La Narbonnaise Fabienne Laheurte comptait parmi les créateurs venus du monde entier pour exposer au Grand Palais, à Paris. Bien que cette représentante de l’Occitanie en soit déjà à sa troisième participation de l’événement, ses œuvres on fait sensation. L’ univers de l’artisan-céramiste fait voyager de la terre jusqu’au ciel, favorisant la réflexion philosophique puisque, dit-elle, “l’art va nous aider à apporter des réponses à nos questionnements, par exemple pour les origines de la vie.” A l’heure où la recherche scientifique affronte des vents contraires, le travail de Fabienne Laheurte rappelle combien les mondes artistique et scientifique peuvent se nourrir mutuellement.
Fabiennee Laheurte, pouvez-vous vous présenter ?
J’ai 66 ans, et je suis céramiste. Après la voie scientifique, je me suis réorientée, à 50 ans, vers une carrière d’artisan d’art. C’est une reconversion qui n’est pas due au hasard, car plus jeune je voulais faire l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg. Mais on m’en a dissuadée, on considérait que ce n’était pas sérieux. De longues études m’ont menée à un doctorat dans le domaine des sciences du sol, lequel m’a conduite à la recherche fondamentale sur la formation des argiles et l’utilisation des éléments minéraux du sol par les plantes.
Donc depuis une quinzaine d’années, je suis artisan d’art et inscrite à la chambre des métiers. Pourtant, je me sens plus artiste qu’artisan, dans le sens où je travaille davantage selon mes inspirations que pour des commandes.
Pourriez-vous revenir sur ce passage du monde scientifique à celui des arts ?

J’ai beaucoup travaillé pour en arriver à ce je suis aujourd’hui, mais ça a été une reconversion facile. Je me suis formée un peu partout en France et à l’étranger. J’ai rapidement vendu dans des galeries et des salons, puis j’ai exposé en 2019 dans un salon prestigieux qui s’appelle “Révélations” qui m’a ouvert à l’international. New York, Milan, Bruxelles, le Kazakhstan. Ma formation scientifique m’a beaucoup aidée dans l’apprentissage de la technique, car la céramique c’est un processus physico-chimique de transformation de la matière par la chaleur. La rigueur et le goût de l’expérimentation aussi.
Interprétez-vous cette transition comme une manière de retrouver l’art ?
J’ai longtemps distingué deux pôles dans ma vie : l’art qui me nourrit et m’intéresse, et la part professionnelle. Maintenant les deux sont liés. Avant je jurais beaucoup par la science, maintenant je crois que l’art est plus puissant. Je crois que l’art peut nous aider à apporter des réponses à nos questionnements, par exemple sur les origines, ou le sens de la vie.
Comment par votre démarche artistique, tentez-vous de répondre à ces questionnements ?
D’abord la nature, au niveau microscopique ou macroscopique m’inspire, elle me donne donc beaucoup de raisons de faire des odes à la vie, d’être admirative et sensible aux matières, aux lumières et aux formes et de l’exprimer.
Ensuite, je travaille avec des résidus de dégradation de la croute terrestre, les argiles, pour fabriquer des objets, dont certains ressemblent à des atomes ou à des planètes ; rien ne se crée tout se transforme. La science ne répondra jamais à toutes nos questions, alors que l’art va nous donner des pistes.
Comment qualifieriez-vous votre style d’art ?
J’aime les choses épurées, les formes simples, les couleurs neutres. Je pense que j’essaie de revenir aux lignes fondamentales, à ce qui est beau ou pas beau. Très souvent, les artistes reviennent aux lignes simples après un long cheminement. L’œuvre est dans le geste, peu importe le médium que l’on utilise.
Est-ce que vous avez identifié ce qui plait en général ? y’a-t-il un “beau” local, régional ou universel ?
Je ne pense pas qu’il y ait un consensus immédiat, ce n’est pas possible. Tous les goûts sont dans la nature. Mais au bout du compte, il y a de grandes règles qui font les choses belles, car ce sont des bases. Un paysage par exemple va toujours être beau s’il n’est pas encombré, si l’on retourne à la nature. Quoi de plus beau qu’un paysage ? L’épure est aussi une voie de consensus, je pense.
Mais on ne peut pas tous aimer la même chose . La variété le foisonnement, les formes… ça nous nourrit. Moi je prends tout. Et ce qui est important en tant qu’artiste de la terre, c’est que l’on revient toujours à la matière. On me demande souvent avec quoi c’est fait et comment. Au début, ça m’embêtait, car je voulais que les gens me disent plutôt ce qu’ils ressentaient en regardant ma céramique, mais ils ont beaucoup de curiosité sur la façon de cuire.
Ce sont des considérations terre à terre, mais qui ramènent à la réalité et finalement ce n’est pas plus mal. Mes créations ressemblent à des planètes, des étoiles… des choses qui viennent des galaxies lointaines. Elles sont issues aussi de formes de céramiques ancestrales. Mon travail actuel fait rêver les gens sur le monde à grande échelle, l’espace, le temps … enfin je l’espère.
Je ne suis pas spécialiste en astronomie, mais c’est justement ce qui me nourrit, car je cherche des réponses, ou juste des questions. En créant de fausses planètes avec des résidus de terre qui nous entourent, je propose une réflexion sur ce que l’on est. Car nous ne sommes que des poussières d’étoiles.
Quelles ont été vos expériences à l’étranger et que vous ont-elles apporté ?
Je me suis formée en Asie centrale pendant deux ans, d’abord dans l’atelier d’une céramiste française au Kazakhstan. J’avais alors tout mon temps puisque je ne travaillais pas dans le sens d’un métier, et que mon statut d’expatriée me tenait en dehors de la politique et des affaires courantes. J’ai donc eu la chance de beaucoup apprendre et ensuite de poursuivre l’expérience en Chine, à Jingdezhen, capitale de la porcelaine.

Il y avait une Université qui accueillait des étudiants internationaux et j’ai appris beaucoup de techniques. Je me suis aussi un peu inspirée des céramiques et des bronzes antiques chinois. En Chine, on utilise des techniques très pointues avec des cuissons à haute température. Ces techniques chinoises je les ai réinvesties dans des formes et des décors au bleu de Chine.
Puis je suis allée au Burkina Faso, dans un village de potières. C’est l’opposé, on travaille sur le sol battu avec des outils fabriqués avec ce que l’on a sous la main, comme un bout de carton, de bois, ou une graine. On cuit dans un four en fosse avec des palmes sèches. J’ai beaucoup aimé et cela m’a vraiment enrichie dans un axe différent. J’ai en effet ramené une certaine ligne de poteries inspirées de celles des femmes africaines et des méthodes de cuisson primitive.
Qu’est-ce qu’un village de potières ?
Dans des villages de potières, les femmes, de tous les âges, font les poteries dans toutes les cases. Elles les cuisent elles-mêmes, puis parcourent de longues distances et les vendent au marché. Mais cela risque de disparaître, car les poteries utilitaires en Afrique sont rapidement remplacées par le plastique.
Techniquement entre l’Afrique et la Chine, c’est le grand écart. Mais partout il y a une dimension utilitaire et une dimension artistique. Je trouve que les deux sont liées.
A quel moment avez vous choisi la céramique et pourquoi ?
Cela a commencé au lycée. J’avais un professeur d’art plastique. C’était un homme extraordinaire qui nous a fait découvrir plein de techniques (…) C’est lui qui m’a sensibilisée à l’art. La céramique vient du hasard des rencontres dans des ateliers où l’on travaille la matière… Après le lycée, j’ai travaillé dans un atelier de céramique. La terre est un médium qui donne de grandes possibilités.
On travaille cette pâte, et on la confie à une puissance céleste, le feu : que le four soit à bois, au gaz ou électrique. On confie l’épreuve à une grande force, comme le graveur confie sa plaque à une presse, pour moi le feu c’est encore plus puissant. Souvent on ne maîtrise pas trop, voire pas du tout, ce qu’il se passe ; cette transformation de la matière… Et comme je suis curieuse et que j’aime les découvertes, chaque fois que j’ouvre le four c’est Noël et c’est génial ! Même à mon âge je suis pressée d’être au lendemain pour ouvrir le four.
Est-ce que vous avez essayé d’autres formes d’art ?
Toute ma vie j’ai fait de la peinture. J’ai voulu m’exprimer en peinture. La peinture est un mode d’expression très fort et difficile. Mais je n’ai jamais exposé. C’est très intime comme pratique. Quand je serai trop âgée pour faire de la céramique, qui demande une bonne condition physique, alors je me concentrerai sur la peinture.
Quels sont les projets ? Où peut-on retrouver, vos créations ?
J’ai beaucoup travaillé pour le salon Révélations en mai où j’ai présenté une installation de trois pièces. J’ai alors créé plus d’une dizaine de sphères qui sont exposées dans une église dans le Gers (église Saint-Germaine , à Condom). C’est une installation que j’aimerais reproposer ailleurs. Je vais participer à un parcours artistique dans ma région, à Leucate dans l’Aude en septembre (Les vendanges de l’Art, du 20 au 22 septembre). J’aimerais participer à un salon à Toulouse (Fragments, du 27 au 50 novembre) fin novembre, un salon des métiers d’art. Le dossier de candidature est parti.
Sinon je n’ai qu’une hâte, c’est de retrouver le calme de l’atelier, car j’ai des projets de décorations sur des bases rondes avec des bas-reliefs qui évoqueraient des végétations primaires. C’est-à-dire des endroits dans le monde où la nature a évolué sans l’intervention de l’homme. J’aimerais proposer des univers qui n’ont jamais vu l’humain, forêts primaires, steppes ou déserts immaculés.
En tant qu’artiste occitane, est ce que vous avez le sentiment de représenter le patrimoine de votre région ?
J’habite Narbonne depuis 37 ans, dans la même maison au milieu de la garrigue. C’est la ville où mes deux enfants sont nés, où je mène mon activité artistique par laquelle j’ai créé un réseau social important. Je me sens donc très attachée à mon territoire, à son histoire et sa culture. Ses paysages et son climat sont très forts. Alors oui, mon art est forcément influencé par ma région. Mais l’Occitanie c’est très grand, je ne peux pas dire s’il y a un art occitan. Je peux dire que nous sommes de nombreux artistes et que nous travaillons beaucoup, avec beaucoup d’idées et de convictions. Les paysages sont immensément inspirants.
Et j’ajouterais que dans le domaine des métiers d’art, il y a une véritable dynamique en Occitanie et un soutien à nos métiers qui vient de la Région qui nous aide financièrement à faire perdurer nos activités et nous permet aussi d’exposer à un haut niveau. C’est justement ce que j’ai pu faire en mai dernier à Révélations, biennale internationale des métiers d’arts.
Est-ce que vous avez déjà envisagé ou déjà entrepris d’enseigner ?
J’ai beaucoup enseigné dans ma vie avant de faire ce que je fais. Cela m’arrive d’accueillir des stagiaires de tous niveaux, car c’est important pour moi de transmettre la technique, la passion, la foi et l’énergie. D’expliquer que l’on n’a pas toujours tout du premier coup et qu’il ne faut jamais abandonner. Car dans la vie on n’a que ce que l’on se donne.
Propos recueillis par Clara VENNAT pour Dis-Leur !