Rentrée scolaire : Des milliers d’enfants handicapés sans solution de scolarisation

DR

Plus de 11 000 enfants sont encore sans solution de scolarisation en cette prochaine rentrée scolaire dont 700 rien que dans l’Hérault. Le point avec Elisabeth Lammers, vice-présidente de l’Unapei, principale association de parents d’enfants handicapés, et Bernard Dessimoulie, président de l’association dans l’Hérault.

Miroir comme reflet d’une société plus inclusive, des films sur grand écran se sont succédé récemment, Hors Normes, Mon Inséparable, Intouchables ou Un Petit truc en Plus, ont rendu le handicap plus visible. Ils ont apporté de l’eau au moulin d’une certaine humanité retrouvée. Et aux campagnes de “com” qui vont vite en besogne. “À la rentrée, le ministre de l’Education nationale va annoncer en grandes pompes des chiffres mirobolants sur l’école inclusive mais la réalité sera visible à l’issue de notre appel à témoignages sur notre page sur marentrée.org.  Nous sommes au fait des galères individuelles, des dysfonctionnements nombreux. Comment faire une école inclusive sans y mettre les moyens ? Impossible.”

13 % d’enfants handicapés en France n’ont aucune heure de scolarisation par semaine

Elisabeth Lammers, vice-présidente de l’Unapei. DR

D’ores et déjà, Elisabeth Lammers, vice-présidente nationale de l’Unapei (Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis), principale association de parents d’enfants handicapés, anticipe le plan “com” à venir de l’Education nationale. Tout en validant en contrepoint ses propres estimations.

L’Unapei et ses quelque 300 établissements dans l’Hexagone ont mené une enquête pragmatique inédite à laquelle 38 de ses associations affiliées ont répondu qui représentent 3 603 enfants (3 ans à 16 ans) scolarisés au sein de leurs établissements et grâce aux dispositifs spécialisés dans l’enfance différente. Quelque 13 % d’enfants handicapés en France n’ont aucune heure de scolarisation par semaine ; 38 % ont entre zéro à 6 heures de scolarisation par semaine ; 30 % ont entre 6 heures à 12 heures de scolarisation par semaine et 19 % ont plus de 12 heures de scolarisation par semaine.

“Situation tout aussi alarmante qu’il y a quelques années”

La situation semble, toutefois, moins pire qu’il y a quelques années où, selon la même association nationale, 23 % des enfants handicapés n’avaient aucune place en classe. Elisabeth Lammers s’inscrit en faux : “Nos chiffres, ce sont des chiffres indicatifs qui varient en fonction des associations qui répondent ; des territoires ou des régions où elles se trouvent. On ne peut pas les comparer d’une année sur l’autre. C’est, d’ailleurs, pour cela que nous réclamons depuis longtemps la création d’un observatoire national. En fait, la situation est tout aussi alarmante qu’il y a quelques années.”

En cette rentrée, ce sont quelque 519 000 élèves en situation de handicap qui seront plus ou moins scolarisés. De quoi faire virer au rouge Elisabeth Lammers : “Excusez-moi, mais si c’est juste quelques heures de scolarisation par jour, ce n’est pas de l’école inclusive, comme on nous le dit… On ne sait pas vraiment combien exactement il y a d’élèves souffrant de handicap sont en attente, plaide-t-elle ; beaucoup n’ont pas d’identifiant national : souvent leurs parents pensent que leurs enfants n’iront jamais à l’école. Et ne les inscrivent pas. Ces enfants-là ne sont donc pas comptabilisés.” Il y a environ 143 000 AESH (Accompagnant d’élèves en situation de handicap) en 2024. “Ces personnels sont toujours présentés comme la solution miracle pour intégrer un enfant handicapé dans une école ordinaire. Or, il faut le rappeler que ce sont des emplois précaires où les gens ne sont pas formés. Souvent, ces AESH s’occupent de plusieurs enfants à la fois. Nous les plaignons. Elles sont d’office mises en difficulté avec des situations qu’elles n’ont jamais appris à gérer.”

“Ce plan des 50 000 solutions ne rattrapera aucun retard”

DR

“Ça s’améliore un tout petit peu”, convient Bernard Dessimoulie, président de l’Unapei 34. La situation s’est certes améliorée depuis 20 ans, depuis que la grande Loi Handicap du 11 février 2005 est entrée en vigueur. Celle qui créa entre autres les MDPH, Maisons départementales des personnes handicapées, qui réaffirme la primauté de l’égalité des chances et donc une meilleure scolarité des enfants handicapés. Elle promettait 3 milliards d’euros d’investissement pour trouver des solutions d’accueil dans les écoles “normales” de la République ou dans des classes spécialisées comme les Ulis, au nombre de plus de 300 dans le pays, ces classes spécialisées où le suivi s’exerce au plus près de l’enfant.

Et, reprend Bernard Dessimoulie, “l’Etat a lancé en place un plan dit des 50 000 solutions, géré par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie. Pourquoi cela a-t-il été mis en place ? Parce qu’en avril 2023, le Conseil social de l’Europe a condamné la France, suite à une action conduite par l’Unapei, notamment, pour insuffisance d’action en matière de politique du handicap. Dans la foulée, il y eut une conférence nationale du handicap avec Macron et a été décidé ce plan des 50 000 solutions pour rattraper ce retard. Son enveloppe financière ? 1,5 milliard d’euros. Pour l’Occitanie, c’est 153 M€.”

Bernard Dessimoulie, président Unapei 34. DR

C’est beaucoup d’argent en soi mais finalement assez peu pour rattraper le retard. “C’est un petit mieux”, consent à qualifier Bernard Dessimoulie. Mais, embraye-t-il, sur ces 153 M€, 100 M€ sont réservés aux établissements sociaux et médico-sociaux et pour que l’Education nationale mette en place ses propres solutions. Et ce plan concerne aussi bien les enfants que les adultes ainsi que tous les types de handicap. Rien que pour les enfants et ados handicapés de l’Hérault, pour créer le nombre de places en Sessad, ce sont les moins chères, cela nécessiterait 14 M€. Pour les places en IME, ce serait 28 M€. Et il y a treize départements en Occitanie ; la Haute-Garonne est dans le même état que nous avec 700 enfants aux portes de leurs établissements. Donc ce plan des 50 000 solutions ne rattrapera aucun retard d’autant que l’argent est à utiliser entre 2024 et 2030. Nos problèmes à résoudre sont bien d’aujourd’hui et d’autres enfants handicapés vont continuer de naître pendant ce temps…”

Nous demandons à ce que le médico-social et l’Education nationale travaillent main dans la main. Il faut des équipes pédagogiques communes”

Elisabeth Lammers, vice-présidente de l’Unapei

Le président de l’Unapei 34 ajoute : “En 2024, il avait fallu répondre à un appel à manifestation d’intérêt, lancé par l’ARS, pour la création de quelques places par ci par là. On en a eu quelques-unes. Nous arrivons bientôt au moins de septembre, eh bien il n’y a eu à ce jour, aucun appel de ce type pour créer de nouvelles places. Les économies que le gouvernement fait, c’est sur le dos des personnes handicapés. C’est pas beau.”

DR

Quelles solutions préconise-t-il ? “Il y a un sujet qui est avancé par certains : la désintitutionnalisation… Cela vient notamment d’un mouvement, les anti-validistes considérant que placer des handicapés dans des établissements, c’est les guettoïser d’une certaine façon. Ils considèrent qu’il faudrait que les enfants soient intégrés. C’est une idée belle comme le soleil… Je les invite à venir voir les personnes dont nous nous occupons. Une société inclusive, oui. Mais quand c’est possible. Ces gens-là servent d’idiots utiles. Nous avons par exemple, à Frontignan, une Unité d’enseignement élémentaire pour autistes dans une école primaire qui a été montée avec l’ARS, la mairie, et l’Education nationale. Les enfants autistes sont scolarisés dans des classes spécialisées mais ils sont dans l’école, ils partagent la même cour que les autres enfants, la cantine et quand ils peuvent ils passent aussi dans des classes ordinaires. “

Par la voix d’Elisabeth Lammers, l’Unapei, l’une des plus importantes associations de parents d’enfants handicapés, propose une autre voie : “On doit mettre en place un travail mutualisé autour de l’enfant handicapé, défend-elle. Nous demandons à ce que le médico-social et l’Education nationale travaillent main dans la main. Il faut des équipes pédagogiques communes : ce n’est pas au seul enseignant de s’occuper d’un enfant handicapé. Tous les professionnels de l’école doivent s’impliquer.” 

L’accessibilité à l’école ne se limite pas au bâti et doit intégrer les activités pédagogiques adaptés au sein d’une classe. Il faut du matériel et des personnes”

Qu’un enfant, aussi, puisse faire éventuellement, si besoin, des allers-retours entre un IME (Institut médico-éducatif) et une classe “ordinaire” ? Elisabeth Lammers propose de changer d’angle de lecture : “Parfois, on présente les choses à l’envers : on demande à un enfant handicapé d’être inclusif, lui, vis-à-vis du fonctionnement de l’école. Or, c’est à l’école d’être inclusive. Dans la classe, la cantine, etc., tout le monde doit être formé. Les enfants que nous avons à l’Unapei souffrent de troubles du développement. C’est un concept large. Cela peut être une dyslexie de rien du tout ou alors un handicapé non verbal avec troubles du comportement qui va exploser en classe. Il faut une équipe. Il faut inclure aussi le parascolaire. Pourquoi un enfant handicapé ne profiterait-il pas du parascolaire ? Pour cela, il faut, dit-elle, faire un diagnostic de l’enfant et partir de là. L’accessibilité à l’école ne se limite pas au bâti et doit intégrer activités pédagogiques adaptés au sein d’une classe. Il faut du matériel et des personnes.” Avec quel argent ? “Il y a bien de l’argent pour La Défense nationale…”, dit-elle.

Scolarisation inadaptée, ruptures de parcours, manque de solutions et de professionnels : les conséquences sont lourdes pour enfants et familles. Comme le réaffirme l’Unapei de l’Hérault, qui réunit 33 établissements et 1 300 bénéficiaires, qui tire une nouvelle fois la sonnette d’alarme en participant à l’opération nationale #JaiPasEcole.

“Sans solution pour la rentrée 2025, notre fils va redoubler sa grande section, juste parce qu’il n’a nulle part où aller”

DR

Dans l’Hérault, par exemple, cette réalité insoutenable demeure fortement : plus de 700 enfants en situation de handicap n’ont aucune solution de scolarisation. Au sein des établissements médico-éducatifs (IME) de l’Unapei 34, près de 300 enfants sont actuellement sur liste d’attente d’une place qui leur permettrait d’accéder à un accompagnement pourtant indispensable à leur développement et à leur inclusion (4 410 enfants au niveau national).

Face à cette situation, mise en exergue dans l’Hérault, l’Unapei 34 (33 établissements et services, 1 300 bénéficiaires) rappelle que derrière les chiffres il y a des situation familiales difficiles et des enfants en souffrance. Par exemple, le papa d’Anthony, 6 ans, porteur d’autisme, s’inquiète dans un témoignage recueilli par l’Unapei : “Sans solution pour la rentrée 2025, notre fils va redoubler sa grande section, juste parce qu’il n’a nulle part où aller. Il bénéficiera de 12 heures d’AESH par semaine, comme depuis le début de sa scolarité. En petite section, il n’y avait aucune AESH disponible. Sa mère a dû arrêter d’enseigner et devenir AESH, juste pour lui permettre d’aller à l’école.”

Bernard Dessimoulie va plus loin : “Il y a plus de 11 000 enfants, aujourd’hui, en France qui attendent une place en IME et qui n’ont pas de solutions ; dont 700 dans l’Hérault. Et 300 qui sont orientés par la MDPH du département ou Sessad et qui ont déposé un dossier dans l’un de nos établissements et que l’on ne peut pas accueillir faute de places. Actuellement dans trois Sessad, nous accueillons 320 à 330 enfants et ados et donc nous en avons autant devant la porte. Certains vont mettre deux ans, quatre ans, jusqu’à cinq ans pour intégrer un IME. Pendant tout ce temps, ils sont dans leur famille où des parents ont été obligés d’arrêter de travailler ; ils ne reçoivent aucun enseignement alors même que la Haute autorité de santé explique que plus on les prend tôt plus on a de chance de les “récupérer” un maximum. Et dans le même temps, l’Etat ne fait pas le nécessaire pour ces enfants handicapés.” 

En juillet, 65 % d’entre eux n’avaient pas de numéro INE (Identifiant national étudiant unique). Ils restent donc invisibles pour l’Education nationale. Et plus de 4 410 enfants sont inscrits sur les listes d’attente des 38 associations – soit davantage que les 3  603 enfants actuellement accompagnés dans leurs établissements et dispositifs enfance (1).

Ce n’est pas tout. Trente associations ont répondu pour 1 462 enfants de 3 ans à 16 ans scolarisés, cette fois en milieu ordinaire : 38 % d’entre eux ont une notification AESH. Et sur 551 enfants ayant une notification AESH : 27 % ont cette notification par défaut, en attendant une solution adaptée (IME, ULIS…)

Olivier SCHLAMA

(1) En juillet 2025, 65 % d’entre eux n’avaient pas de numéro INE (Identifiant national étudiant unique). Ils restent donc invisibles pour l’Education nationale.  Et plus de 4 410 enfants sont inscrits sur les listes d’attente des 38 associations – soit davantage que les 3  603 enfants actuellement accompagnés dans leurs établissements et dispositifs enfance. Ce n’est pas tout. 30 associations ont répondu pour 1 462 enfants de 3 à 16 ans scolarisés, cette fois en milieu ordinaire : 38 % d’entre eux ont une notification AESH. Et sur 551 enfants ayant une notification AESH : 27 % ont cette notification par défaut, en attendant une solution adaptée (IME, ULIS…)

“L’académie a beaucoup progressé et poursuivra ses efforts dans la durée”

Contacté, le rectorat de l’académie de Montpellier n’était pas en mesure de répondre à nos questions. Dans un communiqué de presse communiqué ce jour, on peut lire les chiffres et les propos suivants :

  • “L’académie de Montpellier est pleinement mobilisée pour faire vivre une école inclusive, conformément à la loi de 2005 et à l’ambition d’une école pour tous ». Les chiffres de la rentrée 2025 témoignent de cette dynamique : 27 500 élèves en situation de handicap sont aujourd’hui scolarisés en milieu ordinaire dans notre académie (+2 2 % depuis 2021). Par ailleurs, 6 400 élèves bénéficient d’un dispositif ULIS (+ 21 % depuis 2021). Et près de 21 000 élèves sont accompagnés par un AESH (+43,9 % depuis 2021).”
  • Plus de 6 600 notifications annuelles concernent du matériel pédagogique adapté (+ 28 % depuis 2021). Une hausse significative de l’effectif des Accompagnants d’Elèves en Situation de Handicap, multiplié par 3,7 entre 2017 et 2024 : l’académie compte à ce jour près de 7000 AESH en activité. + 95 ETP à la rentrée 2025 au niveau académique, + 24 dans l’Hérault.

À la rentrée 2025, l’académie ouvre :

  • 12 dispositifs ULIS supplémentaires (5 dans le 1er degré et 7 dans le 2nd degré),
  • 4 dispositifs dédiés à la prise en charge des troubles du spectre de l’autisme, dont 3 dans le département de l’Hérault : une Unité d’Enseignement Maternelle Autisme (UEMA) : école Pierre Brossolette, Castelnaudary (Aude) ; 2 Unités d’Enseignement Élémentaire Autisme (UEEA) : École Roland Boudard, à Béziers (Hérault), École Arc-en-Ciel, à Paulhan (Hérault)
  • Et aussi un dispositif d’AutoRégulation (Dar) : Collège Gérard Philipe, à Montpellier (Hérault) et un pôle d’enseignement pour jeunes sourds (PEJS) à l’école Capouchiné de Nîmes. Ainsi que la consolidation de 5 unités d’enseignement pour élèves polyhandicapés (UEEP).
Présentation du dispositif d’AutoRegulation à Castelnau-le-Lez en présence de la rectrice Carole Drucker-Godard. Ph. Christophe Renoust

“La grande nouveauté de cette rentrée réside dans le déploiement des Pôles d’Appui à la Scolarité (PAS). Ils sont conçus comme un service de proximité pour les familles et les équipes pédagogiques afin d’apporter des réponses rapides et adaptées.
Dans notre académie, 5 PAS ouvrent dès septembre 2025 : deux dans l’Aude (Castelnaudary Nord et Sud), trois dans le Gard (Nîmes, Alès, Bagnols-sur-Cèze). Ils réunissent des personnels de l’Éducation nationale et du secteur médico-social pour accompagner les besoins éducatifs particuliers des élèves, notamment par des adaptations pédagogiques, l’intervention de professionnels ou encore la mise à disposition de matériel. Une généralisation est prévue à la rentrée 2027.”

La rectrice, Carole Drucker-Godard, juge que “l’académie a beaucoup progressé dans la scolarisation des élèves en situation de handicap et poursuivra ses efforts dans la durée. Des moyens nouveaux sont mobilisés pour répondre aux besoins accrus et accompagner chaque élève, avec une attention particulière portée à l’écoute des familles et à l’appui de nos enseignants.”

👉 UN DON POUR SOUTENIR NOS JOURNALISTES !

L’information a un coût. En effectuant un don, vous réduisez, en plus, votre impôt en soutenant les journalistes indépendants de Dis-Leur ! à partir de 1 € et défiscalisé à 66% !

Après notre premier prix un concours national organisé par le ministère de la Culture en 2018 devant 500 autres medias, après l’installation de bandeaux publicitaires en 2019, après avoir été agréés entreprise de presse, nous lançons en collaboration avec le syndicat de la presse numérique (Spiil) un appel aux dons. Merci pour votre générosité et merci de partager largement !

Cliquez ICI