L’été en art (3) : Les Ciné-Rencontres de Prades, “un festival de cinéphiles en vacances”

Jean-Pierre Darroussin 2014. Ph. DR

Archiconnu dans le milieu cinématographique, cet événement annuel, créé il y a 66 ans, le plus ancien après Cannes, est un bastion de la cinéphilie qui cultive sa singularité auprès d’un public sensible.

René Clair, Jean Marais, Jane Birking, Michel Piccoli, Ariane Ascaride, Michel Deville, Claire Denis, Jean-François Stévenin, Sandrine Bonnaire, Stephen Frears… À Prades, on sait tendre la toile ! En accueillant, lors du festival Ciné-Rencontres, du 19 au 26 juillet, la fine fleur du cinéma. Et ce, depuis 66 éditions !

Délégué artistique des Ciné-Rencontres, Jean-Pierre Abizanda dit : “Prades a tissé un lien culturel notamment depuis la venue de Pablo Casals, qui s’y été réfugié pendant la guerre civile espagnole. Les Ciné-Rencontres de Prades sont nées en 1950. Le maire de l’époque, Louis Monestier, était très cinéphile.” Avec Pablo Casals, l’idée de créer un festival de cinéma s’impose d’elle-même. En 1959. Le premier film projeté ? Les Quatre Coups, de François Truffaut, qui venait d’obtenir le Grand Prix du Jury à Cannes, la Palme d’Or n’existant pas encore !

Cédric Kahn, Jean-Pierre Daroussin, Jean-Pierre Dardenne…

Michel Piccoli et Ariane Ascaride en 2008. DR

Parmi les grands noms du 7e art qui y sont passés, on trouve aussi Sólveig Anspach qui a justement donné son nom au prix du long métrage de Prades ; une récompense donnée par le public. Citons Jean-François Mingozzi, Cédric Kahn, Jean-Pierre Daroussin, Jean-Pierre Dardenne (qui vient d’obtenir le prix du scénario à Cannes), Louis Malle, Jean-Pierre Mocky

C’est le plus ancien festival de cinéma en activité, après Cannes. Avec un budget qui n’a rien à voir : seulement 100 000 € dans les caisses chaque année. On peut y voir plus de 30 films, des courts métrages… Lire le programme en fin d’article. Y-a-t-il un cousinage avec le plus grand festival de ciné au monde qui brille, lui, sur la Croisette ? “Un ou deux films communs seront aussi projetés à Prades, confie Jean-Pierre Abizanda. C’est un peu un miracle que cette ville des Pyrénées-Orientales, au bout de la France, ait un tel festival aussi riche, de cette importance”, s’étonne-t-il encore.

On y ressent un esprit de culture populaire, issu des mouvements de ciné-clubs, un vrai respect du cinéma, des auteurs et autrices”

Stephen Frears, en 2024. Ph. DR.

Pourquoi ce festival, qui se déroule principalement dans un cinéma municipal, le Lido (totalement rénové et en numérique), perdure-t-il ? Quelle est le secret de son âme ? “Tous les organisateurs qui se sont succédé avaient à coeur de défendre un cinéma de qualité et populaire, répond Jean-Pierre Abizanda. L’an dernier, pour perpétuer cet esprit et cette tradition, nous avons accueilli Yolande Moreau. Et la définition qu’en donne Jean-Pierre Dardenne, c’est que acteurs et cinéphiles y trouvent dans notre festival, c’est que l’on y ressent un esprit de culture populaire, issu des mouvements de ciné-clubs, un vrai respect du cinéma, des auteurs et autrices. À Prades, on est aussi imprégné de la mémoire et de cette de la musique de Pablo Casals. Et maintenant de la mémoire du cinéma depuis 66 ans.”

Solveig Anspach et Sandrine Bonnaire, en 2003. Ph. DR

Pour être retenu dans la programmation des Ciné-Rencontres, quel ADN faut-il avoir ? “Cette année, six films européens ont été sélectionnés dont l’un recevra le prix du public. Nous en avions vu une quarantaine, souligne Jean-Pierre Abizanda. Il faut que ce genre de film tienne la route dans sa mise en scène, dans l’interprétation des acteurs. Il faut que ce soit une oeuvre cohérente. Pas question de style particulier. Pour cette 66e édition, des films sur l’enfance, sur l’adolescence, etc., se succèdent. Il évoque des “oeuvres de qualité”.

“L’an dernier, des festivaliers ont mangé à la table de Yolande Moreau et de Jean-Pierre Dardenne”

Jane Birkin, en 2008. DR.

Il faut aussi que l’on reconnaisse dans l’oeuvre ou que l’on identifie la patte d’un réalisateur ; qu’elle raconte une histoire, avec passion et finesse : le cinéma, c’est aussi ce que l’on ne dit pas ; que l’on ne montre pas forcément.

Un habile hors-champ. Pas comme les 45 minutes gore d’une série typique de Netflix. Pour autant, à Prades, on n’accueille pas des films inaccessibles qui provoqueraient jus et mal de crâne. “Un film qui est accepté chez nous propose également un parcours de cinéaste. Il s’agit aussi de montrer aux cinéphiles, Pradéens, habitants du Conflent ou aux touristes comment un cinéaste a construit son parcours.” Et de formuler : “C’est un festival de cinéphiles en vacances. C’est aussi, note-t-il, un festival à dimension humaine, convivial : des festivaliers ont mangé à la table de Yolande Moreau ou de Jean-Pierre Dardenne.” En toute simplicité.

“Un festival avec des valeurs”

Yolande Moreau, en 2023. DR

Quelque 5 000 personnes s’y pressent chaque mois de juillet à raison de 184 places par séance. “Un festival avec des valeurs” ; “inclusif” ; “qui sait s’appuyer sur les jeunes générations” ; “qui a su attirer de grands noms du cinéma” : vice-présidente du département des P.-O., Aude Vivès n’a pas assez de mots pour évoquer ce festival. Et l’association des Ciné-Rencontres ne s’arrête pas là : elle anime le Lido tout au long de l’année avec des films Arts et Essais, entre autres, et organise des événements comme les journées du Printemps catalan, récemment, avec six films présentés en deux jours, un événement culturel reconduit en 2026. Comme le seront les Ciné-Rencontres pour, espérons-le au moins 66 ans de plus !

Olivier SCHLAMA