Témoignage : la prostitution pour payer ses études

MaxPPP - ©PHOTOBIM/Dominique QUET

On dispose de peu de données sur la prostitution étudiante. En février dernier, l’interpellation de deux étudiants en Droit de 19 ans, une fille et un garçon, à La-Valette-du-Var a rappelé que le phénomène existe bel et bien.

Le comité de prévention de la prostitution étudiante de l’université Paul Valéry à Montpellier est l’un des rares organismes à avoir mené une enquête sur le sujet, en 2012, en envoyant un questionnaire aux 18000 étudiants de la capitale héraultaise.

4 % des étudiants qui ont répondu, soit 22 garçons et 37 filles, déclaraient avoir déjà accepté une rétribution en échange d’un acte sexuel. Alice (le prénom a été changé) est l’une d’entre eux. Elle a 23 ans. En master de communication, elle vit désormais sa jeune vie d’adulte comme ses camarades, entre soirées, révisions et potins. Mais la jeune femme reste blessée par le lourd secret de son expérience…

Elle a 17 ans quand elle quitte le foyer familial. Hantée par une vie de famille compliquée avec un père absent, omnibulé par son travail, et une mère destructrice. Alice prend alors la décision de faire ses valises. Encore lycéenne, elle poursuit ses cours tant bien que mal pour obtenir son bac. Elle squatte chez des amis, elle dort sur le canapé, elle s’incruste dans le bonheur familial de ses copines.

« J’ai vécu de familles en familles pour poursuivre les cours. Je n’avais pas ma place avec eux pourtant ils m’ont insufflé un peu d’espoir en m’accueillant à bras ouverts » confie tristement la jeune femme. Une fois le baccalauréat en poche, Alice est libre de partir où elle veut. Elle choisit Bordeaux pour entamer une formation de langue à l’université.

Précarité, les étapes d’une descente aux enfers

L’étudiante emménage dans un petit appartement du centre-ville. Un petit nid douillet qu’elle affectionne après de nombreux mois d’errance : « L’appartement n’était pas grand, pas vraiment joli mais il y avait un lit, une cuisine, une salle de bain. Tout ça était à moi et c’était le paradis.«  Mais l’euphorie des premiers jours laisse rapidement place aux difficultés du quotidien. Il faut manger, payer le loyer, acheter des tickets de bus et suivre les cours avec une liste de lectures imposées. Alice avait prévu le coup avec un prêt étudiant, mais ce n’est pas suffisant.

« Mon compte s’est vite retrouvé dans le rouge. Je sautais des repas pour économiser, je n’avais ni télé ni internet pour éviter les frais supplémentaires. Je fraudais dans les transports. Personne ne pouvait m’aider et j’ai affronté cette situation toute seule et perdue » avoue-t-elle aujourd’hui. L’étudiante pour survire ne suit plus les cours, impossible pour elle de payer le bus qui l’emmène à la fac. Les associations lui tournent le dos, la jugeant trop diplômée.

Isolement et internet, deux phases d’une dérive… Photo D.R.

Elle entame alors une recherche d’emploi et quelques annonces attirent rapidement son attention. Des postes d’hôtesses et serveuses dans des bars de la ville. Alice se rend sur place, CV en main pour faire bonne impression. Mais elle découvre vite la part d’ombre des ces boulots. « La gérante m’accueille chaleureusement. Le lieu est petit mais sophistiqué et donne bonne impression. Sauf qu’en fait il faut draguer et faire boire les clients pour être payée et au début j’ai eu peur « , explique Alice.

La jeune femme se donne quelques jours de réflexion, mais elle ne peut se résoudre à accepter l’offre. Pourtant, Alice rappelle finalement la propriétaire, tant sa situation s’est dégradée, avec plus de mille euros de découvert et plus aucun moyen de subsistance. Mais le boulot est déjà pourvu, « une autre malheureuse fille a du craquer avant moi« . Et c’est à ce moment là qu’Alice publie une annonce sur Internet.

Internet, porte ouverte sur la prostitution

« Je suis allée sur tous les sites que je connais et dont j’avais entendu parler. Des sites pornographiques comme Sugar Daddy où on m’a payé pour des rendez-vous, des photos …« , déballe la jeune femme mal à l’aise. Elle poursuit pourtant avec une histoire qui la traumatise encore aujourd’hui : « J’ai eu une relation sexuelle une fois avec un homme. Il m’a payé pour ça et pour prendre des photos pendant l’acte. Une fois terminé, je suis partie en pleurs et je ne suis jamais retournée sur ces sites …«  Alice ne va jamais plus contacter les hommes sur ces sites.

Elle est retournée en cours à Montpellier et s’est rapprochée des membres éloignés de sa famille qui l’ont aidée. Aujourd’hui, la jeune femme parle très peu de son passé. Elle sait que beaucoup de femmes ont recours aux mêmes moyens pour survivre. Elle aimerait d’ailleurs « créer une association pour accompagner ces femmes ou ces hommes que la société délaisse. J’aurai aimé pouvoir faire autrement mais je n’ai pas eu le choix et je sais que l’on me jugera quand même pour ça. Je veux utiliser ce traumatisme pour me battre, pour mon avenir et celui des autres, victimes des difficultés de la vie.«

Fanny RIGAL

Pour aller plus loin, on peut s’intéresser au travail de Eva Clouet, doctorante en sociologie : http://www.prostitutionetsociete.fr/eclairage/interviews/eva-clouet-doctorante-en