Avant d’entamer une série de conférences qui donnent des fourmis dans les jambes, Adeline Rucquoi, spécialiste des Chemins de Compostelle, explique pourquoi ils fascinent toujours (plus de 347 000 marcheurs en 2019 !) et par quels faits historiques ils ont été créés. Comment, par exemple, la politique d’immigration de l’Espagne du Moyen-Âge leur a donné un coup de fouet… Passionnant.
Pourquoi lancer cette série de conférences (1) ?
Les Chemins de Saint-Jacques en France ont été inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco en 1998. En fait, la France n’a pas fait inscrire des chemins, tout un tas d’itinéraires, de trajets, mais un “bien en série” fait de 78 monuments divers, églises, ponts, etc. dans toute la France (comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI). Et quand un bien est inscrit il faut l’entretenir et surtout le mettre en valeur. Plus de 20 ans se sont passés depuis l’inscription et peut-être que ceux qui habitent Saint-Guihem-le-Désert, à côté de Montpellier, ne savent-ils pas qu’ils font partie du même “bien” Unesco au même titre que la cathédrale d’Amiens ou le Mont Saint-Michel. C’est l’Agence des Chemins, à Toulouse, qui est chargée de la gestion de ce bien qui m’invite au moins une fois par an pour faire prendre conscience que c’est un tout, un ensemble.
Pourquoi ces Chemins fascinent-ils toujours ?
Difficile d’y répondre. Il faudrait interroger tous ceux qui les ont faits ou ont l’intention de les faire. Je pense qu’il y a d’abord une quête de sens, de sens de la vie. Tout ce qui est matériel, tout ce qui relève du progrès à tout prix, ça commence à ne pas être suffisant en soi. D’ailleurs, on essaie de ralentir ; y compris pour des raisons de protection de la planète. Certains cherchent donc un sens à leur vie. C’est une question que l’humanité se pose depuis qu’elle existe.
Cela se mélange, à notre époque, avec ce besoin de la marche, de ce moment où l’on se retrouve seul avec soi-même. Marcher. Voir la nature. À son rythme. Et puis, “faire Saint-Jacques”, c’est l’assurance de ne pas tourner en rond : si vous faites le tour de la Corse, vous reviendrez à votre point de départ. Idem pour le massif du Vercors. Là, c’est une marche vers un but : Saint-Jacques, en Gallice, qui était considérée comme le bout de la terre jusqu’à ce que l’on découvre l’Amérique. Chaque jour, chaque pas vous rapproche de ce but.
Quelle est l’origine de ces Chemins ?
Des pèlerinages, il y en a dans toute l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas propre aux chrétiens ; on peut évoquer l’Inde, par exemple. Le point commun c’est qu’il y a des lieux où des gens se rendent parce qu’il y a une sacralité, une aura qu’il n’y a pas ailleurs. Pour Saint-Jacques, c’est la tombe d’un apôtre. Quand on a annoncé, au début du IXe siècle, vers 830, que le corps de l’apôtre Jacques, Jacques le Majeur, de Zébédée, avait été retrouvé en Gallice, eh bien les gens ont commencé à y aller. Un siècle après, les gens viennent de plus loin, d’Allemagne par exemple. Arrive, là dessus, le fameux évèque du Puy-en-Velay, Godescalc, célèbre pour s’y être rendu à pied en 950 ; ensuite certains marcheurs viennent de loin, parfois d’Arménie, au 10e siècle. La présence du corps et des reliques de Saint-Jacques s’est très vite diffusée. Les gens sont ainsi partis vers Compostelle.
Et les chemins proprement dits ?
Ils n’apparaissent en tant que tels qu’à partir de la fin du 11e siècle, même si les gens l’empruntaient avant. Mais, curieusement, les pèlerins n’y allaient à cette époque qu’en bateaux ! L’important, c’était d’arriver en Gallice, dans le Nord Ouest de la péninsule ibérique et entourée par la mer. Tous ceux qui étaient proches des côtes faisaient comme cela ; malgré les tempêtes et les pirates. C’est peut-être moins long et moins fatiguant qu’à pied.
Et puis à partir de la fin du 11e siècle, aussi pour des raisons politiques espagnoles, qui ont lancé ce que l’on a appelé la “Reconquête” de l’Espagne face aux musulmans. Pour cela, il fallait véritablement occuper le terrain. À cette époque-là, l’Espagne mène une politique d’immigration : attirer des gens par la terre. Car si ces gens arrivent en bateaux, ils peuvent retourner facilement chez eux.
Récits légendaires… Charlemagne…
En revanche, s’ils traversent une grande partie de l’Espagne et qu’on leur offre dans les différentes villes et villages des avantages, comme payer moins d’impôts, avoir une justice particulière, etc., c’est plus difficile de faire marche arrière ; les gens risquent davantage de s’installer définitivement en Gallice. Cette politique est appuyée par des récits merveilleux, légendaires… Charlemagne, lui-même, qui aurait créé ce chemin… Et puis là il y aurait eu tel miracle puis tel autre… Le chemin devient un itinéraire particulier jalonné d’une série de monuments et de récits plus ou moins merveilleux.
Vous débutez votre cycle de conférences à Montréal d’Aude, samedi, par la légendaire hospitalité ?
Ce chemin a repris, en gros, sa vocation au milieu du 20e siècle mais il n’a véritablement repris qu’à partir des années 1980, il y a peu de temps finalement, à peine 40 ans, que le pèlerinage devient massif. Et comme on n’y va plus par bateau mais à pied pour allier la marche, l’écologie, la quête de sens, etc. ces marcheurs, il faut les loger. Il a fallu installer un réseau de ce que l’on appelle des gîtes, qui ne reviennent pas trop cher.
Au Moyen-Âge, il y avait déjà eu le même problème. Le pèlerin ne cherche pas systématiquement des hôpitaux. Au contraire : il y avait de tout dans ces hôpitaux qui étaient aussi un refuge pour les pauvres et les gens de passage. Au 17e et 18e, le pèlerin part avec de l’argent sur soi pour leur préférer des auberges. Se payer son hôtel. Beaucoup ont très mauvaise réputation ; on raconte alors que les aubergistes volent les étrangers qui leur vendent le pire vin au prix le plus fort, etc. Il y a plein de récits comme cela. Comme il y a beaucoup de monde ; comme on risque de tomber malade le long du trajet ; comme on peut se faire voler, à partir de la fin du 12e siècle, parmi les oeuvres de miséricorde, que ce soit un évèque, un roi, un groupe de personnes réunies en confrérie, ils vont ainsi créer des hôpitaux pour les pélerins.
Ce sont des gîtes qui ont parfois quatre ou cinq lits, pas plus. D’autres sont plus grands et en proposent des dizaines, en tenant compte du fait qu’au Moyen-Âge, on ne dort jamais tout seul dans un lit : il faut multiplier par deux ou trois le nombre de personnes à loger. Se crée ainsi tout un réseau d’hôpitaux. Apparaissent ensuite les premiers guides fin du 15e siècle signalant que tel hôpital vaut la peine de s’y arrêter ; qu’un autre vous donne du pain et un morceau de viande ; que dans un 3e, attention, l’hôtelier n’aime pas les Allemands, etc. Les ecclésiastiques n’ont pas ce problème : ils vont de monastère en monastère, c’est la règle pour héberger l’étranger de passage.
À Toulouse, vous parlerez de quoi ?
J’aborderai l’histoire de l’évolution du pèlerinage à partir du 9e siècle. En expliquant que c’est un pèlerinage européen. Qui se déroule sur douze siècle. Actuellement c’est un pèlerinage mondial. En 2019, avant la pandémie, on a compté plus de 347 000 marcheurs et de plus 150 nationalités, c’est considérable. Cette année, les pèlerinages n’ont pu recommencer qu’à partir de la fin mai, ont été remis à ce jour 170 000 certificats !
Et à Saint-Gilles, dans le Gard ?
Il faut essayer aussi là bas de faire prendre conscience qu’il font partie de ce bien en série. De l’importance de ce pèlerinage. Saint-Gilles, qui était aussi un lieu de pèlerinage, était l’un des points de départ dès le 12e siècle, pour les Chemins de Compostelle. À Saint-Jacques, ils reconnaissent que Saint-Gilles abrite un splendide tombeau mais embrayent sur le fait que le seul vrai chemin de pèlerinage, c’est celui de Compostelle…! (rires).
Qui vient à vos conférences ?
Quand j’arrive à le savoir, je me rends compte qu’il y a de tout. Pas énormément de jeunes ; ce ne sont pas des heures, probablement où ils pourraient venir. Mais je sais que quand elles sont enregistrées, elles sont regardées sur You Tube. Parmi les gens qui viennent voir mes conférences, il y a aussi des gens qui ont déjà fait Saint-Jacques ; d’autres qui sont simplement curieux ; d’autres qui ont l’intention de faire ce Chemin et qui hésitent. J’ai été présidente de la Société française des amis de Saint-Jacques pendant longtemps. On donne aux pèlerins une crédenciale, qui est en fait une lettre de créances en espagnol pour justifier que le pèlerin peut demander hospitalité et je m’étais rendu compte que quand on demandait aux gens la motivation, eux-mêmes ne le savaient pas exactement. “J’ai envie de partir”… “J’en ai entendu parler…”, disaient-ils. On entend des choses pas très claires. En revanche, c’est à l’arrivée que les gens se rendent compte pourquoi ils sont partis.
Quels conseils donneriez-vous à un novice ?
Je n’ai pas fait les Chemins. Je les arpente dans le temps ! (rires). Ce que je peux conseiller, c’est de ne partir que quand on en a envie soi-même. Ou que l’on en ressent le besoin. Souvent, cette envie arrive quand il y a une rupture dans sa vie. Rupture professionnelle, par exemple. Quand on se retrouve au chômage ou que l’on doit prendre un nouveau travail, on part. Le temps de prendre un ou deux mois de réflexion. Ou alors après un divorce, un deuil, une mise à la retraite.
Mais celui ou celle qui part pour faire plaisir à quelqu’un d’autre, pour accompagner quelqu’un, si ça ne correspond pas à une envie personnelle, en général, ça ne se passe pas bien. Sinon, ce n’est pas la peine de se préparer à faire les Chemins comme si c’était une épreuve sportive. Il faut commencer lentement. Si le premier jour, au bout de 5 km, 10 km, on est fatigué, on s’arrête. Petit à petit, le corps se fait à la marche. Tous ceux qui l’ont fait le racontent. En fonction de cette habitude du corps et du terrain, on s’aperçoit que l’on marche de plus en plus facilement. Et quand on arrive au but, et que l’on regarde sa moyenne, on s’aperçoit que l’on a fait 20 km par jour. Je déconseille de partir avec l’idée de faire 20 km par jour.
Comment êtes-vous devenue spécialiste des Chemins ?
Je suis historienne, médiéviste, directeure de recherche au CNRS et spécialiste de l’Espagne et de son histoire culturelle au Moyen-Âge. Un jour j’ai rencontré des gens de l’association de sAmis de Saint-Jacques qui avaient besoin de quelqu’un avec mon profil, parlant en plus espagnol pour travailler sur le pèlerinage et faire des colloques.
Olivier SCHLAMA
(1) Dates et lieux des conférences :
- Samedi 13 novembre, Montréal dʼAude, 16h, salle des fêtes, Lʼhospitalité sur les chemins de Saint-Jacques, organisée par lʼassociation des amis de Saint-Jacques en terre dʼAude.
• Dimanche 14 novembre, Pouzols Minervois (Aude), 14h, salle des fêtes : « Pèlerins et chemins de pèlerinage dans le sud de la France au Moyen-Age et dans les temps modernes », organisée par lʼassociation Camins.
• Mardi 16 novembre, Toulouse, 31 rue des Chalets, 18h30 : Le chemin : un voyage dans lʼespace, un voyage dans le temps, organisée par lʼInstitut Cervantès.
• Mercredi 17 novembre, Saint Gilles du Gard, 17h visite de lʼabbatiale, 18h, Pavillon de la Culture, « 1200 ans sur les chemins de Saint-Jacques » organisée par le service patrimoine de la Ville de Saint-Gilles.
• Jeudi 18 novembre, Marseille 17h, cité des Associations – 93 La Canebière, « Compostelle un voyage dans le temps et dans l’espace ». Toute la journée : exposition en entrée libre, organisée par lʼAssociation provençale pour Compostelle.
• Vendredi 19 novembre, Nice, 16 h, Auditorium du MAMAC, « Compostelle : l’espérance ? » Place Yves Klein, organisée par lʼAssociation Provence-Alpes-Côte dʼAzur-Corse des Amis des Chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle et de Rome.
• Samedi 20 novembre, La Valette du Var, 15h30, auditorium Pierre Bel, « La France et Saint Jacques », 77 avenue du grenadier dʼEmpire Charles Chabaud organisée par lʼassociation des Amis de Saint-Jacques en terre varoise.
• Dimanche 21 novembre, Salon de Provence, 15h, Auditorium Bd Aristide Briant,
Compostelle un voyage dans le temps et dans l’espace organisée par lʼassociation des Amis de Saint-Jacques en Alpilles.
La conférencière
Adeline Rucquoi vit entre la France et lʼEspagne. Directrice de recherche émérite au CNRS, elle est une spécialiste reconnue au plan international de lʼhistoire médiévale de la péninsule ibérique. Elle est membre de nombreuses académies et sociétés savantes en Espagne, en France et en Amérique du sud. Parmi ses ouvrages : Le Voyage à Compostelle (Robert Laffont, 2018), 90 récits de pèlerinages enfin accessibles ; Mille fois à Compostelle (Les Belles lettres, 2014) ; À Jacques, apôtre, frère de Jean – Précis à lʼusage du pèlerin de Compostelle, CLD Editions, 2020.Elle a contribué au beau livre Chemins de Saint-Jacques de Compostelle en France, patrimoine de lʼhumanité (Editions Gelbart, 2018).
Monuments régionaux remarquables
Il y a 24 monuments remarquables en Occitanie :
- Aniane – Saint-Jean-de-Fos (Hérault) : pont du Diable
- Auch (Gers) : cathédrale Sainte-Marie
- Audressein (Ariège) : église Notre-Dame-de-Tramesaygues
- Beaumont-sur-l’Osse et Laressingle (Gers) : pont d’Artigues ou de Lartigues
- Cahors (Lot) : cathédrale Saint-Pierre
- Cahors (Lot) : pont Valentré
- Conques (Aveyron) : abbatiale Sainte-Foy
- Conques (Aveyron) : pont sur le Dourdou
- Espalion (Aveyron) : pont Vieux
- Estaing (Aveyron) : pont sur le Lot
- Figeac (Lot) : hôpital Saint-Jacques
- Gavarnie (Hautes-Pyrénées) : église paroissiale Saint-Jean-Baptiste
- Gréalou (Lot) : dolmen de Pech-Laglaire 2
- Jézeau (Hautes-Pyrénées) : église Saint-Laurent
- La Romieu (Gers) : collégiale Saint-Pierre
- Ourdis-Cotdoussan (Hautes-Pyrénées) : église Saint-Jacques
- Rabastens (Tarn) : église Notre-Dame-du-Bourg
- Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne) : ancienne cathédrale Notre-Dame
- Saint-Chély-d’Aubrac (Aveyron) : pont dit “des pèlerins” sur la Boralde
- Saint-Gilles (Gard) : ancienne abbatiale
- Saint-Guilhem-le-Désert (Hérault) : ancienne abbaye de Gellone
- Toulouse (Haute-Garonne) : basilique Saint-Sernin
- Toulouse (Haute-Garonne) : Hôtel-Dieu Saint-Jacques
- Valcabrère (Haute-Garonne) : basilique Saint-Just
📌Regardez la vidéo de l’Agence des Chemins de Compostelle ICI