Dix ans des attentats de Paris : L’hommage bouleversant de Stéphane Sarrade à son fils Hugo tué au Bataclan

Hugo Sarrade avec sa copine. Ph. DR

Stéphane Sarrade est l’une des puissantes voix de la résilience aux attentats du 13-Novembre 2015 qui ont fait 133 morts, dont 90 dans la salle de concert, dont son fils, étudiant à Montpellier. Il publie un livre poignant pour, certes, dire son chagrin immense mais aussi que la connaissance et la culture sont les bonnes armes contre l’obscurantisme.

Quand la douleur se mêle à l’espérance. Pour s’en rappeler, sur le torse, Stéphane Sarrade s’est fait tatouer le mot liberté en japonais – Jiyuu – comme l’avait fait son fils, Hugo, 23 ans, tué lors de l’attaque d’un commando de terroristes islamistes au Bataclan. Et par la même tatoueuse (meilleure amie de la nièce, Toulousaine, partie vivre au Japon !) Dix ans plus tard. C’est peu de dire que ce Landais de naissance croit aux rencontres, au chemin du bonheur, même s’il est parsemé de terrifiantes épreuves. “Ce tatouage, exprime Stéphane Sarrade, c’est un moyen d’être dans le lien. On est allés souvent au Japon lui et moi… Il avait des problèmes de jeune adulte ; il se cherchait… Il avait évoqué le jour où il serait délivré de ses démons. Comme beaucoup de jeunes adultes, il cherchait du sens à sa vie.” Et ne demandait qu’à vivre, son coeur ne demandant qu’à battre.

Pétri d’éducation et de valeurs radical-socialistes

Stéphane et Hugo Sarrade, au Japon. DR.

Pétri d’éducation “rad’soc” (radical-socialiste, catholique de gauche) comme on le disait autrefois de ces Français, valeurs de la république chevillées au corps, Stéphane Sarrade, ingénieur renommé au CEA (1) a perdu son fils, Hugo, tué par les balles de trois jihadistes présents au Bataclan, lors des attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont fait 133 morts dont 90 dans la salle de concert. Alors qu’un déluge de balles de Kalachnikov déferlent et coupent les montagnes de décibels du concert de Eagles of Death Metal qui emporteront tant de ses fans. Dehors, des dizaines de morts et de blessés aux terrasses des cafés accueillant la jeunesse, symbole de la liberté. Seul survivant de la tuerie qui a endeuillé le pays, Salah Abdeslam, a été condamné à la plus lourde peine française : perpétuité incompressible. Comme les 20 autres accusés des attentats de Paris et Saint-Denis.

Les trois jeunes qui ont tué Hugo sont nés en France. Et sont allés à l’école de la République, à Strasbourg et en région parisienne. On ne leur pas quelque part offert des perspectives que d’autres leur ont offertes, notamment mortifères”

Pour lui, la connaissance, la culture, ce sont les bonnes “armes” contre l’obscurantisme. “J’en suis persuadé. Les trois jeunes qui ont tué Hugo sont nés en France. Et sont allés à l’école de la République, à Strasbourg et en région parisienne. On ne leur pas quelque part offert des perspectives que d’autres leur ont offertes, notamment mortifères.” Il l’avoue : “L’antisémistime, je l’ai découvert en faisants des études et en quittant les Landes. Je ne savais pas que l’on pouvait être contre les Juifs. Moi, je suis fait de valeurs ; celle du rugby, de l’inclusion, etc., m’ont toujours porté”, dit celui dont le père est mort quand il avait huit ans et qui a été élevé par une “mère célibataire” dans les années 1970. “Ce n’était pas un sport de masse. Mais j’ai toujours reçu beaucoup d’amour”, formule-t-il. “Et j’avais aussi des perspectives : que demain, ce serait mieux.  Je me suis souvent posé la question de ces jeunes terroristes dont la perspective était de mourir…”

Une bourse pour finir ses études au Japon

Hugo Sarrade. DR

Stéphane Sarrade, qui a mis plusieurs mois à entrer de nouveau dans une salle de concert, est l’incarnation de la résilience. Le temps lui semble plus précieux ; il parle de l’intensité des moments passés en famille même si sa vie professionnelle est extraordinairement remplie. Il crée immédiatement, en 2016, une bourse pour des étudiants scientifiques en master, comme son fils l’était à Montpellier, portée par l’école des Mines de Paris, pour aller terminer des études au Japon. Une réussite.

Ce qui me porte tient en un mot : no pasaran”

Lui qui intervient souvent devant des élèves a gardé cette gniaque indéfectible qui le fait avancer et “tenir debout” en proclamant invariablement : “Ce qui me porte tient en un mot : no pasaran {le cri de ralliement, en espagnol, des partisans anti-Franco, Ndlr}. C’est par cette phrase que j’ai terminé mon intervention au procès en regardant Salah Abdeslam. Ce qui me porte c’est que le fascisme, sous quelque forme que ce soit, ne passera pas. Les terroristes n’ont pas gagné. On est debout. Ce qu’ils voulaient, c’est la haine et la vengeance et que l’on se divise. C’est contre ça aussi que je me suis battu. L’important, c’est qu’au final, ils n’aient pas gagné. Même si le terrorisme est toujours présent avec une radicalisation de jeunes beaucoup plus tôt, pilotés par des instances extra-territoriales. C’est préoccupant.”

“Le vent se lève, il faut tenter de vivre”

Stéphane Sarrade vient de sortir un livre titré au Bout du Chemin, qui est le début d’un poème de Paul Eluard qui l’a beaucoup aidé. Sur l’optimisme comme valeur cardinale et l’indéfectible défense des lendemains qui chantent parce qu’au bout du chemin il y a toujours… “une fenêtre ouverte, une fenêtre éclairée...” Sa vie est un plaidoyer sur le refus de la haine ; pour comprendre et donner à comprendre et donner du sens au-delà de qui n’en a pas. “Perdre son fils ce n’est pas dans l’ordre des choses”, souffle Stéphane Sarrade, fin lecteur de Paul Valéry qu’il cite par coeur. Comme sa phrase fétiche qui est celle de nombreux sétois : “Le vent se lève, il faut tenter de vivre. À Montpellier, il y a un immeuble, avec une citation qui dit aussi : Il existe deux visions possibles du monde. Une qui divise, une qui unit. Je sais qu’elle vision du monde avait Hugo.”

“Etes-vous contre les musulmans ? Etes-vous pour la peine de mort ? Généralement, la réponse est non et le débat commence”

Ces rencontres sont justement au coeur du livre. “Au début, j’ai été confronté à quelque chose qui n’a pas de sens.” Du sens, il en fabrique à partir du “chaos“, en rencontrant les parents de victimes ; des lycéens de Lunel, ville héraultaise tristement célèbre pour avoir envoyé une vingtaine de jeunes de la commune au jihad. Il intervient aussi dans des lycées en région parisienne. “A chaque fois, je pose les deux mêmes questions : “Etes-vous contre les musulmans ? Et êtes-vous pour la peine de mort ? Généralement, la réponse est non et le débat commence.” Cette habitude de transmettre, toujours. Et des rencontres.

Quel enseignement tire-t-il de cette épreuve extrême, lui qui est cultivé, à mille lieues de la haine ? “Ça a changé mon rapport à la vie, au questionnement du pourquoi les choses arrivent et mon petit garçon et ma femme sont mes priorités. Parfois, on me demande comment je fais avec ma vie professionnelle très soutenue ; je réponds, j’ai quelqu’un qui s’appelle Hugo qui de temps me dit : Papa, par où tu es passé, tout ça ce n’est rien…”

“Un médecin me propose un rendez-vous. Il m’a expliqué que lui aussi a perdu son fils à 15 ans…”

Évidemment, ces “commémorations” retournent le couteau dans la plaie. Mais l’ingénieur Stéphane Sarrade se plie de bonnes grâce aux interviewes. “J’appréhendais beaucoup ces dix ans des attentats ; on savait, l’ensemble des victimes et des « survivants », confie-t-il, que l’on serait sollicités et qu’il y aurait pas mal de presse” mais “j’appréhende mieux cette date depuis que j’ai écrit ce livre qui m’a aidé à poser les choses”, dit-il.

Ce qui lui a fait le plus de mal, en 2015, c’est un coup de fil. Pas celui de la police, pas encore. Celui d’un ami, anesthésiste à Montpellier, le père du meilleur ami de Hugo, Victor, qui avait travaillé de nombreuses années à l’APHP, à Paris. “Il a fait jouer son réseau pour retrouver Hugo le 14 novembre 2015. Tout le monde le recherchait. Il a été identifié grâce à son tatouage.” C’est, à ce moment-là, la “sidération” qui domine. Là aussi, c’est une histoire de rencontres. “Je sais qu’il va falloir que je sois aidé. Je demande à ma femme d’appeler SOS Médecins ; là, un médecin entend ma demande et me propose un rendez-vous. Il m’a expliqué que lui aussi a perdu son fils à 15 ans…”

“Si on les laisse en Syrie ou ailleurs dans des camps, la haine vis-à-vis de la France quand ils vont y revenir…”

Et même quand un tombereau d’injures lui tombe dessus, il garde son cap. Comme ce jour où il poste une réflexion sur Twitter. “Avec une maman d’une association, qui a perdu sa fille, rappelle-t-il, on avait publié un post sur X où on demandait le retour des enfants de jihadistes en France dont j’avais rencontré les parents et les grands-parents. J’ai vu leur détresse et j’ai aussi vu cet amour qui les attendait en France. C’est un pari. Il y a deux écoles. La première, c’est de dire que des enfants qui ont été abreuvés de vidéos de décapitations, même à cinq ans, ils ne sont pas récupérables. Moi, je n’y crois pas. J’ai un optimisme chevillé au corps. Si on les laisse en Syrie ou ailleurs dans des camps, la haine vis-à-vis de la France quand ils vont y revenir…” Et, ajoute-t-il, derrière leur écran de ceux qui vomissent leur haine, “il y a des monsieur et madame Tout-le-Monde. C’est exactement les mêmes que ceux qui ont comparu au procès des insultes sur Brigitte Macron”.

Olivier SCHLAMA

  • (1) Stéphane Sarrade est directeur des Programmes énergies au CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et président du GIF, le Forum international des réacteurs nucléaires de 4e Génération .