BD : Jean-Louis Tripp, du drame personnel au sujet universel

Jean-Louis Tripp, le 21 juin, à Sète (Hérault). Photo DR

Jean-Louis Tripp est né le 4 Février 1958 à Montauban (Tarn-et-Garonne). Après des débuts précoces dans Métal Hurlant en 1977, il publie une dizaine d’albums dont Soviet Zig-Zag (scénario Marc Barcelo) et Zoulou Blues respectivement couronnés par le Prix de la presse et le Prix du Public à Angoulême (1986 et 87). Parti enseigner au Canada, il y rencontre Loisel, signant à quatre mains l’énorme succès de la série Magasin Général : 9 tomes de 2006 à 2014. En mai 2022, il signe Le Petit Frère (éd. Casterman)… Il sera en dédicace à Lagrasse (Aude) le 9 juillet et à Sète (Hérault) le 21.

Un soir d’août 1976. Jean-Louis a 18 ans. C’est le temps des vacances en famille, des grandes chaleurs et de l’insouciance… Mais un événement brutal va tout interrompre : Gilles, le petit frère de Jean-Louis, est fauché par une voiture sous ses yeux. Il n’avait pas encore 12 ans.

Transporté à l’hôpital, le garçon succombe à ses blessures quelques heures plus tard. Pour Jean-Louis, hanté par la culpabilité, un difficile parcours de deuil commence…

“Personne n’est préparé à la mort violente d’un proche” si jeune

45 ans plus tard, l’auteur choisit de revenir sur cet épisode et de retraverser chaque moment du drame. Avec franchise et sensibilité, il sonde sa mémoire et celle de ses proches pour raconter les suites immédiates et plus lointaines de l’accident, luttant pour dessiner la perte tragique d’un petit frère de 11 ans qui continue d’exister dans l’histoire familiale.

“Je crois que personne n’est préparé à la mort violente d’un proche qui n’est pas en âge de mourir. C’est une expérience qu’on ne peut pas comprendre si on ne l’a pas vécue. J’ai eu besoin de témoigner de cette expérience, de partager cette douleur, de rendre compte des déflagrations à plus ou moins long terme provoquées par cette bombe inattendue” explique l’auteur.

La planche de la tragédie est “venue toute seule…”

A propos de l’accident lui-même, il raconte : “Depuis toutes ces années, je vis avec la sensation de cette main qui part et l’image ensuite de Gilles sur la chaussée. Je voulais saisir cet entre-deux, explorer en bande dessinée cette ellipse du réel. La planche du choc est d’ailleurs venue toute seule, je n’ai pas rencontré de difficultés pour la dessiner.”

C’était l’été 1976… Le Petit frère éd. Casterman.

Partager l’expérience du deuil, le sujet est difficile. Ici, JeanLouis Tripp approche le lecteur au plus près de son ressenti. Pour lui, “le principal écueil c’est le pathos. Je ne voulais pas d’un récit intellectuel mais je ne voulais pas non plus les violons et les grands orchestres. Raconter des choses vraies, c’est le principe commun de tous mes récits autobiographiques. Je ne fais pas de l’autofiction, je raconte frontalement les faits, sans en rajouter, sans lyrisme. Je veux rester au plus près de la chair, de ce qui se passe quand les émotions traversent le corps…”

Comme le souligne Nicolas, libraire à L’Echappée Belle, où Jean-Louis Tripp dédicacera son album, jeudi 21 juillet (18h30) : “Jean-Louis Tripp nous transporte au plus près de son intimité. Après avoir développé sa vie sexuelle (dans les deux tomes de Extases, NDLR), il s’attaque à la mémoire du plus grand drame de sa vie. C’est avec une très grande émotion que l’on accompagne l’auteur dans ce deuil de 45 ans. Une bande dessinée magnifique qui à la fin, et malgré un sujet qui ne s’y prète pas, nous aura fait du bien.”

C’est contre le silence, l’isolement et la solitude que le dessinateur se met à nu. Non pas tant pour revivre cette tragédie personnelle que pour amener lecteurs et lectrices à partager, au-delà du deuil, une mémoire qui réunit et qui fait du bien.

Philippe MOURET