Entretien : Pour Stéphane Krasniewski, il est essentiel de “réaffirmer notre identité et nos valeurs”

Stéphane Krasniewski. Photo Rosalie PARENT

Après avoir travaillé comme administrateur dans une compagnie de théâtre à Strasbourg, Stéphane Krasniewski a rejoint l’équipe du SUDS à Arles en 2004, d’abord comme administrateur puis comme co-programmateur aux côtés de Marie-José Justamond, fondatrice du festival. Il en prend la direction en janvier 2019. Il est également président du Syndicat des Musiques Actuelles depuis 2024.

En tant que programmateur du festival, comment choisissez-vous les artistes ?

Il y a plusieurs niveaux de programmation. Des artistes vont être en tête d’affiche afin de contribuer à la notoriété et à la fréquentation du festival. Ils sont choisis pour leurs liens forts avec le festival. Sinon cela se fait au gré des opportunités, s’ils sont en tournée par exemple. Ensuite il y a les artistes plus émergents pour lesquels nous avons un rôle de structuration. Dans ce cas, je programme en fonction d’un faisceau d’indices qui me permet d’évaluer que le festival pourra jouer son rôle d’accélérateur (…) Le groupe Poplité que l’on a accueilli le premier soir par exemple était accompagné par la Cité de la Musique et dans les radars du directeur de la Scène Nationale d’Alès. Depuis cette année on accompagne également des créations avec les artistes comme celles de Walid Ben Selim et Raül Refree, Mandy Lerouge ou encore Rebbeca Roger Crouz.

Cette programmation contribue à la singularité du festival. Quelles sont les autres particularités des Suds qui le démarquent des autres festivals de musique ?

Son orientation vers les musiques du monde, qui s’inspirent d’un territoire et de l’histoire des peuples. C’est aussi un long festival. La journée commence à 10h et finit à 3h du matin, du lundi au dimanche. Le nombre de scènes est une autre caractéristique. On investit l’ensemble de la ville, ce qui permet d’avoir des scènes adaptées au projet que l’on accueille, mais aussi de toucher à différents publics et de laisser les artistes s’inspirer de ces lieux patrimoniaux. Et nous avons beaucoup de temps de médiation dans la journée, afin de permettre au public de mieux comprendre d’où viennent les artistes, quel est le contexte qui a présidé à la création de leur œuvre…

Après 30 ans de festival, avez-vous senti une évolution du ou des publics qui viennent au Suds ?

Il y a plusieurs évolutions. D’abord en 2008, nous avons créé notre scène de nuit, très ouverte et électro. Cela a permis de (re)nouer du lien avec un jeune public local qui avait pu se disperser au fil des années. Par contre, nous avons de plus en plus de mal à toucher les publics communautaires. Pourtant les musiques “du monde”, un terme d’ailleurs très discutable, étaient au départ des musiques communautaires comme le raï, les musiques africaines ou encore balkaniques. En sortant de ce cadre dans les années 80-90’s pour aller vers le grand public, elles ont permis à des festivals de voir le jour, dont Les Suds.

Pour Les SUDS, un duo qui fonctionne. photo Stéphane BARBIER

Cette part d’universel dans une exprssion singulière permettait donc de toucher un public non communautaire, en plus des communautés arabe et gitane présentes à Arles. Or même si la programmation n’a pas changé, on voit bien que le cloisonnement de nos sociétés et la sociologie de la ville qui évolue nous éloignent de ce public. Le quartier populaire de la Roquette, historiquement très populaire (…) n’est plus vraiment ce quartier de ralliement culturel avec tous les beaux AirBnB…. On continue néanmoins de faire de l’action culturelle et d’aller à la rencontre du public. Mais c’est beaucoup demander à la culture de résoudre tout cela toute seule.

Le festival est en dialogue avec la ville. L’est-il avec d’autres manifestations culturelles en France ?

Oui, on a des ponts avec les autres festivals. Certains sont complices des Suds, d’autres s’en inspirent, car nous restons un festival prescripteur. Beaucoup de professionnels viennent pour écouter des choses qu’on ne peut pas écouter ailleurs. En début de semaine on avait par exemple Kamel Dafri, directeur du festival villes des musiques du monde à Aubervilliers. Ce sont autant de partenaires avec qui l’on arrive à faire des choses régulièrement autour de projets assez atypiques.

Photo © Festival Les SUDS

Est-ce que les Suds est touché par les coupes budgétaires annoncées par l’état de 50 millions pour la culture? Si oui, comment continuer à faire vivre le festival ?

Jusqu’à présent nous avons été épargnés… à peu près. Lorsque la région (Provence Alpes Côte d’Azur, NDLR) nous a annoncé une coupe budgétaire de 10%, à distinguer de la coupe idéologique comme dans les Pays de la Loire, on a réussi à la contrebalancer avec des moyens supplémentaires, car le festival continue de se développer tout au long de l’année… Mais ce n’est pas non plus complètement satisfaisant, car on est sur un volume constant d’aides publiques depuis 15 ans. Or avec l’inflation, cela correspond en fait à une baisse. On essaie aussi de compenser par les recettes propres, en augmentant les prix des billets et en attirant des partenaires privés. On se demande alors comment accompagner la prise de risque artistique. Et au vu de la phase particulièrement difficile et violente à venir, mon parti pris est de réaffirmer notre identité et nos valeurs pour ressouder le public, car c’est dans cette singularité là que l’on trouvera notre issue.

Un autre défi qui semble animer le festival est l’écologie. Comment les Suds s’engage-t-il sur ce terrain-là ?

Depuis 2008 on essaie à la fois de réduire notre empreinte carbone et de remplir notre rôle de prescripteur en direction du public pour le sensibiliser. À cette date, nous mettions en place des toilettes sèches et des éco cup. Puis il y a deux ans, on s’est engagés avec le syndicat des musiques actuelles dans le dispositif Déclic (Décarbonons le live collectivement), qui propose une boîte à outils afin que les événements comme le nôtre puissent optimiser tout ce qui génère de l’empreinte carbone. On a donc fait partie des 18 organisateurs qui ont fourni leur bilan carbone afin qu’il soit analysé pour faire cette boîte à outils. Au niveau des déplacements, on a arrêté tout concert one shot, comme faire venir un groupe de Corée en avion. On est par ailleurs signataire de la charte drastic on plastic (portée par le collectif R2D2 depuis 2020) et grâce à une logistique énorme, on en est seulement à quelques dizaines de kilos de plastique à usage unique. Ces engagements sont même normatifs puisqu’avec l’installation de la fontaine à eau au théâtre antique par exemple, on a renoncé à vendre des bouteilles à eau, obligeant ainsi les événements suivants à faire de même.

Pour les 30 ans du festival qu’aviez-vous prévu de particulier cette année ? Quelles sont vos impressions de cette édition ?

On a eu une fréquentation record. On a commencé par un grand bal populaire le 14 juillet pour renouer avec cette tradition sur la place Voltaire que l’on a envahi. C’était très joyeux et on voyait cette envie qu’avaient les gens à se retrouver. On avait invité des compagnons de route comme le Trio Joubran. On a fait appel à des mémoires du monde comme Seu Jorge et Salif Keïta, et on a accompagné des créations.

Est-il devenu plus compliqué d’organiser leur venue au festival ? L’industrie de la musique rend-elle le contact moins facile ?

L’industrie musicale a un accès davantage direct au politique qui selon les échelons peut avoir du mal à distinguer ce qui relève du divertissement et de l’action culturelle (…) Faire sonner les musiques du monde a toujours été un acte politique, encore plus aujourd’hui, car cela donne à entendre la voix de l’autre. Et si cela peut sembler plus facile qu’il y a vingt ans, il y a plus d’obstacles administratifs avec les artistes dans des zones de guerre (…) La question des visas est d’ailleurs problématique avec la rupture diplomatique des relations avec le Sahel et l’externalisation hors de France de la délivrance des visas à des sociétés privées sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Aujourd’hui il est donc plus difficile de faire venir des artistes du Sahel, de Russie, de Palestine…

Le festival met en avant les pratiques amateures par des master class et des stages. Quels conseils donneriez-vous à des artistes qui voudraient se lancer ?

Aller à la rencontre des autres dans des stages et des festivals pour tenter. On a justement une scène dédiée aux expérimentations ; la sieste musicale, un format d’une heure où vous pouvez vous arrêter et reprendre. Cherchez des endroits où vous êtes accueillis dans de bonnes conditions, professionnelles, mais avec une bienveillance qui vous mettra à l’aise.

Propos recueillis par Clara VENNAT pour Dis-Leur !