on compte plus d’un million de pauvres en plus en dix ans alors que le pays en lui-même continue à s’enrichir. L’objectif c’est de se compter, de se rendre plus visible et ensuite de peser sur l’action.” Au lieu d’aller vers les candidats, ce sont les candidats qui vont vers “notre archipel d’associations. Au moins trois d’entre-eux, Macron, Mélenchon et Hamon, soutiennent l’initiative”.

Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France était à Sète. Il se félicite de la réussite de l’Appel des Solidarités. Photo : Olivier SCHLAMA

 

Thierry Kuhn complète : “Nous sommes dans un état d’urgence sociale, solidaire et écologique. Dans un an, nous organiserons le Rappel des Solidarités pour évaluer ce qu’a fait le gouvernement. Nous pensons que notre mouvement commence une histoire pérenne ; nos voudrions constituer une sorte de Parlement de la société civile pour pouvoir faire des propositions et mieux contrôler l’action publique. Nous ne lâcherons pas. S’il le faut, nous suivrons cela heure par heure.”

Face à ce déluge de demandes, la riposte s’organise. Exemple avec un lobby anti-lobby. Il porte un nom vintage qui fleure bon les années 70 et a un porte-drapeau qui claque : l’appel des Solidarités réunit 120 associations, dont la Fondation Nicolas-Hulot (FNH). Ensemble, ils lancent jusqu’au 21 avril une campagne incitant les candidats à ériger la lutte contre les inégalités comme prioritaire. “Des réseaux qui, mis bout à bout, rassemblent plus de dix millions de personnes“, assure Nicolas Hulot.

Que le citoyen se reconnecte avec la démocratie

Parmi ces associations, nombreuses sont celles de la Civitic tech, dont Démocratie ouverte. Son cofondateur, Armel le Coz explique : “Nous regroupons de innovateurs de démocratie. Nous proposons des outils pour comparer les programmes. Des chiens de garde qui assurent une veille comme nosdeputés.fr et des chiens de guide, avec des sites comme Voxe.net qui compare intelligemment les programmes et proposent un processus de créations le lois en toute transparence avec les parlementaires. Car ceux-ci peuvent être complices des lobbies mais aussi des victimes. Nous souhaitons que le citoyen se réapproprie la politique, qu’il se reconnecte avec la démocratie.”

Encadrer les groupes d’intérêts

Démocratie ouverte, c’est seulement 350 membres – en France mais aussi en Belgique, au Québec, en Tunisie- mais détenant une force de frappe éprouvée : “L’existence des lobbies ou des groupes de personnes, de citoyens, d’entreprises, etc., est assez naturel et finalement normal, convient Armel le Coz. Ils défendent leurs intérêts, parfois en croyant même défendre aussi l’intérêt général. Certains développent une stratégie cynique se masquant derrière des pseudos associations, des faux nez, qui défendent en réalité des intérêts privés. Ces lobbies sont de plus en plus nombreux. De plus en plus organisés. De plus en plus cachés. C’est une préoccupation des citoyens. Il faut donc les encadrer. Encore une fois, nous avons des solutions très concrètes pour participer à la construction de lois en toute transparence”.

Olivier SCHLAMA

  • Défendant l’idée que le numérique est encore trop absent des programmes des candidats bien que ce  secteur irrigue toute la société, France Digitale, considéré comme l’organisation la plus représentative de la Toile, vient de lancer un manifeste des start-ups. Au menu de cette puissante association qui se dit sans couleur politique,  16 propositions sur la prise en compte du numérique par le prochain président de la République… http://www.francedigitale.org/fd-uploads/2017/03/manifeste_v-finale.pdf
  • Emmaüs France, ce sont 283 groupes et 19 000 personnes. Thierry Kuhn, qui en est le président, est aussi directeur d’un chantier d’insertion.” https://www.appel-des-solidarites.fr

 Les autres articles de ce dossier :

– Vins de Pays d’Oc entre en campagne : https://dis-leur.fr/viticulture-pays-doc-entre-campagne/