Cancer du sein : Le dépistage en questions

Que défendent Cécile Bour et ses collègues de Cancer Rose ? Que, compte tenu des risques induits, le dépistage par mammographie du cancer du sein chez la femme ne réduit pas le risque de mortalité et qu'il n'est donc pas forcément utile, ni recommandé. Si quelqu'un de ma famille me le demande, je lui dirai qu'il y a trop de risques - surdiagnostics, fausses alertes, irradiations, petits cancers dans l'intervalle...- pour se faire dépister." Photo : DR.

L’infatigable présidente du collectif Cancer rose et radiologue, l’Alésienne Cécile Bour dénonce, étude norvégienne à l’appui, le dépistage actuel du cancer du sein par mammographie qui ne réduirait pas le taux de mortalité. Elle a même créé une vidéo pastichant celle, officielle, de l’Institut national du cancer. Ce dernier maintient que la méthode actuelle offre davantage de bénéfices que de risques. Une étude européenne, la toute première du genre, mettra peut-être tout le monde d’accord. Baptisée MyPeBs (My Personal Breast cancer Screening), elle va tenter d’ici six ans auprès de 85 000 volontaires de savoir s’il faut ou non personnaliser le dépistage.

Alors que se termine le fameux Octobre Rose, comme chaque année, qui fait résonner – et raisonner – partout en France les pas des joggueurs de nombreuses villes qui s’y essoufflent pour “la bonne cause”, une étude norvégienne vient davantage enfoncer le clou. Celle-ci, publiée dans la publication internationale IJC, International Journal of Cancer, prône une prévention prudente ou, en tout cas, adaptée. Cette étude vient de sortir mais “elle est très peu relayée”, relate Cécile Bour. L’infatigable radiologue promeut inlassablement une information précise à destination des femmes. Toute l’information.

Les messages officiels sont extrêmement incitatifs, le marketing et les slogans simplistes et les campagnes commerciales vantent un dépistage qui ne repose pas sur l’ensemble des données”

Cécile Bour, présidente de Cancer Rose.
Cécile Bour. Photo : DR.

Cécile Bour appartient à un collectif de médecins indépendants créé en 2015, sous le nom de Cancer rose. Son but : dénoncer, à l’aide de brochures et de vidéos, “les messages officiels extrêmement incitatifs, le marketing et les slogans simplistes” et les campagnes commerciales qui vantent un dépistage qui ne repose pas sur l’ensemble des données”. Celui d’un État qui lance des injonctions culpabilisatrices au lieu d’informer objectivement les femmes qui sont “demandeuses”. Comme le résumait la grande concertation nationale de 2016-2017.

Le dépistage par mammographie du cancer du sein chez la femme ne réduit pas le risque de mortalité ; il n’est donc pas forcément utile, ni recommandé.

Que disent Cécile Bour et ses collègues de Cancer Rose ? Que, compte tenu des risques induits, le dépistage par mammographie du cancer du sein chez la femme ne réduit pas le risque de mortalité et qu’il n’est donc pas forcément utile, ni recommandé. Si quelqu’un de ma famille me le demande, je lui dirai qu’il y a trop de risques – surdiagnostics, fausses alertes, irradiations, petits cancers dans l’intervalle…- pour se faire dépister.” Alors, faut-il attendre d’avoir un cancer et se faire soigner une fois celui-ci déclaré…?

Malgré le dépistage, le taux de cancers graves reste identique car il est noyé dans tout un tas de petits cancers…”

Ses positions contre la “dictature de l’émotion” peuvent paraître iconoclastes tant elles remettent en cause la parole officielle et celle de l’industrie médicale du cancer du sein en France et leurs certitudes assénées. “Le sein, analyse cette passionnée, trimbale tout un imaginaire. C’est le sein nourricier. La féminité. Le sein est un organe facilement accessible. On peut intervenir facilement. Les médecins peuvent dire, une fois la mammographie faite : “On a fait quelque chose !” Certes, ajoute-t-elle, “mais cela peut être néfaste. Si on ne fait rien, il y aura un vide. Mais garder le dépistage tel qu’il est fait ne changera rien. Ce serait une illusion. D’ailleurs, malgré le dépistage, le taux de cancers graves reste identique car il est noyé dans tout un tas de petits cancers… C’est politiquement incorrect d’affirmer cela mais c’est la réalité objective.”

Pas de remise en cause le dépistage systématique de femmes à risques

Cécile Bour est relectrice pour la revue Prescrire et préside donc ce collectif de médecins baptisé Cancer Rose, en écho à la campagne nationale annuelle du nom, elle, d’Octobre Rose. Originaire d’Alès (Gard), Cécile Bour est installée en Moselle. Pour cette lanceuse d’alerte ès qualité, comme nous l’expliquions dans un précédent article, il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause le dépistage systématique de femmes à risques de cancer du sein, première cause de décès par cancer chez les femmes en France (1).

La controverse bénéfices-risques n’est jamais abordée lors des manifestations d’Octobre Rose

Il y a un an, cette radiologue  s’était illustrée en dénonçant le dépistage mammographique de masse du cancer du sein des femmes saines de moins de 50 ans sans risques particuliers. Conformément aux recommandations des pouvoirs publics. Or, dans l’Hérault, une association faisait la promotion de ce dépistage avant 50 ans. Ce qui, aux dires mêmes de l’Institut national du cancer, peut être dangereux.

La controverse scientifique sur le bénéfices-risques du dépistage, évoquée par l’Institut national du cancer, n’est jamais abordée lors des nombreuses manifestations d’Octobre rose, qui est “une opération de communication sur le cancer du sein organisée chaque année au mois d’octobre, avec le soutien de la Ligue contre le cancer”, est-il expliqué dans Le Monde du 1er octobre, expliquant que “cette campagne, venue des Etats-Unis, a été lancée en France en 1994 par le groupe cosmétique Estée Lauder et le magazine Marie Claire pour promouvoir le dépistage. Elle bénéficie du soutien médiatique et financier de nombreuses marques commerciales, parfois taxées de “ripolinage” c’est-à-dire de s’associer à une cause pour améliorer leur image”.

Vidéo pastiche de la campagne officielle…

Cancer Rose a salué à sa manière le marketing très coloré aux images aux couleurs acidulées du dernier clip de l’Inca par une vidéo pastiche (2). “On a repris les mêmes codes pour dire très sérieusement que les bénéfices ne sont pas supérieurs aux risques. C’est un mensonge d’Etat. Nous demandons que soit véritablement mise en place une information loyale.

Première étude européenne avec 85 000 femmes volontaires sur six ans

C’est dans ce contexte que se lance, grâce au soutient de l’Europe, y compris financier (12 millions d’euros), la première étude européenne sur le cancer du sein, baptisée MyPeBs (My Personal Breast cancer Screening), et lancée en septembre. Dans un document, Suzette Delaloge, oncologue à l’hôpital Gustave-Roussy et coordinatrice du programme pose les questions essentielles auxquelles cette censée durer six ans espère répondre.

Faut-il changer le dépistage et l’adapter au risque de chaque femme ?”

“Toutes les femmes ont un cancer différent, sauf celles qui ont un très haut risque. Faut-il changer le dépistage et l’adapter au risque de chaque femme ? Est-ce plus efficace pour limiter le nombre de cancers détectées à un stade avancé ? Participeront à cette première, pas moins de 85 000 femmes volontaires de 40 ans à 70 ans (en France, Italie, Israël, Belgique, Royaume-Uni), randomisées dans un groupe de dépistage standard, tel qu’il est proposé dans chaque pays et un groupe de dépistage stratifié en fonction du risque de cancer du sein.

Détecter le plus tôt possible un cancer du sein chez les femmes les plus à risque, et de diminuer l’exposition des femmes qui sont le moins à risque.

“Ce dépistage personnalisé proposera de réaliser des mammographies à une fréquence adaptée à ce niveau individuel de risque : plus le risque sera élevé, plus la fréquence sera importante, explique-t-on. Ceci devrait permettre de détecter le plus tôt possible un cancer du sein chez les femmes les plus à risque, et de diminuer l’exposition des femmes qui sont le moins à risque, aux effets délétères des mammographies : faux-positifs, sur-diagnostics, sur-traitements, anxiété inutile liée à ces diagnostics et sur-traitements, (rares) cancers radio-induits.

Le collectif Cancer Rose, lui, affûte déjà ses critiques…

Olivier SCHLAMA

(2) Pour voir la vidéo de Cancer Rose, cliquez ICI

(1) 12 000 morts par an. Le cancer du sein est le plus répandu en France. Selon l’Institut du cancer (INCa), 59 000 nouveaux cas sont détectés chaque année. C’est aussi le plus meurtrier, avec près de 12 000 morts par an. Dans 80 % des cas, les cancers du sein sont détectés chez des patientes de plus de 50 ans, et on estime qu’une femme sur huit y sera confrontée au cours de sa vie. Heureusement, c’est aussi l’un des cancers qui se guérissent le mieux, avec 87 % de taux de survie à cinq ans, selon l’Institut de veille sanitaire (InVS).

Modernisation du dépistage. Le ministère de la santé a annoncé une “modernisation du dépistage” au début de 2018. L’objectif est d’individualiser le suivi en fonction des risques prédictibles, alors que 5 % seulement des cancers sont héréditaires. Consultation proposée pour les femmes de 25 ans. Et à partir de 50 ans, une seconde consultation de dépistage avec  un suivi personnalisé.

L’Institut national du cancer : “Les bénéfices du dépistage sont supérieurs aux risques”

Du côté de l’Institut national du cancer, l’Inca, on s’inscrit en faux. “Compte tenu  de l’état des connaissances à ce jour, y indique-t-on, les bénéfices d’un dépistage par mammographie des femmes de 50 ans à 74 ans offre davantage de bénéfices que de risques. L’institut national du cancer a pris cette position après avoir étudié toutes les études, y compris la dernière en date, norvégienne, et en a tiré cette conclusion”. Quelque 10 millions de femmes de 50 ans à 74 ans sont concernées par ce dépistage “recommandé” tous les deux ans.

Cancer radio-induit

Quant aux critiques, l’Inca les balaye. Le cancer radio-induit ? “Comme toute radiographie, la mammographie expose à des rayons X. Ceux-ci, s’ils sont répétés, peuvent conduire à l’apparition d’un cancer que l’on appelle cancer radio-induit. C’est l’une des raisons pour lesquelles le dépistage est recommandé uniquement tous les deux ans et à partir de 50 ans si la femme n’a pas de de symptôme ou de facteurs de risque. Par ailleurs, après 50 ans, la composition des seins se modifie et les doses de rayons nécessaires à la mammographie sont plus faibles.

Et d’ajouter : “Le risque de décès par cancer radio-induit est de l’ordre de 1 à 10 pour 100 000 femmes ayant réalisé une mammographie tous les deux ans pendant 10 ans. Le nombre de décès évités avec le dépistage est largement supérieur au risque de décès par cancer radio-induit.”

L’exposition aux rayonnements ionisants représenterait alors au total le quart de celle provoquée par un scanner abdominopelvien, acte très courant…

L’Institut national du cancer

Toujours pour ces spécialistes, “si une femme suivait strictement la recommandation de participation au programme de dépistage organisé de 50 à 74 ans, elle réaliserait ainsi 13 mammographies. Son exposition aux rayonnements ionisants représenterait alors au total le quart de celle provoquée par un scanner abdominopelvien, acte très courant. Les mammographies représentent en France moins de 2 % de l’exposition totale de la population aux rayonnements ionisants.

Par ailleurs, la dose moyenne d’exposition aux rayonnements ionisants pour une mammographie est six fois inférieure à la dose moyenne d’irradiation naturelle de la population générale en France par an et par personne (2,4 m Sievert pour les rayonnements naturels vs 0,4 m Sievert pour une mammographie de dépistage). Ce que contredit Cécile Bour : “Dans un pays comme la France ou la Belgique, dit-elle, on estime la dose totale annuelle d’exposition par personne à 3,5 mSv par personne en ce début du XXIe siècle. La mammographie est de 3 à 4 mSv. Soit la même chose ! Le problème n’est pas que cela fasse plus ou moins qu’un scanner. C’est que l’irradiation mammographique se rajoute aux irradiations naturelles et aux irradiations par scanner ou autres radios déjà reçues !”

Surdiagnostic et surtraitement : imposible de distinguer les cancers qui, majoritaires, vont évoluer des autres

Si le dépistage permet une détection précoce, explique encore l’institut, il peut aussi générer le diagnostic et le traitement de cancers peu évolutifs. Dans l’état actuel des connaissances scientifiques, il n’est pas possible de distinguer, lors du diagnostic, les cancers qui vont évoluer, et qui sont majoritaires, de ceux qui évolueront peu ou n’auront pas de conséquences pour la femme concernée (de 10 % à 20 % des cancers détectés).
Pour ces cancers, qui n’auraient pas été découverts en l’absence de mammographie, on parle de surdiagnostic. Celui-ci est par nature inhérent à tout acte de dépistage. Par ailleurs, comme il n’est pas encore possible de prédire l’évolution d’une lésion cancéreuse au moment où elle est diagnostiquée, il est souvent proposé, par précaution, de traiter l’ensemble des cancers détectés, on parle alors de surtraitement. Les chercheurs travaillent actuellement à mieux identifier les cancers susceptibles d’être peu évolutifs pour proposer des traitements adaptés.”