Les Seintillantes militent pour que “ce point final à la restauration de soi”, qui demande une technique éprouvée, soit remboursé par la Sécurité sociale. Explications avec Audrey Rojo, fondatrice de ce collectif, créé dans le Tarn dont les membres sont partout en France.
Un tatouage peut à la fois cacher et montrer. Un collectif d’une quarantaine de tatoueuses, les Seintillantes, réparties partout en France, se sont spécialisées dans “les prestations paramédicales”, explique sa fondatrice, Audrey Rojo, de Lavaur, dans le Tarn. Cicatrice couleur peau ; aréole en “3 D”, etc. Sur le site de ces spécialistes, vous trouverez même un annuaire où trouver une tatoueuse capable de réaliser des trompe-l’oeil hyper-réalistes.
“Cela améliore le regard que l’on porte sur soi”

Pour Emmanuelle, 55 ans, qui a subi une mastectomie (ablation) il y a cinq ans, c’est lors d’une visite de contrôle que son chirurgien lui a soumis l’idée d’un tatouage de l’aérole en trompe-l’oeil. “J’ai mis beaucoup de temps à en accepter l’idée, dit-elle d’une voix douce. À la clinique où j’ai été opérée on m’avait montré des trucs assez moches… Mon chirurgien m’a donné trois noms de tatoueuses spécialisées. J’ai bien regardé les vidéos et les photos sur le site du collectif les Seintillantes d’Audrey Rojo et je me suis décidée. Le résultat est bluffant. Je ne pensais pas que cela soit bien plus qu’un détail qui termine la reconstruction du sein. Cela améliore le regard que l’on porte sur soi. C’est aussi pour le partenaire mais c’est avant tout pour soi. C’est une façon de se réapproprier son corps…”
Pour que ce soit bien fait il faut des compétences paramédicales et artistiques et que ce soit fait dans des conditions de temps et de lieu bien spécifiques”
La raison qui préside à cette réussite : “Ce sont des tatouages hyper-réalistes. Notre but, c’est de montrer que l’on peut proposer des tatouages de qualité dans un parcours de soins dans le cas d’un cancer du sein.” Ces tatoueurs militent pour que ce soit un jour remboursé par la Sécurité sociale comme le sont d’autres soins de réparation. “C’est un objectif, mais pour l’instant, ça n’est pas remboursé”, précise Audrey Rojo. Cette dernière dit encore : “Une loi a été promulguée en janvier sur les reste à charge sur les prises en charge du cancer du sein et le tatouage d’aréole n’est pas pris en charge, sauf si cela se fait par des soignants en milieu hospitalier. Quand c’est le cas, ils sont faits en bloc opératoire et ce n’est pas très heureux, pas réaliste du tout.” Du coup, cela peut avoir l’effet inverse d’une acceptation de l’image de soi. “Pour que ce soit bien fait il faut des compétences paramédicales et artistiques et que ce soit fait dans des conditions de temps et de lieu bien spécifiques.”
“Une aréole réaliste restaure la féminité”

L’idée de réaliser ces tatouages hyper-réalistes est née d’un double constat : il y a une demande. Et un besoin : la restauration de soi. Audrey Rojo confirme : “Cela met un point final, après la restauration mammaire, à la reconstruction chirurgicale et quand ce n’est pas bien fait, on ne voit que soi dans son miroir. Ce n’est pas rien. Une aréole réaliste restaure la féminité, l’intégrité jusqu’à l’identité de ces femmes.” Ces tatouages aident vraiment “à passer à autre chose”.
Grâce à un subtil jeu d’ombres, de lumières et de couleurs, on peut donner l’illusion d’une aréole. “C’est un travail, d’abord, avant de le traduire en tatouages, de dessinateur et de coloriste, confie Audrey Rojo, elle-même passée par les Beaux-Arts. Il y a un gros travail de colorimétrie. Cela reprend ni plus ni moins les techniques d’un dessin réaliste mais avec un autre outil. Et il faut maîtriser ces compétences techniques et artistiques.”
“Cette forme d’art répare ce que la maladie a enlevé”
Ce collectif est constitué d’une quarantaine de membres venus d’horizons divers ; beaucoup sont dans le milieu de la santé ou du paramédical. Infirmières, aide-soignantes, une kiné du sein, sage-femme, des personnes en reconversion, dans l’esthétique, ou l’artistique. “Ce genre de tatouage, je fais cela depuis 15 ans, explique Audrey Rojo. J’en ai fait beaucoup et je forme des tatoueuses à ces techniques.” Pour elle, “cette forme d’art répare ce que la maladie a enlevé”.
Quant aux encres utilisées, le collectif suit les nouvelles normes en la matière. “Depuis 2022, une nouvelle réglementation européenne est entrée en vigueur qui a beaucoup restreint la composition des encres. C’est strict. D’un point de vue sanitaire, elles sont irréprochables même s’il y aurait des choses à dire sur leur qualité de rendu.”
“J’ai été touchée par mes clientes. Ce que je fais, c’est juste de l’humanité”

En dehors des femmes, ce collectif peut intervenir pour un trompe-l’oeil chez l’homme. “Même s’il n’y en a pas beaucoup, certains ont eu un cancer du sein. On peut aussi réaliser des trompe-l’oeil d’ongles sur des personnes qui ont des moignons, après un accident ; ou une phalange coupée et qui n’ont pas forcément envie de porter une prothèse. On peut “refaire” un nombril en tatouage.” Audrey Rojo préfère le terme paramédical au terme réparateur – comme un tatouage artistique sur cicatrice ce que certains des membres des Seintillantes réalisent. “Ils n’ont pas de vocation décorative.”
Audrey Rojo se dit “autodidacte. J’ai été touchée par mes clientes. Ce que je fais, c’est juste de l’humanité qui a commencé en 2013. Ça m’a beaucoup touchée et finalement cette première cliente a eu plus confiance en moi que moi-même pour appliquer cette technique. Je me suis rapidement passionnée pour ce métier ; j’ai donc cherché par moi-même comment m’améliorer.” Le coût de l’un de ces tatouages ? “Pour une aréole mammaire, il faut compter autour de 600 €.” C’est à vie : “Oui, mais on peut voir au fil des années un éclaircissement normal du tatouage et l’on peut comparer avec l’aréole de l’autre sein”, dit-elle avec franchise, ajoutant que “des retouches sont possibles tous les cinq à sept ans”.
Les Seintillantes participeront à un salon, les 4 et 5 octobre, Le Pink Tober, le premier salon de la reconstruction physique et psychologique qui a lieu au Diagora à Labège. Une conférence est prévue le 4 à 15h30 sur ce thème de l’aréole en trompe-l’oeil. “Je prends ce métier comme la mission de ma vie. Le cancer du sein touche énormément de femmes. C’est la féminité touchée en plein coeur.” Une sororité dont “je suis fière”.
Olivier SCHLAMA