Chronique auto : Bienvenue chez les fous !

"Eh oui parce qu’on ne reçoit plus personne en préfecture depuis le 1er novembre 2017. Tout est digitalisé, c’est mieux !" ironise Jean-Charles Teissèdre dans sa chronique auto pour Dis-Leur ! Photo : DR.

Dans sa chronique, l’avocat montpelliérain spécialisé, Jean-Charles Teissèdre décortique le chemin kafkaïen pour récupérer son permis suspendu.

Attention, ce qui va suivre n’a rien d’une fiction. Il s’agit plutôt d’une chronique de la justice (ou de l’injustice) ordinaire. Imaginez un automobiliste en retard au travail, préoccupé par un dossier, stressé par son prochain rendez-vous. Imaginez ensuite notre ami automobiliste ou motard un peu distrait oublier la limitation de vitesse qui a changé quatre ou cinq fois au cours de son trajet, sans parler de la nouvelle limitation à 80 km/h sur le réseau secondaire à compter du 1er juillet 2018. Pris aux jumelles, il est verbalisé pour un excès de vitesse supérieur à 40 km/h. Son permis de conduire est retenu par les gendarmes qui vont automatiquement – alors que rien ne les y oblige ! – le transmettre dans les 72 heures à la préfecture.

Le préfet va alors suspendre le permis pour une durée arbitrairement fixée entre 1 et 6 mois. Disons 4 mois. 4 mois plus tard, le permis de conduire peut donc être récupéré. A condition toutefois que notre ami se soumette à une visite médicale. Premier problème : aucune date n’est jamais disponible sur le site de la préfecture, en tout cas celle de Montpellier. Donc, à l’issue des 3 mois, même si notre ami a un besoin vital de son permis de conduire, il ne pourra pas le récupérer.

Comme la visite médicale ne peut pas être faite à temps, notre ami ne pourra pas bénéficier de la réduction de la durée de suspension décidée par le juge

Deuxième problème, lorsque le juge, qui a toujours le dernier mot et dont la décision est censée remplacer celle du préfet, finit par se prononcer, il se peut très bien qu’il ramène la suspension a, par exemple, 3 mois. Comme la visite médicale ne peut pas être faite à temps, notre ami ne pourra pas bénéficier de la réduction de la durée de suspension décidée par le juge. Le permis se trouvant physiquement en préfecture, celle-ci ne le restituera pas. Et si à force de courage et d’abnégation toutes les démarches ont été accomplies, la préfecture, à l’issue de la suspension, risque de tarder à expédier le fameux sésame par courrier si bien que notre ami roulera sans son permis de conduire sur lui pendant plusieurs jours ou plusieurs semaines.

On ne reçoit plus personne en préfecture depuis le 1er novembre 2017

Eh oui parce qu’on ne reçoit plus personne en préfecture depuis le 1er novembre 2017. Tout est digitalisé, c’est mieux ! Il y aurait une solution tellement simple à ces situations kafkaïennes : que le procureur de la République dise une bonne fois pour toutes aux gendarmes de ne plus saisir (par téléphone) le préfet. Car il ne s’agit que d’une simple faculté ! Que diable vient faire le préfet dans des affaires pénales aussi ordinaires ? Pourquoi cette intrusion ? Rien dans la loi n’oblige les forces de l’ordre à demander une suspension administrative du permis de conduire. Que ce soit le cas lorsque l’infraction est à l’origine d’un accident grave ou en cas de récidive se conçoit aisément, mais pas au-delà ! Il semble toutefois que les pouvoirs publics soient conscients du problème.

En janvier 2018, ont été annoncées des alternatives à la suspension des permis de conduire : la mise en place, d’ici 2021, d’un dispositif de contrôle électronique de vitesse (dont la généralisation est toutefois à craindre…), doter, dès 2018, les véhicules d’un éthylotest antidémarrage en cas de récidive d’infraction de conduite en état alcoolique ou encore la possibilité de recourir à l’amende forfaitaire en matière d’usage de stupéfiants au volant. Encore une fois, il y a beaucoup plus simple, il suffit d’un peu de bonne volonté : appliquer la loi telle qu’elle est et ne saisir le préfet en matière d’infraction au code de la route que pour des situations exceptionnelles. Finalement, la pire sanction pour l’automobiliste qui a fauté est d’entrer dans l’enfer d’un système hybride préfecture/justice qui ne satisfait personne et qui jette le discrédit sur les institutions.

Songez un instant qu’au bout du compte, avec les lois pénales récentes, le préfet intervient essentiellement dans deux domaines : les infractions au code de la route et … Le terrorisme. Bienvenue chez les fous !

Jean-Charles TEISSEDRE