Effets du changement climatique, maladies, vieillissement des chefs d’exploitation, érosion… Le Ceser a rendu un avis précis qui fera date. En allant au-delà de la description de l’écosystème d’élevage des huîtres, il évoque ses “aménités” naturelles, le patrimoine de nos territoires. Loïc Linarès, président de l’Agglopôle de Sète, Maria Ruyssen, cheffe de la station Ifremer de Sète et rapporteure de cet avis, et Patrice Lafont, président du comité régional de la conchyliculture, expliquent comment cette activité ancestrale peut devenir pivot d’un projet politique.
Les lagunes et zones humides littorales d’Occitanie : c’est le sujet brûlant sur lequel les membres du Ceser, Conseil économique, social et environnemental régional (1) ont rendu un avis adopté à l’unanimité. Il redit l’écosystème de la conchyliculture comme étant pierre angulaire des autres activités qui irriguent des territoires. A l’instar du tourisme, notamment. Et même comme “un pilier” de ces territoires. C’est un écosystème “allié” de la lutte contre le réchauffement climatique : éponges contre les inondations ; bouclier face aux submersions et pièges à carbone…
C’est aussi, avec 45 M€ de chiffre d’affaires, 1 100 emplois directs, une activité représentant 10 % de la production conchylicole française. Le tourisme littoral dont la conchyliculture est l’une des attractions ? 4,6 milliards d’euros par an – pour l’ensemble des 24 écosystèmes lagunaires de Méditerranée – des filières nautisme et plaisance qui réunissent 2 000 emplois pour 370 M€ de chiffre d’affaires. Mais c’est surtout des “savoir-faire ancestraux et une culture vivante à transmettre”, pointe l’avis du Ceser.
L’idée c’est que la conchyliculture soit au coeur du futur projet de territoire”
Loïc Linarès

Président de l’Agglopôle de Sète, Loïc Linarès est en “totalement convaincu” : “La conchyliculture est au coeur d’enjeux forts : une identité forte, notamment de ses paysages avec ses tables, ses mas, etc., et qui a permis d’éviter une urbanisation importante en amont. Et puis, les professionnels sont des sentinelles de l’environnement, aux premières loges du système d’alerte.” Loïc Linarès porte surtout une réflexion politique : “L’idée c’est que la conchyliculture soit au coeur d’un projet de territoire. Ce n’est pas juste une activité. C’est l’un des piliers de nos territoires” qui connaîtra une “reconstitution spatiale” sous la pression “des évolutions climatiques”.
Il évoque la “recomposition des tables conchylicoles”, lesquelles, demain, pourront être innovantes pour s’adapter à un nouveau monde qui ne veut pas disparaître du monde : “Flottantes, pourquoi pas ; surmontées de panneaux solaires ; déplaçables, etc. Car, une partie des mas, sous l’évolution du trait de côte, dit-il, seront, à Loupian, par exemple, les pieds dans l’eau. Dans 50 ans, l’eau sera bien montée“. C’est aussi, entre mille, “la question de l’apport de l’eau douce dans l’étang. L’étang de Thau, c’est un milieu vivant, rappelle-t-il. C’est de la production de coquillages mais aussi toute une biodiversité. La conchyliculture n’est donc pas simplement une activité…”
Ce n’est pas qu’une activité économique ; la conchyliculture est aussi vecteur de lien culturel, d’identité permanente, grâce à ses lieux que l’on sait attachants”
Maria Ruyssen
Ce constat est également totalement partagé par Maria Ruyssen, rapporteure de cet avis du Ceser sur les lagunes et directrice de la station Ifremer de Sète. “Ce que l’on a voulu mettre en exergue, définit-elle, c’est la valeur humaine de la conchyliculture ; ce que l’on a appelé ses aménités naturelles, ces apports positifs pour l’humain grâce à ces écosystèmes. Ce sont les bienfaits, souvent sous-estimés et sous-qualifiés qu’apporte a “conch” : l’attachement aux lieux, leur valeur patrimoniale et paysagère, etc. Ce n’est pas qu’une activité économique ; elle est aussi vecteur de lien culturel, d’identité permanente, grâce à ses lieux que l’on sait attachants ; la valeur de ses paysages ; c’est un vecteur de lien.” La conchyliculture est aussi une culture.

Cet avis du Ceser a été rendu à l’unanimité, “preuve qu’au sein de l’assemblée régionale, les gens se sont reconnus dedans ; ils se le sont appropriés”, souligne Maria Ruyssen. Il reste maintenant à ce que cette idée fasse son chemin. Et quelle soit “portée politiquement”, précise Maria Ruyssen. “Avec, j’espère, poursuit-elle, l’appui du président du Ceser, Jean-Luis Chauzy, qui pourrait aller voir, d’ici la fin de l’année, les principales directions du conseil régional pour porter cette voix d’un changement de paradigme de certaines politiques publiques.”
Il ne s’agit pas d’élaborer un projet pour la conchyliculture mais pour l’étang de Thau”
Pour Patrice Lafont, président du Comité régional de la conchyliculture de Méditerranée (CRCM), “il ne s’agit pas d’élaborer un projet pour la conchyliculture mais pour l’étang de Thau. Au lieu que chacun soit dans son “silo” avec son contrat de filière, pour la pêche, les huîtres, le tourisme, il faut un projet global qui implique tout le monde autour des mêmes objectifs, au-delà des enjeux de chaque filière”.

Il regrette plus globalement le “peu d’implication” du personnel politique. A part quelques exceptions, à l’instar de Loïc Linares. “Depuis huit ans, je fais des réunions presqu’exclusivement avec des techniciens et rarement des élus de collectivités y participent, dit-il. On aimerait qu’ils s’impliquent davantage. On ne défend pas seulement la conchyliculture mais un écosystème qui est aussi un lieu de vie. Le bassin de Thau offre une qualité de vie différente et la conchyliculture participe à son attractivité. Pour les autres usagers, le tourisme, etc. ”
Nécessité de créer une écloserie dans le bassin de Thau
L’avis du Ceser a, bien sûr, décortiqué les solutions à mettre en oeuvre pour pérenniser cette activité qui est aussi patrimoniale. Avec, d’abord, ce rappel en forme de pied de nez originel au soi-disant progrès… “Pour répondre aux exigences des marchés (résistance, croissance rapide, qualité gustative) et compenser la variabilité des conditions environnementales, les professionnels ont adopté l’huître triploïde, la triploïdie permettant de produire des huîtres stériles, à croissance rapide, disponibles toute l’année sans phase de reproduction.” C’était il y a des décennies.
Ses avantages : une production plus régulière mais des animaux “toutefois nettement moins résistantes aux épisodes de mortalité”. De plus, La majorité de l’apport en naissains d’huîtres sur le bassin de Thau provient des écloseries d’Atlantique. Cette dépendance accroît les risques zoosanitaires, notamment dans l’importation de cheptels non identifiés ou des circulations inter-bassins de production non maîtrisées. Pour sortir de cette dépendance, certains parqueurs font du captage naturel. D’où l’impérieuse nécessité de créer une écloserie dans le bassin de Thau.
Chute de moitié du nombre de parqueurs

Jadis, “ces différentes adaptations ont permis à la production conchylicole de se maintenir à un certain niveau de production malgré une diminution de moitié entre l’apogée des années 1995 et maintenant (de 13 000 à 6 500 tonnes). Le nombre de producteurs a également chuté de moitié, passant de plus de 800 à environ 530 sur Thau par exemple : les contraintes environnementales et climatiques persistantes se doublent de vulnérabilités sociales et financières”. Voilà une première situation posée.
À laquelle s’ajoutent des “conséquences prévisibles du changement climatique sur les élevages” à cause de la hausse de la température de certaines lagunes (ce qui engendre la disparition progressive de la filière mytilicole, les moules ne survivant pas à plus de 27,5 degrés), dont l’étang de Thau ; changement de “Ph” ; d’oxygène et désormais de salinité. Or, “l’eau de la lagune de Thau a déjà augmenté de 1,6 degré ces deux dernières décennies avec des épisodes où la température de l’eau peut excéder 29 degrés sur plusieurs jours consécutifs”, indiquent ces experts.
Virus, malaïgues, déficits hydriques…
Et ce, malgré une amélioration sensible de l’état des lagunes d’Occitanie et notamment Thau où le risque d’anoxie a été réduit par six comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Pire, “l’augmentation régulière des températures couplée aux déficits hydriques des bassins pourrait engendrer à nouveau des conditions favorables aux malaïgues. Ainsi, une hausse de 1°C de la température estivale pourrait à nouveau multiplier le risque de malaïgue par trois”… Ce n’est pas tout : “La hausse des températures favorise également l’apparition de phytoplancton non filtré par les huîtres (Picochlorum), affectant ainsi leur croissance. Les pathogènes trouvent enfin un environnement plus favorable : le virus OsHV-1, particulièrement virulent entre 16 et 24°C, augmente ainsi les risques de mortalité chez les juvéniles d’huîtres ; il en est de même pour Vibrio aestuarianus, sur les huîtres adultes.”
Une étude expérimentale est menée sous la coordination de l’Ifremer pour évaluer les conséquences d’apports en eau douce supplémentaires dans la lagune de Thau”
De plus, la hausse de la salinité dans les lagunes méditerranéennes peut perturber la physiologie des coquillages et affecter la chaîne alimentaire, notamment en réduisant le phytoplancton, source principale de nourriture pour ces espèces comme les clovisses et les palourdes. “Les effets de seuil sont en cours de caractérisation au travers du projet Mitic (Mitigation des impacts du changement climatique sur les coquillages). La salinité et la baisse des apports en eau douce semblent également être corrélées à la prolifération de prédateurs exogènes comme le crabe bleu, qui représentent un réel danger pour les cultures.”

À l’échelle des bassins versants, indiquent encore les membres du Ceser, “cette problématique de la salinisation conduira à des remises en question du partage de l’eau douce tel qu’il est actuellement établi, pour préserver ces usages traditionnels. Une étude expérimentale est ainsi menée sous la coordination de l’Ifremer pour évaluer les conséquences d’apports en eau douce supplémentaires dans la lagune de Thau, et sous la coordination du Smbt (Syndicat mixte du bassin de Thau) pour quantifier les apports prévisibles et acceptables sur le bassin”.
Érosion et submersion marine
Il y a aussi un phénomène d’acidification (…) capable de favoriser “certaines microalgues toxiques pouvant affecter la reproduction des huîtres. L’acidification réduit surtout la disponibilité du carbonate de calcium nécessaire à la formation des coquilles”. Des études de l’Ifremer et du CNRS indiquent qu’un pH inférieur à 7,6 peut compromettre la survie des larves d’huîtres, et qu’à 7,3, un “point de bascule physiologique” est atteint.
N’oublions pas dans cette série d’avanies, peut-être les plus importants sinon les plus difficiles à maîtriser : les phénomènes d’érosion et de submersion marine. Ce qui “pose une question majeure sur le devenir des zones conchylicoles. À l’image du travail de concertation et de planification mené sur le bassin de Thau par le SMBT, les territoires concernés doivent identifier les enjeux de réadaptation des zones conchylicoles à terre et accompagner les filières professionnelles”. C’est le défi des prochaines années.
“Améliorer l’environnement économique, administratif et sociétal”
Depuis plusieurs années, la filière connaît une baisse de la production et 40 % des surfaces conchylicoles ne sont pas exploitées. “Cette tendance s’explique par les contraintes environnementales précédemment rappelées, mais également par un environnement économique, administratif et sociétal qui freine l’activité. Une situation particulière qui nécessite un accompagnement spécifique. Le renouvellement générationnel demeure un enjeu central pour la pérennité de la profession.”

La moyenne d’âge des chefs d’exploitation sur Leucate et Gruissan est relativement jeune et la reprise des mas conchylicoles assurée au fil des départs. À Thau, en revanche, plus de la moitié des chefs d’exploitation ont plus de 50 ans, la moitié des chefs d’entreprises pensent cesser leur activité d’ici 2025 sans repreneur identifié. Beaucoup d’exploitations restent familiales, sans salariés permanents, ce qui rend leur pérennité fragile et limite leur capacité de réponse à la charge administrative et de participation aux projets collectifs de la filière.
Le manque de visibilité du métier et “les difficultés de communication sur les externalités positives de la profession freinent les vocations. Par ailleurs, les besoins en formation et en gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC) sont croissants, afin d’accompagner les transitions nécessaires à la professionnalisation et à la diversification”.
À peine 15 à 20 candidats à l’installation par an
Ce renouvellement des générations est également freiné par le coût d’acquisition d’un mas et des tables de production. Qui sont évalués entre 150 000 € et 200 000 € pour 20 à 25 tonnes d’huîtres produites chaque année : la rentabilité de l’investissement est évaluée entre cinq et huit ans sans aléas environnementaux ou sanitaires majeurs. Les candidats à l’installation sont très peu nombreux (de l’ordre de 15 à 20 par an) et témoignent de leurs difficultés d’installation face tant aux coûts qu’aux difficultés administratives et d’accès au foncier.
Réflexion sur le report de l’élevage en mer
“Les difficultés environnementales maximisent ainsi les difficultés sociales.” Les pratiques des professionnels doivent être particulièrement vigilantes et accompagnées pour ne pas entretenir la vulnérabilité du socio-écosystème conchylicole en dégradant les aménités environnementales dont il bénéficie.
“L’évolution des pratiques conduira nécessairement à une réflexion sur le report en mer des filières dans un milieu où l’adéquation entre la productivité et les besoins nutritifs des élevages d’huîtres n’est pas connue. C’est pourquoi les professionnels souhaiteraient voir aboutir le projet de tables solaires flottantes, pouvant effectuer une forme de “transhumance” entre la lagune et la mer (projet SolarinThau) pour bénéficier des apports nutritifs lagunaires et quitter la lagune lors des périodes sensibles. Les contraintes réglementaires (nature de l’objet navigant et conflit entre
production, réutilisation et redistribution sur le territoire de l’énergie produite par les tables), sociétales (acceptation paysagère), et techniques (faisabilité opérationnelle), doivent être intégralement levées pour envisager le déploiement d’un prototype pilote en 2025.” Cela ne sera pas avant 2026.
Olivier SCHLAMA
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(1) Le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) est l’Assemblée consultative, instituée par la loi du 05 juillet 1972, placée au côté du conseil régional, avec lequel il constitue le Conseil régional. Composé de membres issus d’organisations socioprofessionnelles diverses représentant la société civile organisée et reconnus pour leurs compétences, leur sens de l’intérêt général et leur expérience, le CESER est un lieu d’écoute, d’échange, un laboratoire d’idées pour répondre aux besoins des citoyens. Le dialogue instauré doit permettre d’aboutir à une vision partagée de l’intérêt régional, au- delà de tout clivage. Les avis du Ceser, rendus dans le cadre d’une saisine obligatoire de la présidente du conseil régional ou d’une autosaisine, constituent de véritables outils d’aide à la décision publique.
“Des coquillages à forte valeur ajoutée”
“La conchyliculture lagunaire ne connaît pas de réelle concurrence directe. Les techniques employées (tables, cordes, élevage en suspension) et le milieu dans lequel elles s’inscrivent sont uniques.” Ces spécificités permettent de produire des coquillages à forte valeur ajoutée, bénéficiant d’une réputation reconnue tant sur les marchés nationaux qu’internationaux.

Et de poursuivre : “Les marques ombrelles Huîtres de Méditerranée élevées sur cordes et Moules de Méditerranée élevées sur cordes portées par les professionnels de la filière et appuyées par les collectivités régionales, jouent un rôle central dans la valorisation des produits conchylicoles du littoral méditerranéen. Ces labels collectifs offrent une meilleure lisibilité pour le consommateur, en garantissant des critères de qualité stricts, une traçabilité renforcée, et un lien direct avec le terroir
lagunaire. Ils permettent également de mutualiser les efforts de communication et de promotion.”
“professionnels et services de l’État ont su conjointement garantir et pérenniser l’activité de dégustation”
En structurant l’offre autour d’une identité partagée des sept bassins d’élevage de Méditerranée, ces marques soutiennent la montée en gamme des produits et encouragent la différenciation par rapport aux productions issues d’autres bassins.
Enfin, dit encore le Ceser, “professionnels et services de l’État ont su conjointement garantir et pérenniser l’activité de dégustation. Encadrée par des réglementations sanitaires et commerciales strictes, cette activité permet de lisser les revenus sur une période plus large que la seule saison estivale et participe à la stabilité voire au dynamisme économique des entreprises”.
À Thau, une quarantaine d’entreprises pratiquent cette dégustation. Une dizaine d’entreprises se sont spécialisées dans une offre de visite et de découverte du métier : les mas de Leucate et de Vendres sont dans la même dynamique. Cette
diversification de l’activité économique par la dégustation et la valorisation du métier est soutenue par la mise en valeur et la transmission aux visiteurs des installations et des pratiques liées à l’environnement lagunaire.
O.SC.
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