Ariège : Le grand jour arrive pour la réserve naturelle souterraine qui veut éviter le sur-tourisme

Fontestorbes, en Ariège. Ph. Virginie Leenknegt - PNRPA

“C’est la première réserve de cette envergure, avec 28 sites, dans le milieu exclusivement souterrain”, dit la sous-préfète, Émilie Barromes. Dont le sous-sol recèle des richesses de biodiversité, des curiosités géologiques et préhistoriques rares. Pour autant, pas question d’y supprimer visites et activités mais d’anticiper d’un possible sur-tourisme via un plan de gestion.

Le projet de réserve naturelle nationale souterraine de l’Ariège (RNNSA) vient d’obtenir un avis favorable de la commission d’enquête lancé par l’Etat. C’est un grand pas pour protéger cette richesse. “Porté par l’État depuis plus de vingt ans avec une première version du projet en date des années 2000, ce projet vise à préserver la richesse remarquable du patrimoine souterrain du département », explique-t-on en préfecture. Et, bien sûr, cela facilitera les études scientifiques et la mise en place d’actions de sensibilisation et d’éducation à l’environnement.

Une réserve et 28 sites sans doute cogérés

La suite est très formelle. Fin décembre, la préfecture doit recueillir, comme l’explique Émilie Barromes, des “contributions libres des membres associés ou partenaires jusqu’à la fin décembre. Ensuite, elles seront compilées, envoyée au ministère de l’Écologie en même temps que la proposition de décret. Une fois publié, sans doute à l’automne 2026, au plus tard, il définira le périmètre précis de cette réserve naturelle ; de lancer un appel à manifestation d’intérêts pour désigner un gestionnaire.”

Tout le travail préalable a, certes, été mené par le Parc naturel régional des Pyrénées-Ariégeoises mais “ma position est de se demander si une cogestion ne serait pas intéressante puisque c’est un sujet sensible ; il y a des associations environnementales, la fédération des spéléologues… On ne s’interdit pas y réfléchir pour aboutir à un consensus qui soit le plus large possible.”

Les activités touristiques seront maintenues mais encadrées. Lorsqu’une activité s’ajoutera dans un site, elle devra fait l’objet d’une autorisation pour réguler une forme de sur-fréquentation”

Grotte du Mas d’Azil Photo PNRPA

Car ce sera, davantage qu’aujourd’hui, une attraction touristique unique ! La sous-préfète, Émilie Barromes, va justement plus loin. “Les activités touristiques seront maintenues mais encadrées. Lorsqu’une activité s’ajoutera dans un site, elle devra fait l’objet d’une autorisation ; ce qui permettra de réguler une forme de sur-fréquentation ou une utilisation non conforme de lieux. Demain, si les gens n’ont plus envie d’aller sur les plages, sont fatigués de la montagne et décident d’essayer ce tourisme souterrain, et si des tours opérateurs venaient à se présenter pour proposer des mini-séjour de deux ou trois jours dans une grotte, nous n’aurions aucun moyen de le réguler. Avec ce plan de gestion, on en aura les moyens. Les activités devront faire l’objet par le prestataire d’une autorisation. Et quand certains opposants disent : “On va mettre ce réseau sous cloche ces ressources”, c’est faux. Ce plan de gestion c’est de faire en sorte qu’il y ait une utilisation raisonnée. Il y a eu beaucoup de craintes autour du thème : “On va nous empêcher de… » Ce qui importe, c’est préserver le présent et réguler l’avenir.”

Espèces rares et remarquables, notamment des chauves-souris ; les très rares calotriton, endémique des Pyrénées ; des arachnides, crustacés…

Ischyropsalididae Photo Virginie Leenknegt – PNRPA

Il faut dire qu’un trésor brille sous terre. Pas moins de vingt-huit sites sont concernés. Des grottes, animaux vernaculaires et autres curiosités géologiques et préhistoriques. Un patrimoine naturel réparti sur quelque 2 124 hectares souterrains qui formera la toute première réserve naturelle souterraine de France. Dans le cadre du plan national biodiversité de juillet 2018 et de la stratégie nationale pour les aires protégées, la ministre de la Transition écologique et solidaire a souhaité relancer le projet de création d’une réserve naturelle nationale souterraine en Ariège.

Matthieu Cruège, directeur du parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises, l’un des acteurs principaux de ce projet national nous expliquait : “Ce sera la seule vraie grande réserve souterraine de cette importance en France. Notre idée est de conserver et valoriser le patrimoine souterrain de ce coin exceptionnel de l’Ariège qui comprend beaucoup de cavités du fait de sa composition, principalement du karst.”

Parmi ces 28 sites, il y a des grottes, plus ou moins profondes dont certaines n’ont pas encore été complètement explorées ; il y a, à l’intérieur, des espèces rares et remarquables, notamment de chauves-souris ; le fameux calotriton, espèce de triton endémique des Pyrénées, très rare et fragile. Il y a aussi des arachnides, des crustacés qui sont, eux aussi, extrêmement rares, avec des différences importantes d’une cavité à l’autre, du fait qu’ils sont complètement inféodés à leur milieu.

“Vitrines du monde géologique et biologique souterrain”

Petit Rhinolophe Photo Virginie Leenknegt – PNRPA

En terme de valorisation, “il s’agit de travailler avec les professionnels du monde souterrain, nous confiait encore Matthieu Cruège, les spéléos pour amener davantage de gens, mais de manière encadrée, à la découverte de ce patrimoine unique ; on peut aussi imaginer organiser une valorisation ex situ – ce n’est pas donné à tout le monde de pénétrer dans ces cavités – via des partenariats avec des sites qui accueillent déjà du public. Avec, par exemple, les gestionnaires de la rivière souterraine de Labouiche [un site préhistorique à 6 km de Foix, Ndlr] ; avec ceux des grottes de Niaux [ornée du paléolithique supérieur] ou celle, protohistorique de Lombrives, à Ussat, etc. Pour en faire des vitrines du monde géologique et biologique souterrain.”

“La première fois que l’on prend en compte sous un même label de biodiversité, les aspects géologique, archéologique, spéléologique”

Calotriton Photo JAM – PNRPA

Expert du milieu souterrain, spécialiste du fameux triton endémique des Pyrénées, membre du comité scientifique et du Conseil national de protection de la nature, Olivier Guillaume suit le dossier “depuis bien longtemps, nous expliquait-il. Un projet avait déjà été initié en 1995, dit-il, par les services de l’Etat”. Vu la richesse du sous-sol de l’Ariège, cela s’imposait. “Avec ce projet, nous allons vers une gestion globale concertée en prenant en compte tous les enjeux des sites associés. C’est en effet la première fois que l’on prend en considération sous un même label la biodiversité, les aspects géologique, archéologique, spéléologique…Cette future réserve souterraine est remarquable et exemplaire…”

Enfin, Pour l’expert Thomas Cuypers, de l’association des naturalistes de l’Ariège, “l’enjeu est énorme pour nous : quinze des vingt-huit grottes abritent entre 10 % et 20 % de la population nationale de certaines espèces de chauves-souris. Pourquoi ? L’environnement est préservé en Ariège ; il y a une reconquête des forêts ; il y a un climat doux. Les chauves-souris y trouvent donc facilement le gîte et le couvert.” Sur le projet lui-même, il dit à l’unisson : “Après avoir été lancé une première fois en 2016, ce projet refait surface. Il intègre au mieux plusieurs pans comme la spéléologie ou les pratiques sportives associées et encadrées…”

“Un réel engouement autour de ce projet”

Grotte du Siech, réserve naturelle souterraine de l’Ariège mars 2015.

“Ce résultat est le fruit d’un très large travail de concertation avec les différents acteurs du projet : élus, acteurs et usagers des sites pressentis au classement, spéléologues, naturalistes spécialistes du milieu souterrain, archéologues, biospéléologues, Fédération Française de Spéléologie, Centre national de la recherche scientifique, ONF… Le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) avait également prononcé un avis favorable à l’unanimité le 15 mars 2022″, comme Dis-Leur vous l’avait expliqué ICI.

“Jamais autant d’acteurs issus d’horizons si larges ne s’étaient rejoints témoignant d’un projet équilibré répondant aux attentes de tous.” Et d’ajouter : “Avec 541 contributions, l’enquête publique – qui portait sur 29 sites répartis sur 32 communes (1) du département – a mis en évidence un réel engouement autour de ce projet. L’État se félicite de la forte participation à cette enquête publique et prend acte d’un certain nombre d’évolutions qu’elle fait émerger.”

Olivier SCHLAMA

(1) La liste des communes concernées : Argein, Aulus-les-Bains, Auzat, Balaguères, La Bastide-de-Sérou, Baulou, Bélesta, Bénaix, Biert, Bordes-Uchentein, Cazavet, Encourtiech, Esplas-de-Sérou, Fougax-et-Barrineuf, L’Herm, Lacourt, Loubens, Massat, Le Mas-d’Azil, Mérigon, Montseron, Moulis, Niaux, Pradières, Sabarat, Saint-Martin-de-Caralp, Salsein, Saurat, Sentein, Tourtouse, Val-de-Sos, Vernajoul.