Chronique littéraire : Comment armer sa bibliothèque pour que vive le rêve démocratique

Lire affranchit... Une bibliothèque même dans une cabine téléphonique hors d'usage - ici dans le parc des Essarts à Bram, dans l'Aude - peut servir la démocratie. Ph. Olivier SCHLAMA

Chaque mois, le Sétois Alain Rollat propose un rendez-vous littéraire, le Marque-Page. Cet éminent journaliste, qui fut directeur-adjoint du Monde, nous fait découvrir les livres d’auteurs régionaux issus de maisons d’éditions d’Occitanie et d’ailleurs. C’est au tour de Juan Branco, David Escartit et Pierre-Henri Tavoillot.

Une apologie de la guillotine

La démocratie étant “le gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple”, il est sain que chaque élément du peuple se préoccupe de sa santé quand elle va mal. C’est ce que disait Pierre Mendès-France, ex-président du Conseil des ministres en 1954, il y a cinquante ans, en des termes qui restent aujourd’hui d’une actualité brûlante : “Le plus grand péril que court toujours la démocratie et le gouvernement du peuple par le peuple, c’est dans la négligence des citoyens qu’il réside. Car eux seuls peuvent les faire vivre dans une action incessante ou les laisser d’affaiblir par leur indifférence ou leur inertie…”

Il faut donc se réjouir que de nombreuses voix s’expriment, en ce moment, au chevet d’une Ve République en péril sous la pression de forces centrifuges opposées les unes aux autres mais devenues globalement majoritaires. On ne compte plus les ouvrages qui nourrissent les révoltes sociales dont tous les extrémismes tirent leurs profits, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite de l’échiquier politique.

“Cette part grandissante de la population déçue”…

Certains de ces ouvrages ont déjà quelques années. C’est le cas de Full Spectrum Resistance, la somme de 700 pages, en deux volumes, d’Aric McBay, publiée en 2020, aux Editions Libres. Militant de l’agriculture biologique, cet activiste canadien, qui vit en Ontario, s’adresse “à cette part grandissante de la population déçue de l’activisme classique, de la gauche fatiguée par les marches et les pétitions, et désireuse, face à l’urgence de la situation écologique et sociale, de faire advenir de véritables changements”.

Regrettant “l’amnésie culturelle” et la “perte de repères” des nouvelles générations d’activistes, Aric McBay incite celles-ci à s’inspirer des combats d’antan qu’il analyse, à la fois sous l’angle stratégique et sous l’angle tactique, du combat des suffragettes aux Blacks Panthers, du Front de libération homosexuelle aux luttes des peuples autochtones, pour convaincre les militants d’aujourd’hui qu’ils ne vaincront rien s’ils ne s’engagent pas dans des résistances analogues : “Nous n’obtiendrons jamais, au grand jamais, la base de notre subsistance sans se battre. Tout a été gagné grâce à la lutte. Rien n’a jamais été acquis par des réunions calmes et polies. Jamais.”

Manuel du parfait coupeur de têtes politiques

D’autres ouvrages sont récents. Dans La Guerre Globale contre les Peuples, sous-titré Mécanique Impériale de l’Ordre Sécuritaire, son dernier livre, édité en avril par La Fabrique, le sociologue français Mathieu Rigouste, qui se définit lui-même comme “quelqu’un qui prend part aux luttes populaires contre les systèmes de domination et d’oppression”, dénonce “la néo-fascisation sécuritaire” en vogue un peu partout sur la planète et appelle tous les militants anticapitalistes à “l’autodéfense populaire” : “Nous n’aurons jamais que ce que nous saurons prendre, créer et défendre par nous-mêmes. Nous sommes la source et l’horizon.”

Dressant l’inventaire de “ces livres qui nourrissent la révolte”, le site d’information Reporterre vient de conseiller à chaque militant(e) de se constituer ce qu’il appelle “une bibliothèque-armurerie”… Manque, toutefois, dans sa liste, un ouvrage qui mériterait pourtant d’avoir une place prééminente, dans toute bibliothèque de ce genre, au rayon de la grosse artillerie. Il s’agit du dernier livre de l’avocat franco-espagnol Juan Branco, bien connu pour son activisme sans frontières, un ouvrage, édité l’an dernier par Au diable Vauvert, dont le titre résume à la perfection l’objectif révolutionnaire : “Comment Fabriquer une Guillotine”.

On ne fait pas mieux en guise de manuel du parfait coupeur de têtes politiques. Son but est explicité sans la moindre ambiguïté : “Les éléments qui sont présentés en cet ouvrage sont de nature à produire une révolution politique. Qu’est-ce qu’une révolution politique ? Une insurrection qui, partant d’un mouvement populaire, ouvre la voie à un coup d’Etat. Pour être légitime, un mouvement insurrectionnel doit, en système démocratique et libéral, s’accoupler à une mobilisation de masse et la transformer en lance perçante prête à trancher la gorge du gouvernement (…) On ne commet nulle violence si ce n’est pour couper la tête du roi (…) Cet ouvrage n’offre d’instruments qu’à ceux qui, devenus masse, chercheront, le moment venu, à rendre sa souveraineté au peuple français (…) Ils ont pour objectif de permettre à des avant-gardes de se préparer et à l’ensemble du territoire de se soulever…”

Perspective d’un “grand soir”…

La perspective du “grand soir” dont il rêve étant ainsi posée, Juan Branco met à la disposition de ses disciples un guide pratique de la révolution en marche, accessible à tous, qui ne s’embarrasse d’aucune fioriture, ni de la moindre précaution de langage, pour préciser quelles seront, “le moment venu”, les actions à mener, sur le terrain, pour abattre la Ve République. “En province, attaquez les préfectures et vous aveuglerez le pouvoir que vous souhaitez faire tomber… Il faut fixer les forces de l’ordre sur les préfectures – quitter à exagérer l’importance des forces révolutionnaires- avant de s’élancer sur la seule source de légitimité alternative existant à l’échelle locale : l’hôtel de ville…” Mais comment et avec quoi attaquer les préfectures et les mairies ?

La réponse est utilitaire : “La France est agricole et emplie de chantiers ; elle dispose d’engins d’une puissance suffisante pour mettre en déroute les forces de l’ordre… Les chasseurs disposent aussi d’un arsenal qu’il peut être intéressant de mobiliser… Les polices municipales disposent d’un arsenal limité mais particulièrement aisé à accéder. C’est là le lieu qu’il faudra attaquer, discrètement, et piller, au préalable de toute action, si l’on veut, dans le rapport de force, par la suite, face à ceux qui nous seront envoyés, peser. Les vols et exfiltrations sont aisés à mettre en œuvre lorsque la panique se saisit du monde…”

“En une seconde vague, poursuit maître Branco, il convient de cerner les palais de justice. Il s’agit de cibler l’appareil de répression…Il faudra, sans rien ne craindre de vos gestes, saccager les archives, les documentations contenues dans les dispositifs informatiques, gardées, encore archaïquement en copies papier, empêcher les fonctions, poursuivre les procureurs, chasser les instructeurs, dévaster les autels d’où l’on vous toise, brûler les hermines, détruire les dépôts, voler les instruments de coercition, et, ce faisant, nourrir la peur panique d’une anarchie qui permettra de féconder…”

Féconder” quoi, au petit matin du “grand soir ?” Une “Commune de France” – inspirée de la Commune de Paris de 1871 – qui commencera par une réforme institutionnelle supprimant l’élection du président de la République au suffrage universel et instituant une présidence collégiale dont le corps principal présentera l’originalité d’inclure “des corps de métier intermédiaires : informaticien, cinéaste, cuisinier, peintre, poète, écrivain, couturier, horloger, compositeur, libraire, médecin…”

Mode d’emploi d’une Terreur en marche

La troisième vague s’attaquera aux centres des impôts ; la quatrième aux centres de stockage des données ; la cinquième aux réseaux de distribution électrique et aux centraux téléphoniques ; la sixième aux raffineries hexagonales, etc. Le nombre des vagues n’est pas limité.

Les “lieux de pouvoir” seront “frappés“, selon un ordre ciblant en priorité le gouvernorat et la préfecture de police de Paris qui sont “des centres contre-révolutionnaires antithétiques : le premier est facile à prendre par surprise, place de la République, la seconde, île de la Cité, qui contient en son deuxième sous-sol le centre de commandement d’où partent toutes les instructions à destination des forces de l’ordre- et au deuxième étage les bureaux et cabinets du préfet, est un bastion très difficile à attaquer. Tous deux deviennent des monstres intouchables si on leur laisse le temps de se préparer. Il sera en conséquence recommandé de les détruire…”

Les médias seront, bien entendu, traités aussi vite que possible : “Il faudra neutraliser leurs propriétaires que chacun connaît : Xavier Niel, Bernard Arnault, Arnaud Lagardère, Vincent Bolloré, François-Henri Pinault, Rodolphe Saadé, Daniel Kretinski et Patrick Drahi, ainsi que leurs sous-fifres, devront tous être arrêtés.”

“Une fois arrivés au pouvoir, précise Juan Branco, il faudra imposer une verticale autoritaire à l’égard des classes dominantes qui, seule, sera en mesure de libérer le reste de la société. Il faudra frapper fort et rapidement pour faire adopter le socle de revendications minimales unanimement espérées en dehors du bloc bourgeois, et qui permettront de rétablir un semblant de souveraineté, de démocratie et de liberté au profit des Français.”

A toutes fins utiles, ce mode d’emploi de la Terreur en marche contient une notice de seize pages, illustrées de croquis minutieux, destinée aux apprentis Fouquier-Tinville… On y apprend tout ce qu’il faut savoir pour fabriquer “avec exactitude” une authentique guillotine. Il y faut une dizaine d’outils, quatre panneaux de bois, quelques tasseaux et chevrons de bois, beaucoup de visserie, une poulie, deux rails en acier galvanisé et surtout une lame en acier brut de 70 mm de large et de 5 mm d’épaisseur.

Disons tout net, à ce sujet, que la guillotine à roulettes aperçue, le 18 septembre, au cours du défilé organisé par les syndicats sur les grands boulevards parisiens ne semblait pas construite dans ces règles de l’art psychopathique. Ce qui laisse supposer l’existence d’un certain amateurisme chez les coupeurs de tête d’aujourd’hui…

  • Comment fabriquer une guillotine, Juan Branco, Au diable Vauvert, 235 pages, 19 €

L’arsenal d’un “homme ordinaire”

Si l’on veut “armer” sa bibliothèque, il existe, heureusement, des ressources intellectuelles moins réductrices que cette apologie de la guillotine. A l’opposé absolu du putschisme de Juan Branco, on peut lire, par exemple, si l’on a besoin d’air frais, le petit essai sympathique que viennent d’éditer Les 3 Colonnes, sous le titre Changer de Politique(s), et dont l’auteur, David Escarti, pose, sur notre République, ses institutions, son fonctionnement, ses mœurs, le regard aimable du citoyen ordinaire, sans étiquette, sans ambition politique personnelle, celui d’un père de famille comme les autres qui dit ce qu’il pense de ce qu’il voit, de ce qu’il vit, de ce qu’il ressent, dans sa vie de tous les jours, au spectacle d’une société française qui le désespère.

“J’ai eu envie d’écrire pour donner aux autres l’envie de changer la vie politique française”

David Escarti vit dans l’Hérault. De lui, il ne dit pas grand-chose : “Je ne suis rien. Je suis un homme sans histoire, des études pas très longues, mais qui m’ont permis d’avoir un bon job dans une grande entreprise française, j’ai été marié, j’ai trois enfants, des amis, je fais du sport, j’ai eu des problèmes de santé, plus ou moins graves. J’ai aujourd’hui la cinquantaine et depuis l’adolescence je m’intéresse aux actualités de mon pays et du monde… J’ai donc au le temps de constater les faiblesses de la démocratie française. Si bien qu’aujourd’hui je ne vais plus voter. Mais aux dernières législatives, quand j’ai vu que les Français n’avaient plus le choix qu’entre deux partis, l’extrême gauche et l’extrême droite, autant dire la peste ou le choléra, et que la seule alternative à ces fléaux étaient les centristes, qui n’ont de centristes que le nom parce que leurs promesses tendent à gauche mais leurs réformes penchent à droite, j’ai eu envie d’écrire pour donner aux autres l’envie de changer la vie politique française. “

Et ce qu’il propose, pour refonder notre démocratie, tient en trois mots, les trois mots de notre devise républicaine, qu’il écrit en majuscules – Liberté, Egalité, Fraternité -, trois mots autour desquels il propose de rassembler, dans un nouveau parti – la LEF – “tous les gens qui y croient, pas les personnes qui font de la politique par intérêt…” Tout le reste de son projet pour la France, dont ce nouveau parti serait le moteur, découle de cette volonté d’un retour aux sources originelles de l’idée républicaine.

Pour rompre avec le penchant monarchique de la Cinquième République, qui lui donne l’impression qu’aux élections présidentielles beaucoup de ses concitoyens votent “pour avoir un chef, un guide, un gourou…”, David Escarti propose que le président de la République française ne soit plus élu au suffrage universel direct mais “par les représentants du peuple” et, pour représenter la France à l’étranger, qu’il “ne soit plus qu’un Grand Ambassadeur tenant ses prérogatives uniquement du parlement français”.

Des gens qui sont comme moi, qui n’ont pas l’ambition de faire carrière dans la politique mais qui sont prêts à donner de leur temps pour le pays, qui n’attendent pas d’avoir des passe-droits une fois qu’ils auront des responsabilités”

Pour améliorer le fonctionnement de l’Etat, David Escarti préconise aussi que le gouvernement du pays soit resserré au maximum : “Trois ministères suffiront pour la nouvelle République. Le premier, le ministère de la Liberté, sera chargé de la santé, de l’écologie, de l’agriculture, du logement, du sport… Le deuxième, le ministère de l’Egalité, sera chargé de la petite enfance, de l’éducation, des universités, des demandeurs d’emploi, des transports, de la culture mais aussi de l’apprentissage de la laïcité… Le troisième, le ministère de la Fraternité, sera celui de la protection des Français ; il aura en charge la sécurité du territoire et des citoyens, la défense, la police, la justice, les armées mais aussi le logement et l’industrie…”

Il va de soi, dans l’esprit de David Escarti, que le fonctionnement durable d’un tel système implique que le président élu pour cinq ans par les représentants du peuple dispose d’une majorité absolue au parlement, “condition sine qua non pour arriver à imposer la Liberté, l’Egalité et la Fraternité dans notre beau pays”. Il mise sur la force dynamique du nouveau parti qu’il propose – la LEF – pour rassembler, au service de l’intérêt collectif, “des gens qui sont comme moi, qui n’ont pas l’ambition de faire carrière dans la politique mais qui sont prêts à donner de leur temps pour le pays, qui n’attendent pas d’avoir des passe-droits une fois qu’ils auront des responsabilités… Je suis optimiste, dit-il, ces gens-là existent”.

“Faire confiance à des gens d’expérience”

Ces gens comme lui, David Escarti rêve d’en réunir assez, au sein de la LEF, pour que le bon sens et le sens du compromis deviennent majoritaires dans les nouvelles institutions. “Je n’ai rien contre les élites, écrit-il, nous avons besoin de gens intelligents et diplômés. Mais force est de constater que les élites qui gouvernent le pays aujourd’hui ont échoué. Je préfère faire confiance à des gens d’expérience, qui ont vécu les difficultés et les problèmes de la vie… Je pense que les membres d’un tel parti doivent être des gens âgés de trente à soixante ans… Quant aux jeunes, ils ont leur place s’ils ne sont pas ambitieux, s’ils finissent ce qu’ils commencent, s’ils ne rechignent pas à la tâche et s’ils savent écouter les autres…”

Tout cela, David Escarti le dit avec franchise, sincérité, émotion, dans un style direct, avec les mots simples des gens ordinaires qui ne se reconnaissent plus dans le paysage politique mais qui, pour autant, n’ont aucune envie de rejoindre l’un ou l’autre des camps extrémistes. C’est le point de vue empathique d’un homme honnête, gentil, écartelé, qui refuse de voir mourir l’idéal auquel il s’accroche désespérément. “Pour fonder la République, disait Saint-Just avant de se convertir à la religion de la guillotine, il faut la faire aimer…” David Escarti ne dit pas autre chose mais pour la faire aimer, la République d’aujourd’hui, il mise, lui, sur le sens civique, sur le souci partagé de l’intérêt collectif, sur le savoir vivre ensemble au-delà des divergences et des disputes.

L’amour de la chose publique

Oh ! bien sûr, son cri du cœur fera sourire ou ricaner. On entend déjà les amabilités condescendantes que lui vaudront son audace. Angélisme ! Utopie ! Illusions ! Naïvetés ! Certes. Mais ceux qui se moqueront de lui feront preuve d’imbécillité. Car ce Candide a, au moins, raison sur un point fondamental : quand les hommes d’Etat sabordent le parti du bien public, c’est aux citoyens ordinaires qu’il appartient d’intervenir pour en empêcher le naufrage.

C’est aussi ce que disait, bien avant Mendès France, un certain Montesquieu lorsqu’il précisait que ce qu’on appelle amour de la République n’est pas autre chose que l’amour de la chose publique.

  • Changer de politique(s), David Escarti, Les 3 Colonnes, 92 pages, 13,50 €

Le philosophe en sentinelle

Aujourd’hui, en France, la question primordiale est d’ailleurs de savoir, quels sont, parmi tous les contempteurs de la démocratie libérale et représentative, ceux que l’amour de la chose publique passionne vraiment plus que l’amour de leur nombril.

C’est la question que se pose – et que pose à ses concitoyens – le président du Collège de philosophie, Pierre-Henri Tavoillot, enseignant à la Sorbonne et à Sciences Po, dans Comment Gouverner un Peuple-Roi ?, le dernier en date des traités d’art politique, une somme qui fait déjà référence chez les vrais experts en la matière. Une question immémoriale que l’on peut formuler d’une façon plus brute : Comment vivre ensemble sans s’entre-tuer ? Et qui entraîne – au vu de ce que veulent détruire les Juan Branco ou réparer les David Escarti – une sous-question d’actualité : “Entre le cauchemar de l’impuissance publique et le spectre de l’autoritarisme, comment réconcilier la liberté du peuple et l’efficacité du pouvoir ?”

“La démocratie n’est pas un produit étiqueté Satisfait ou Remboursé. Elle est un principe d’orientation du destin collectif”

Répondre sans mauvaise foi à cette sous-question implique de se remettre en tête que, en démocratie, l’art de gouverner est aussi, et peut-être surtout, un art d’être gouverné. D’où la mise en garde lancée par Pierre-Henri Tavoillot à l’adresse de tous “les déçus de la démocratie libérale et de tous ceux qui pensent qu’une autre démocratie est possible” : “Le risque, en voulant radicaliser la démocratie, c’est de la perdre. Ou, du moins, d’égarer en route ce qui est son principe premier, la liberté collective. On croit, en effet, être plus libre quand on peut choisir tout, dire tout, décider de tout, même de congédier ses serviteurs dans l’instant ! C’est confondre la liberté du citoyen avec celle du consommateur. Or, le contrat social n’est pas un contrat commercial ; le peuple souverain n’est pas la somme des clients-rois ; la démocratie n’est pas un produit étiqueté Satisfait ou Remboursé. Elle est un principe d’orientation du destin collectif…”

Au risque de se faire traiter de “réactionnaire” par l’extrême gauche comme par l’extrême droite, Pierre-Henri Tavoillot n’hésite pas non plus à pourfendre les abus de contre-pouvoir, aussi nocifs, en démocratie, que les abus de pouvoir parce que, sous couvert d’individualisme, ils nourrissent l’anarchisme. Il affirme également tout haut que les appels récurrents à la “désobéissance civile”, devenus à la mode, en particulier parmi les militants d’extrême gauche, ne sont pas porteurs de progrès mais de régression : “L’éloge de la désobéissance civile est une dérive des démocraties libérales qui restent persuadés qu’il faut lutter, comme aux temps modernes, contre le pouvoir, alors qu’aux temps hypermodernes rien n’est plus urgent que de le défendre. Ce n’est pas rendre service au peuple que d’affaiblir le pouvoir qui le porte. Protéger la maîtrise du destin collectif et non promouvoir le désir de toute puissance individuelle : voilà le défi !”

Il ne tient qu’à nous de remettre ces idées à leur place et de continuer, plus que jamais, à êtres des peuples fiers de leur régime, le meilleur de l’histoire, car le plus conforme à l’humaine condition”

Oui, les démocraties européennes sont en danger. Chaque personne préoccupée par son avenir, par celui de ses enfants et de ses petits-enfants, devrait donc lire ce livre pour s’armer contre la sottise ambiante et se livrer, le cas échéant, à sa propre révolution intérieure. “La faiblesse des démocraties libérales, conclut son auteur, relève aujourd’hui de la mauvaise conscience. Celle que distille la démocratie radicale en prétendant que le peuple est absent des froides institutions (voir La France insoumise).”

“Celle qu’insinue la démocratie illibérale en affirmant que le pouvoir est impuissant, car soumis à des élites égoïstes et aveugles (voir le Rassemblement national). Celle que déclame la théodémocratie en prêchant que le peuple n’a plus de sens au-delà de lui-même (voir l’Amérique des prêcheurs de Trump). Il ne tient qu’à nous de remettre ces idées à leur place et de continuer, plus que jamais, à êtres des peuples fiers de leur régime, le meilleur de l’histoire, car le plus conforme à l’humaine condition. Grandir et faire grandir, émanciper, donner à chacun la possibilité de partir à la conquête de sa propre existence au sein d’une société d’individus. Voilà le rêve démocratique que veulent étouffer tous ceux qui, à droite ou à gauche, au nom du ciel ou de la terre, au nom du passé ou du futur, prétendent imposer une vision étriquée et univoque du bonheur humain. La civilisation de la démocratie est la civilisation des grandes personnes…”

Voilà la question ! La seule qui vaille pour le citoyen résolu à garder l’arme aux pieds : notre démocratie française saura-t-elle rester adulte ?

  • Comment Gouverner un Peuple-Roi ?, Pierre-Henri Tavoillot, Odile Jacob, 345 pages, 22,90 €.

Alain ROLLAT
alain.rollat@orange.fr