L’une des plus petites Scènes nationales de France est un acteur incontournable qui irrigue toutes les vallées de l’Ariège avec une programmation éclectique et une “cordée poétique” : ce lieu collabore intelligemment avec les villages du département.
En poste depuis six ans, Carole Albanese est la directrice de l’une des plus petites Scènes nationales en France, l’Estive, à Foix (Ariège). De 2019 à 2023, la fréquentation globale a connu une forte augmentation de la saison de spectacles, passant de 19 200 spectateurs à 25 600 en 2024, soit une hausse relative de 8 points (de 72 % à 80 % de taux de fréquentation) avec “beaucoup de trans-disciplinarité dans la programmation”. Il y a certes eu une baisse des entrées du cinéma à 22 420 mais elle est due à une réduction du nombre de séances.
Carole Albanese a travaillé “pendant plus de vingt ans entre Paris, Bruxelles et la Sarthe. J’avais à coeur de revenir en Ariège ; j’avais les codes pour travailler en ruralité…”, dit-elle, dans un département où cette Scène nationale irrigue toutes les vallées. Et dont la vocation est de “faire venir les spectateurs de ces vallées vers l’Estive pour des spectacles qui nécessitent un plateau technique”. C’est l’une des sept Scènes nationale de l’Occitanie.
Comment va la culture en Ariège ?

Nous poursuivons déjà un axe fort d’itinérances artistiques en le développant : l’idée de la Scène nationale de l’Ariège, c’est d’avoir à la fois une maison “mère” à Foix mais aussi de multiples partenariats sur le territoire, dans les différentes vallées, pour favoriser la rencontre entre artistes et habitants un peu partout. 30 % de la programmation de l’Estive est décentralisée ; cette décentralisation passe aussi par des résidences ; des ateliers et des actions diverses. C’est ce que j’ai appelé la “cordée poétique”. La façon dont la Scène nationale collabore avec différents acteurs du territoire, notamment des mairies de petits villages, pour emmener des artistes dans ces territoires ruraux.
Vous y montez des chapiteaux… ?
Le but c’est plutôt d’essayer de faire avec l’existant : d’occuper les salles des fêtes, les salles communales ; foyers ruraux ; écoles… L’idée c’est d’être dans une économie de moyens qui permette de faire… plus. Après, quand on organise des spectacles dans les salles de fêtes nous les équipons avec notre parc de matériels itinérants. Par exemple, pour le spectacle Jamais Dormir, pour le jeune public, de Baptiste Amann et qui va partir sur les routes. Mirepoix, Varilhes, Foix. On essaye d’irriguer les territoires avec des partenariats.
La culture est-elle vivace en Ariège grâce à l’Estive ?
Le département de l’Ariège est extrêmement dynamique culturellement avec énormément d’associations culturelles. Les gens sont très impliqués dans la vie associative locale.
Comment l’expliquez-vous ?

C’est une forme de participation très active à la vie locale qui donne du sens à la vie. D’ailleurs, beaucoup de gens viennent ici parce qu’ils y ressentent une dynamique et cela attire d’autres personnes. Et la dynamique grandit. C’est aussi un département très intergénérationnel. Il y a beaucoup de retraités mais aussi beaucoup de familles qui s’y installent et qui amènent de nouvelles énergies de nouvelles envies. Il y a une attraction très forte.
Nous, à l’Estive, nous avons à coeur de faire tomber les clichés : de se dire que la ruralité, c’est un territoire des possibles et d’avenir : beaucoup de jeunes se rendent compte que l’avenir est à construire ici. Les villes sont saturées.
En Languedoc-Roussillon, il est très difficile de sortir du modèle du tourisme de masse installé depuis longtemps ; l’Ariège part, elle, d’une page blanche. Peut-on comparer tourisme et culture ?
Oui. On voit une forte dynamique surtout depuis la crise sanitaire du covid, avec une ruée vers les territoires ruraux. Ça a joué et ça joue encore énormément. L’Ariège est un territoire qui s’est longtemps “préservé” du tourisme pour garder aussi sa qualité de vie. Avec la crise sanitaire, beaucoup de gens se sont tournés vers les campagnes. Et cette dynamique ne s’est pas arrêtée depuis.
La culture, en Ariège, est-ce une tradition ?
Déjà, il y a beaucoup de cultures traditionnelles ; de danses ; de chants ; de rituels associés à la vie agricoles, c’est très vivace. Le “trad” s’est beaucoup renouvelé sous l’impact de nouvelles démarches artistiques, en danse et notamment en musiques. Le folk est très vivace. Nous avons le groupe Barrut, un ensemble de polyphonies occitanes, reconnu, qui a, par exemple, passé une semaine dans le village de 600 habitants de Vicdessos, dans la plus enclavée des vallées de l’Ariège ; ses membres ont logé dans un gîte montagnard ; répété dans la salle des fêtes de la mairie. Le jeudi, jour de marché, ils ont fait une répétition ouverte au public avec des dizaines de personnes et un atelier de chant avec 40 participants. Et, le samedi soir, ils ont rempli l’Estive et ses 590 places…

La dynamique que l’on essaie d’insuffler, c’est d’aller à chaque fois que l’on peut dans les territoires pour faire des résidences, en équipant les salles des fêtes, par exemple. La mairie participe aux frais d’hébergement. C’est formidable. On est là au coeur du projet de l’Estive et de la “cordée poétique” : comment peut-on tisser du lien sur le territoire. Et faire vivre cette Scène nationale dans et hors les murs. Et les gens affluent. On voit arriver de nouveaux publics grâce à une programmation très diversifiée. On est sur des valeurs très fortes d’humanisme, de cohésion sociale ; on fait appel à des artistes inspirants, qui nous donnent un élan pour affronter les difficultés du monde actuel.
L’Estive aura 40 ans en 2026 : qu’avez-vous prévu ?
L’Estive aura 40 ans en 2026, oui. On va essayer de faire une année la plus belle possible dans un contexte où les moyens financiers se tarissent ; on a perdu 5 % de l’aide de la Région Occitanie, par exemple, comme toutes les Scènes nationales, soit 13 000 € en moins. Ça fait très mal. La seule variable d’ajustement, c’est l’activité artistique. Le budget général, c’est 2 M€. Dont du mécénat et des partenariats dont l’ensemble représente environ 70 000 €.

Nous sommes 19 permanents et pas mal d’intermittents qui nous rejoignent tout au long de l’année. Nous jonglons énormément d’autant que nous n’avons rien à “vendre” : notre richesse c’est le travail que nous fournissons. Tout ce que nous faisons, c’est à perte. Les subventions viennent aider l’activité pour la rendre accessible, avec une grille tarifaire très démocratique. On a des rendez-vous gratuits ; des tarifs à 7 €-10 € pour les jeunes…
C’est aussi comme cela que vous trouvez votre place entre Toulouse et les autres Scènes nationales ?
Nous avons une programmation très complémentaire de celles proposées à Toulouse. La programmation de l’Estive ne se retrouve pas à Toulouse qui n’a pas de Scène nationale. Ce sont des programmations seulement de théâtre ou de musiques. Nous signons parfois des partenariats pour accueillir de très grandes compagnies qui sont en tournée et peuvent plus facilement arriver jusqu’à nous. Pour un territoire, un département de 150 000 habitants comme le nôtre, on se doit d’être pluridisciplinaire. Là ou les lieux toulousains proposent une programmation spécifique pour avoir ainsi une identité forte. D’ailleurs, beaucoup de gens de Haute-Garonne viennent à l’Estive. Et se ressourcer en Ariège pour un week-end ou des vacances.
On a eu la création de l’Article 353 du Code Pénal, une adaptation
du livre éponyme de Tanguy Viel, interprété par Emmanuel Noblet et Vincent Garanget, nominé pour le Molière du meilleur acteur du théâtre public. Eh bien, c’est une création que l’Estive coproduit et vous ne l’aurez pas à Toulouse !
Le 6 mai, c’est une compagnie d’Occitanie, Dan6t de Tarbes, de hip hop et de danses contemporaines, associée à l’Estive, qui a donné deux spectacles dans la journée. C’est une création qui s’inspire de la gestuelle des adolescents que cette compagnie est allée rencontrer dans leurs collèges, lors de leur résidence. Et qui a fait intervenir sur le plateau un groupe d’ados et un groupe d’amateurs pour la séance tous publics.
Il y a aussi, associée à l’Estive, la compagnie Pierre Rigal, un chorégraphe qui a clos la saison le 5 juin, au vélodrome de… Foix, c’est un spectacle qui parle des danses en rondes, qui réinvente une espèce de folklore. Là aussi, ce sera participatif pour le public.
L’été, vous avez quel style de programmation ?
On propose ce que l’on appelle le Ciné sous les Étoiles. C’est une saison estivale en plein air. Avec un ou deux écrans géants, l’un étant gonflable grand format et un montable plus petit. On a une programmation de films actuels et de patrimoine avec aussi des cinés-concerts. C’est très varié avec une vingtaine de séances dans l’été, à raison de trois à quatre fois par semaine. Nous travaillons étroitement avec les communes, les foyers ruraux avec qui nous co-organisons ces soirées.
Propos recueillis par Olivier SCHLAMA
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