Être adhérent d’une association et bénévole de surcroît pour aider à multiples tâches, c’est formidable. Mais, nouveauté depuis quelques années, on constate un dévoiement du libre-arbitre. Sociologue, Dan Ferrand-Bechmann confirme dans un entretien à Dis-Leur ! cette tendance de fond et en explique les raisons.
De plus en plus d’adhérents d’associations, de clubs sportifs font état de contraintes accrues : telle association demande à ses adhérents et/ou bénévoles de participer souvent et puissamment – et même parfois on demande à cocher la case “je m’engage à participer à l’organisation de la course X comme bénévole” ! – à la tenue de la buvette, l’organisation d’un trail, qui nécessite plusieurs dizaines de personnes et plusieurs jours de préparation ; au transport des sportifs sur des compétitions, y compris lointaines, voire devenir… arbitre au pied levé, chrono en main, etc.
Si on ne “s’oblige” pas à être bénévole, eh bien on n’a pas la “carte” ; on n’est pas bien considérés
Il s’en trouve même une, de bénévole, dans un club de l’Hérault, qui gère même, suprême exigence, à son corps défendant les relations des professionnels et du bureau, ce qu’elle a décidé d’arrêter de faire devant tant de responsabilités et finalement peu de reconnaissance ! Le phénomène, répandu, sort peu à peu des seules sphères associatives. Sans doute pour une bonne raison : la culpabilité qu’elle engendre. Si, nouvel adhérent ou pas, on ne “s’oblige” pas à être bénévole, eh bien on n’a pas la “carte” ; on n’est pas bien considérés par la majorité dominante qui, elle, valide ce ce chemin dévoyé.
“Méfiance envers les actions politiques et syndicales qui s’orientent vers l’engagement associatif”
Bien sûr, être bénévole c’est valorisant ; s’occuper gratuitement des autres prouve le don de soi ; cela a de la valeur en soi. C’est un lieu de convivialité. De partage. C’est aussi un engagement dans la vie locale. Le bénévolat peut participer de l’épanouissement personnel. Le baromètre sur l’Etat de la France, qui vient de sortir (Cese-Ipsos), est très éclairant qui arrive à cette conclusion : un engagement oui, mais y compris par défaut. En résumé, les Français ont “une méfiance envers les actions politiques et syndicales qui s’orientent vers l’engagement associatif”.
Plus d’un tiers des citoyens (35 %) déclarent ainsi avoir un engagement auprès d’une association et plus de deux sur cinq dans une organisation quelle qu’elle soit (association, syndicat, parti…) Et “si la quasi-totalité des Français jugent utile (voire très utile) de faire du bénévolat dans une association, ils sont très partagés sur l’utilité d’adhérer à un syndicat ou de s’engager en politique”…
Se sentir utile, c’est gratifiant mais sans toutefois dépasser les limites du libre-arbitre, comme cela arrive parfois. Sociologue, Dan Ferrand-Bechmann, dont une partie de sa famille vit près de Montpellier, et a, à ce titre, “aidé” elle-même des associations, est professeure émérite université Paris 8. Elle s’exprime du haut de son expérience en la matière.
Y a-t-il de plus en plus de contraintes pour les adhérents et les bénévoles ?
Dan Ferrand-Bechmann : C’est tout à fait vrai : les bénévoles ont de plus en plus de contraintes à assumer. C’est généralisé et il y a un dévoiement. Commençons par le début : l’enfant ne peut faire du sport que s’il est accompagné. Et qui le fera ? Ses parents. Alors, parce qu’ils vont rencontrer dans le club des gens sympas comme eux ; parce qu’il y a quand même une atmosphère de contrainte, peu à peu ils vont entrer dans la machine ; s’occuper de la buvette, remplir des bordereaux, etc. Tenez quelqu’un de ma famille a choisi de ne travailler que quatre jours car le 5e elle s’occupe d’un groupe dans un club de vélo… Et si elle ne faisait pas cela, elle ne pourrait pas mettre son fils dans le club.
D’adhérent, est-on enrôlé pour être un bénévole… indispensable ?
Dan Ferrand-Bechmann : On devient aussi bénévole coupable si on ne fait pas grand-chose. Alors, pour nous qui défendons le monde associatif, on peut dire que c’est d’abord l’école du bénévolat pour une classe d’âge qui ne s’y intéressait pas trop : on a beaucoup de bénévoles du 3e âge mais beaucoup moins de jeunes. Ils y arrivent certes par les grandes écoles, les stages…
Mais la définition du bénévolat exclut l’obligation. Il repose sur trois caractéristiques : c’est une activité non rémunérée, non obligatoire et pour autrui. Sinon, c’est autre chose. Dans le bénévolat, on est libre ou pas de participer, de donner de son temps. On a le libre-arbitre. En faisant jouer la mauvaise conscience aux parents, certains se permettent de demander des choses qu’ils ne sont pas obligés de faire. Il y a un dévoiement du bénévolat. Certains ne marchent pas dans la combine. En même temps, c’est difficile. Dans un village, tout le monde s’implique dans une fête, même si ça pèse… Il y a la contrainte sociale.
“Si les bénévoles se mettaient en grève, toute la France s’arrêterait !”
On explique en partie l’augmentation du bénévolat en France par le fait que quelque chose qui était très libre, ou autrefois obligé par la religion, est devenu une obligation dictée par la société. C’est une norme sociale, une contrainte sociale. C’est un problème qui existe. A la télé, on parle du bénévolat ; dans les écoles – même à Science Po Paris, ils ont du bénévolat obligatoire, c’est ridicule ! C’est un stage, pas du bénévolat. En même temps, si les bénévoles se mettaient en grève, toute la France s’arrêterait ! Imaginez si tous les parents arrêtaient d’amener les enfants, de laver les maillots, de faire les gâteaux pour les fêtes… ! Les punis, ce seraient les enfants et les parents.
Le pouvoir dans les assos joue-t-il un rôle ? Et tel club veut mieux faire que son voisin et il peut y avoir une surenchère…?
Dan Ferrand-Bechmann : Ça entre en ligne de compte pour certains, oui. En général, cela vient de mauvais dirigeants qui seront vidés par d’autres. Certains tiennent mais…
Dirigeant, cela permet-il aussi d’avoir une position sociale plus élevée que dans son travail ?
Oui, mais le monde bénévole est relativement altruiste. Donc si on sent quelqu’un qui veut devenir président et dont le but c’est de serrer la main de Macron, en général, ce ne sont pas les préférés. Le bénévolat sportif, c’est complètement contradictoire et paradoxal : on est dans un monde où il y a des footballeurs qui sont payés 15 millions d’euros par an, et d’autres, les stadiers, par exemple, qui sont obligés, eux, de payer leur café et qui ne voient même pas le match de football parce qu’ils ont le dos tourné pour surveiller les débordements. L’un de mes anciens étudiants avait d’ailleurs prouvé qu’il y a une exploitation des bénévoles qui, dans ce cas précis, tiennent la sécurité.
J’ai une belle-fille qui est obligée de travailler quatre jours par semaine ; le cinquième, elle s’occupe d’un groupe de cyclistes. Et si elle ne s’en occupais pas, elle ne pourrait pas inscrire son fils dans le club”
N’y a-t-il pas trop d’associations et de clubs à faire vivre ?
Il y a beaucoup trop d’associations. Les mairies commencent à s’y intéresser ; sans eux elles ne pourraient pas tout animer. Il faudrait qu’il y ait des bureaux mutualisés qui aident au “travail” dans les clubs. Ça existe mais ce n’est pas suffisant. Il y a de plus en plus de normes sociales. Les Français sont obligés de faire du bénévolat sinon ils sont mal vus par leurs copains, leurs voisins et le club où ils sont adhérents… J’ai une belle-fille qui est obligée de travailler quatre jours par semaine ; le cinquième, elle s’occupe d’un groupe de cyclistes. Et si elle ne s’en occupais pas, elle ne pourrait pas inscrire son fils dans le club.
Cela dit, les gens, les bénévoles sont quand même un peu coupables de s’être laissé glisser sur cette pente. Il faudrait par ailleurs que les clubs demandent à la mairie un peu plus de sous au lieu de les mettre dans des trucs comme des inaugurations. Certes, les mairies n’ont plus trop de sous…
Ce que l’on trouve de bien dans le mouvement associatif, c’est que c’est l’école du bénévolat. A moment donné, on a traité les bénévoles de “voleurs d’emplois” mais ce n’est pas vrai : ce sont des emplois qui ne seraient pas créés.
Et les volontaires aux JO, qu’en pensez-vous ?
Quand on m’a demandé mon avis avant les JO, notamment dans un rapport pour le Sénat, j’étais très négative contre ce bénévolat un peu obligatoire envers les jeunes. En fait, je me suis un peu gourée parce que j’avoue qu’il y avait des bénévoles plus âgés à qui cela ne faisait pas de mal de faire du bénévolat et qui n’avaient pas besoin d’argent. Ç’aurait été bien qu’il y ait davantage de jeunes payés pendant les vacances et ça a été une telle joie populaire qu’après tout…
Olivier SCHLAMA
Portrait des 3,5 millions de bénévoles
Dan Ferrand-Bechmann a donné une conférence à Carrières-sous-Poissy le 7 février 2024. La sociologue y a notamment cité le travail de synthèse pour L’Injep de Yann Lecorps sur les données et synthèses que nous citons ici. Pas moins de “60 % des français de plus de 15 ans ont une pratique sportive, 86 % des associations ne fonctionnent qu’avec des bénévoles : 300 millions d’heures il y a 360 000 associations sportives dont 160 000 fédérées, 3,5 millions de personnes y travaillent bénévolement chaque année. Le bénévolat permet d’offrir une pratique sportive encadrée à plus de 16 millions de personnes”.
Qui sont les bénévoles dans le sport ?
“Il y a plus d’hommes que dans d’autres secteurs, surtout après 40 ans. Les responsables sont plus âgés que les “simples” bénévoles (non élus), mais ils sont plus jeunes que dans d’autres secteurs. Etre parent augmente la participation : accompagner, assister aux compétitions, aider de diverses manières y compris dans la pratique sportive. C’est donc un des rares secteurs où beaucoup des bénévoles sont aussi parents. Cette classe d’âge est moins présente dans le bénévolat de manière globale où les personnes du 3e âge dominent. On note 41 % de présence d’enfants dans le sport, contre 26 % hors sport. L’origine sociale des bénévoles est plus diversifiée dans le sport : il y a moins de corrélation entre le niveau d’étude des bénévoles et la quantité en temps de leurs engagements.”
“Le bénévolat sportif est plus jeune et plus masculin, le bénévolat dans l’action sociale est plus féminin et plus âgé”
“L’engagement bénévole commence plus souvent jeune (avant 18 ans pour certains) et s’installe dans la durée. L’obligation dans certaines disciplines d’avoir une licence falsifie les chiffres, en gonflant le nombre des adhérents par rapport à d’autres secteurs où l’adhésion est moins nécessaire. La nécessité d’une assurance est aussi une “fausse” incitation.” Et :“Il y a une décrue de l’activité bénévole dans le sport en fonction de l’âge. L’engagement dans le social dépasse le sport. Le bénévolat sportif est plus jeune et plus masculin tandis que le bénévolat dans l’action sociale est plus féminin et plus âgé.”
“Le travail salarié dans les associations est bien documenté en particulier par les travaux de la sociologue Viviane Tchernonog. En 2017, le travail bénévole du secteur sportif associatif représentait en volume un quart du travail bénévole de l’ensemble du secteur associatif. Sur la période 2011-2017, ce travail bénévole dans le secteur associatif sportif a augmenté annuellement de 5 %, comme pour l’ensemble du secteur associatif. En 2018, 12 231 individus ont effectué leur mission de service civique dans le domaine du sport, soit 14,6 % de l’ensemble des entrées en mission de l’année. C’est un secteur attractif pour les jeunes.”
“Que font les bénévoles ? Des taches administratives à 39 %, ou partie prenantes dans l’organisation d’événements, de compétitions… à 38 %, l’arbitrage pour 36 %, et beaucoup d’encadrement et de formation. De plus, ils participent largement à faire connaître une pratique sportive ou une association.”