Trois ministres à Sète : “Le chômage n’est pas une fatalité !”

Pourquoi Sète ? C’est un territoire « où se mêlent les enjeux écologique, de transition industrielle et d’emploi ». C’est dans ce cadre-là que Muriel Pénicaud et les deux autres ministres ont visité Thau Maritima, la station d’épuration futuriste de cette agglomération. Photos : Olivier SCHLAMA

Un projet unique au monde d’ombrières photovoltaïques sur les tables conchylicoles de Thau pour sauver les huîtres, une station d’épuration écolo, un territoire-labo pour de grandes sociétés… La ministre du Travail et les secrétaires d’État à l’Écologie et au Budget auront peut-être retenu l’un de ces atouts pour le dupliquer ou le généraliser en France. Ensemble, elles ont lancé ce lundi à Sète le Tour de France des solutions voulu par Macron à la suite du mouvement des Gilets jaunes.

Aucun Gilet jaune revendiqué dans la salle. Mais c’est bien ce mouvement national, réclamant des solutions concrètes et qui ne veut pas le pouvoir mais qui veut qu’il soit mieux exercé, qui a donné sa couleur à ce “tour de France des solutions”. A six mois des municipales.

“Les Gilets jaunes ? On répond surtout à la demande des citoyens !” Boucles d’oreille, chemisier, écharpe, tous d’un bleu électrique, Muriel Pénicaud claque sa réponse à une question. Mug Wiesn Schmankerl aux lèvres entre deux interventions. Pas de chichi. Même si la salle de l’Agglopôle de Thau est remplie d’élus et d’acteurs économiques qui y sont encore peu ou prou habitués, Muriel Pénicaud emploie, elle, un style très direct. C’est bien à la suite du mouvement des Gilets jaunes et du Grand débat que les trois ministres ont donc lancé ce lundi 7 octobre ce fameux tour de France des solutions. Encore une expression appartenant à moult tics de com (“ici et maintenant”, “décloisonner les silos”, “contagion des solutions”, etc.) qu’ont répétés à l’envi les trois membres du gouvernement.

Dégager une vingtaine ou une trentaine de projets duplicables au niveau national

La mission de Muriel Pénicaud, ministre du Travail, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire, et Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances ? Dégager une vingtaine ou une trentaine de projets qui soient dupliquables au niveau national. Et ça commençait à Sète dans l’Hérault, “où le taux de chômage est quatre points plus élevé qu’au niveau national, 12,5 % contre 8,5 % (il était de 9,5 % il y a un an). Il y a encore des efforts à faire”, a souligné Muriel Pénicaud, un rien comminatoire. Il est de 10 % en Occitanie, au second semestre 2019, selon l’Insee.

Thau Maritima, l’un des projets majeurs de la région

Pourquoi Sète ? C’est un territoire “où se mêlent les enjeux écologique, de transition industrielle et d’emploi”. C’est dans ce cadre-là que Muriel Pénicaud et les deux autres ministres ont visité Thau Maritima, la station d’épuration futuriste de cette agglomération, capable comme seulement 1 % des stations françaises peuvent le faire de filtrer 95 % des micro-plastiques ; de couvrir 90 % de ses propres besoins en énergie. De déverser une eau assez pure pour aller oxygéner le fragile écosystème de l’étang de Thau lors de canicules. Cette station construite par Suez produit même du biogaz laissant imaginer la possibilité d’une filière de bus. Une usine qui a un coût : 120 millions d’euros dont 64 millions d’euros rien que de travaux. Mais qui crée des emplois : dix salariés et trois cents personnes s’affairent sur le chantier jusqu’en 2022, ce qui en fait l’un des projets majeurs dans la région.

On ressent dans ce territoire une fierté vis-à-vis de cette innovation qui mêle plusieurs problématiques : la création d’emplois, l’écologie et l’industrie de demain”

Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État à l’Écologie.
Marie-Ange Debon, DG de Suez-France, au centre, échange avec la ministre du Travail. Ph. DR.

“On ressent dans ce territoire une fierté vis-à-vis de cette innovation qui mêle plusieurs problématiques : la création d’emplois, l’écologie et l’industrie de demain”, signale Emmanuelle Wargon. “L’idée c’est de repérer les projets qui marchent, de voir comment on peut les généraliser et créer de nouveaux modèles qui partent du terrain. Qui partent de solutions concrètes”, renchérit Muriel Pénicaud. “Pour cela, au lieu que chaque secteur reste dans son coin, l’idée c’est de créer des synergies. C’est de l’attractivité pour les territoires… Nous sommes pour la contagion des solutions.”  Une méthode qui fait dire à la ministre de l’Emploi : “Il n’y a pas de fatalité au chômage !”

Développer des navettes maritimes entre toutes les communes bordants l’étang de Thau. Ce serait bien que ce projet ne soit pas bloqué 20 ans…”

François Commeinhes, président de l’Agglo de Sète.

Les trois ministres en ont profité pour signer un “contrat de transition écologique” avec le territoire de Thau. Après que François Commeinhes, président de l’Agglo de Thau, eut dressé le portrait de ce territoire “fragile qui doit combiner tourisme, conchyliculture, activité thermale et protection du milieu.” Balaruc-les-Bains étant avec 55 000 curistes, la première station de France. Un territoire présentant “des difficulté de mobilité” et de logements ; des bouchons puisque depuis une certaine désindustrialisation, les emplois se situent davantage à Sète et autour de son port. Le maire de Sète a redit son intention de “développer des navettes maritimes entre toutes les communes bordants l’étang de Thau. Ce serait bien que ce projet ne soit pas bloqué 20 ans…” Car, à Sète, ce sont déjà 100 000 passagers transportés en deux mois d’été mais le déploiement des navettes se heurte à la rigidité “du droit maritime et du droit fluvial”…

François Commeinhes, débout, et les ministres ce lundi à Sète. Photo : Olivier SCHLAMA

Président d’une structure rattachée à l’agglo, la syndicat mixte du bassin de Thau, Yves Michel a présenté quelques-uns de ses nombreux projets : la création d’un tiers-lieu ou celle d’un lab territorial “où se développe de l’innovation avec les entreprises et les organismes qui nous accompagnent…” Revenant aux Gilets jaunes qu’elle ne citera pas, Muriel Pénicaud s’est enquis de savoir “s’il avait une participation citoyenne et comment vous allez procéder ?” C’est le cas. Ce territoire est même devenu un laboratoire d’expérimentation ! Il a su cumuler de potentielles avanies en les transformant parfois en atouts. Et pourrait donc être retenu comme une “solution” par le ministère.

Au lieu d’un programme de 120 millions d’euros, nous avons lancé grâce à tout ce savoir un programme de seulement 20 millions d’euros.”

Luc Hardy, directeur du Syndicat mixte de Thau.

Le directeur du syndicat mixte, Luc Hardy, a précisé : “En dix ans, nous avons développé en interne une véritable ingénierie”, notamment celle consistant à modéliser le système hydraulique complexe du bassin de Thau fait de bassins versants, de lagunes, de pluies diluviennes, etc. Là où l’on aurait au doigt mouillé construit un coûteux bassin de rétention, on a pu le remplacer par exemple par de simples conduites placées aux bons endroits pour se prémunir des débordements. Luc Hardy a calculé : “Au lieu d’un programme de 120 millions d’euros, nous avons lancé grâce à tout ce savoir un programme de seulement 20 millions d’euros” C’est autant d’économisé sur les impôts… Aujourd’hui, cette avance technologique prend la forme d’une plate-forme d’innovation territoriale où industriels et collectivités ont commencé à venir expérimenter leurs projets à coups de data et d’intelligence artificielle. “Il s’agit de transition énergétique mais aussi de transition numérique”, a conclu Luc Hardy.

Projet à 250 millions d’euros d’ombrières photovoltaïques sur les tables conchylicoles

Le représentant de la société Akuo qui poser aces ombrières photovoltaïques. Photo : O.SC.

Il a aussi été question du fantastique projet d’ombrières photovoltaïques que Dis-Leur vous avait présenté en avant-première. L’étang de Thau est un laboratoire unique au monde. Le syndicat mixte du bassin de Thau coordonne ce projet à 250 millions d’euros, validé par l’État en septembre et  porté par la société Akuo (1) : des ombrières qui sont également panneaux photovoltaïques sur les 2 600 tables conchylicoles. Le but : produire de l’électricité verte pour 60 000 habitants d’ici cinq ans et permettre à ce bassin, qui produit 10 % de l’huître en France, de poursuivre son activité malgré le réchauffement climatique.

Avec la nouvelle loi, on peut créer un CFA pour un besoin de quelques années ! Les jeunes vont massivement vers ces CFA dès lors qu’ils tournent autour de l’environnement. C’est générationnel. C’est très massif”

Muriel Pénicaud, ministre du Travail.

Cette visite a aussi été l’occasion d’aborder l’apprentissage en “hausse importante, de 11 %, dans l’Hérault”, a souligné Muriel Pénicaud, en partance pour Montpellier où elle devait en inaugurer deux : sur les métiers du sport et de l’environnement. Elle a dit : Avec la nouvelle loi, on peut créer un CFA pour un besoin de quelques années ! Les jeunes vont massivement vers ces CFA dès lors qu’ils tournent autour de l’environnement. C’est générationnel. C’est très massif.”

La vie des TPE est très compliquée. On n’est pas du tout aidés. Même pas pour faire un contrat de travail…”

Michel Garcia, vice-président de Sète Agglopôle.

Il a aussi été question de préparation opérationnelle à l’emploi (en gros une formation payée notamment par Pôle emploi), comme l’a évoqué la directrice de Pôle emploi de Sète, Christine Lutigneaux (“C’est génial”, a commenté Agnès Pannier-Runacher). La directrice de cette association de services à la personne, Mme Périchon, a expliqué qu’elle recherche sans cesse. La ministre du Travail a complété en réaffirmant que faut aussi faire le pari d’embaucher des habitants des quartiers de la politique de la ville, ceux qui ont eu un accident de parcours professionnels et les handicapés, “en sachant que 80 % des handicaps ne sont pas visibles”. Elle a ajouté : “Il faut aller vers tous les publics. Nul n’est inemployable même s’il faut parfois des marche-pieds. L’économie circulaire (ressourceries, gestion des déchets, etc.), c’est un potentiel de 300 000 postes. Il faut arrêter avec la vision en silos. Il faut un grand angle. On va y arriver.”

Vice-président chargé des activités agricoles et viticoles, Michel Garcia a regretté de ne pas avoir eu la parole dans cette matinée. “Encore une fois, on ne parle jamais d’agriculture”, maugrée Michel Garcia, à la tête d’une entreprise de cinq salariés, les Vergers de Thau. “C’est le parent pauvre. C’est dommage : ce sont des emplois non délocalisables (3 % dans la région, 7 % dans le bassin de Thau entre ostréiculture, agriculture et viticulture). Qui n’attire pas les jeunes qui voudraient s’installer” parce que ça paie mal. “En plus de l’agricbashing, on souffre de la complexité administrative : la vie des TPE est très compliquée. On n’est pas du tout aidés. Même pas pour faire un contrat de travail. Non, je ne suis pas Gilet jaune parce que, moi, je veux faire bouger les choses de l’intérieur…”

Olivier SCHLAMA

(1) 👉 La vidéo de présentation du projet d’ombrières photovoltaïques que Dis-Leur vous avait présenté en avant-première 

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