“Quand d’un passé ancien rien ne subsiste. Seules, plus frêles mais plus vivaces, plus matérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps”… Comme Proust et sa célèbre madeleine, chacun garde au coin de sa mémoire, le souvenir d’un biscuit, attaché aux bonheurs simples d’un goûter d’enfance. Sans doute est-ce un peu de cette nostalgie qui a guidé la démarche d’Elisa et Gwenaëlle dont la production a fait son entrée… au Louvre !
Les deux jeunes femmes se sont rencontrées à Cahors (Lot) dans le cadre d’un master en Patrimoine culturel… L’une vient de Montans dans le Tarn, l’autre de Toulouse. En plus d’un appartement en colocation, elles partagent surtout une double passion : l’Histoire et la pâtisserie ! “Nous avons travaillé dans diverses structures culturelles. Mais ce n’est pas facile de trouver un emploi dans notre domaine de formation et puis nous avions l’envie d’entreprendre, précise Elisa, à force de discuter, nous avons vite eu l’envie et l’idée d’unir nos deux passions…”
Motivées, Elisa et Gwenaëlle se lancent rapidement dans l’aventure. Bénéficiant du soutien de la BGE locale, elles entament une série de formations et lancent les démarches administratives. Mais le plus long dans tout ça, c’est de dénicher les recettes qui leur permettront de créer une gamme permettant de voyager au fil de l’Histoire…
Sous les auspices de Sainte Hildegarde…
“Au début, dans notre recherche de recettes anciennes, nous avons surtout testé des gâteaux, des tartes, cela ne convenait pas” précise Elisa. Mais les deux associées ne se découragent pas. Telles deux archéologues, elles s’enfoncent dans les méandres de l’art culinaire français. Consultent d’antiques grimoires et des ouvrages rares… Jusqu’à découvrir “leur” Graal. Ou plutôt leurS, car elles ont choisi de créer une gamme de biscuits correspondant à des étapes marquantes, avec la contrainte supplémentaire de pouvoir se conserver longtemps.
“Il fallait vraiment être passionnées. Et curieuses. Car les livres que nous avons trouvés ne donnent pas de recettes précises, pas de quantités précises, ni d’indications de temps de cuisson, etc.” Une mission pire que celle des amateurs confrontés aux fameuses recettes de Mercotte dans l’émission de M6 Le Meilleur Pâtissier, dont les deux historiennes sont des fidèles. Beaucoup de tentatives, de tâtonnements, pour finalement en sélectionner quatre…
Elles exhument pour commencer une recette tirée de l’ouvrage d’une moniale bénédictine du XIIe siècle, Hildegarde de Bingen : Les recettes de la joie. Farine d’épeautre, cannelle, éclats d’amande… Sous de tels auspices, les aventurières remontent le temps. Voici donc les brivadeaux, petits sablés de la Renaissance, dénichés dans un ouvrage de 1542. Et petite entorse occitane à la recette originale : le traditionnel arôme de rose est remplacé par la violette toulousaine. on pardonnera bien volontiers ce clin d’oeil.
Histoire et pâtisserie subtilement mêlées
Le voyage se poursuit avec les massepains au chocolat, gâteaux moelleux du XVIIIe siècle dont la recette date de 1740. “Il s’agit d’une des premières pâtisseries au chocolat de l’Histoire. La noblesse à la cour de Versailles en était très friande”, explique Elisa, qui n’a rien oublié de sa formation d’historienne. Enfin, quatrième carte de ce carré d’as gourmand, les boules de Poilus, à la noisette et à la fleur d’oranger. Des biscuits que les familles du Nord de la France envoyaient aux soldats sur le front, durant la Première Guerre mondiale.
Pétrissant ainsi la pâte de l’Histoire, Elisa et Gwenaëlle réussissent leur pari. En une petite année, elles sont finalement prêtes à lancer leur société : Les Mirliflores, qu’elles installent à Montans, dans une ancienne ferme à la fin de 2016. Dans un bel emballage illustré par une artiste, elles peuvent glisser leurs biscuits, accompagnés d’un livret racontant l’histoire de celui-ci et des ingrédients qui le composent.
Déjà vendus en Occitanie dans diverses boutiques à Albi, Toulouse, ainsi que dans des épiceries fines en ligne, Les Mirliflores visent également une distribution dans les boutiques de sites historiques, châteaux, musées… Un contact a même été pris avec le musée des invalides, à Paris. Les deux jeunes femmes fabriquent bien sûr elles-mêmes les biscuits, de façon artisanale avec des produits locaux de qualité.
Et une opération de financement participatif vient de se terminer, avec pour objectif l’achat d’un pétrin de 80 litres et d’une table réfrigérée. Leur production vient d’être accueillie au louvre et elles ont déjà en tête la création d’une cinquième variété de biscuits, venus cette fois… de l’Antiquité !
Philippe MOURET