Mobilité : Quand les collectivités réinventent le “stop” !

"Notre formule d'auto-stop sécurisé Rézo Pouce ne cesse de se développer, explique Alain Jean, son concepteur. Nous avons actuellement plus de 10 000 personnes inscrites, 1 200 communes - et on en espère 2 000 en 2019 ! - qui l'ont adopté et 5 000 arrêts dédiés. C'est la stop attitude ! Cela a du succès parce que nous levons les freins au développement". Photo : DR.

L’auto-stop a réussi à survivre. A survivre au covoiturage. Aux cars Macron et leur wifi embarquée. A survivre à la peur de l’autre. A survivre à la réelle insécurité sur les routes. Pour renaître sous une autre forme. Désormais, ce qui fait lever le pouce, ce sont des formules d’auto-stop encadrées par les pouvoirs publics, à l’image de Rézo Pouce, né à Moissac dans le Tarn-et-Garonne (Occitanie) et qui ne cesse de s’étendre. Ce sera au tour de Sète et du Bassin de Thau en septembre.

Pouce levé, sourire solaire, les auto-stoppeurs étaient souvent vus comme des hippies, caricature inspirée par des auteurs comme Jack Kerouac ou des films comme Into The Wild… Voire par deux énergumènes plus contemporains et fascinants de l’émission Nus et Culottés, qui nous réconcilient avec l’humanité en allant plus loin que le simple fait de partager une intimité le temps d’un trajet sur l’asphalte. Les grandes grèves de transports avaient commencé à ressusciter le “stop”. Les témoignages sont légion.

Lisez ceux publiés par la bible de l’autostoppeur, Hitchwiki, à l’instar de ce Montpelliérain qui a fait Montpellier-Strasbourg “en quatre voitures”, comme il le formule : “Après mettre levé de bonne heure, je me lance dans le casse tête qu’est : sortir d’une agglomération. En l’occurrence Montpellier, mais pas trop de difficulté finalement car en demandant l’entrée d’autoroute sur un parking je m’y suis fait emmené (très bonne technique d’ailleurs). De là, un “camtard” (camion) m’a monté sur l’autoroute en question, quelques minutes de pouce au péage et bam me voila dans une voiture pour Dijon accompagné d’un vieux couple de soixante-huitards…”  L’auto-stop est un phénomène générationnel. Celui-ci se termine provisoirement à la fin des années 1970, avec la généralisation de la voiture. La démocratisation du tourisme, du train et de l’avion, devenus depuis largement low cost.

Nous avons actuellement plus de 10 000 personnes inscrites, 1 200 communes – et on en espère 2 000 en 2019 ! – qui l’ont adopté et 5 000 arrêts dédiés. C’est la stop attitude ! Cela a du succès parce que nous levons les freins au développement du stop »

Aujourd’hui, ce qui fait lever le pouce, ce sont des formules d’auto-stop encadrées par les pouvoirs publics. Il y a VAP, en Belgique, Karos, We Hop, Feet me, Ecov ou encore Rezo Pouce. Comme le dit dans Le Temps la sociologue Stéphanie Vincent, “l’auto-stop est une façon de réintroduire de l’étrangeté dans un monde globalisé”. C’est peut-être pour cela que cette pratique ne fait l’objet d’aucune étude ? Seule une étude britannique de 2011 permet d’en savoir un peu plus. Selon cette enquête, au Royaume-Uni, 12 % des 25 ans-32 ans disent avoir déjà fait du stop. Malheureusement pour eux, toujours, entre 2009 et 2011, le nombre de conducteurs prêts à prendre les autostoppeurs est passé de 25 % à 9 %… La suspicion serait à l’origine de ce recul. C’est à cette crainte que répond Rézopouce né à Moissac dans le Tarn-et-Garonne (Occitanie).

“Notre formule d’auto-stop sécurisé ne cesse de se développer. Nous avons actuellement plus de 10 000 personnes inscrites, 1 200 communes – et on en espère 2 000 en 2019 ! – qui l’ont adopté et 5 000 arrêts dédiés. C’est la stop attitude ! Cela a du succès parce que nous levons les freins au développement” de cette belle idée que Rézo Pouce réinvente depuis 2010. (1) L’idée simple part d’un constat simple : à Moissac, la petite ville de 20 000 habitants de Haute-Garonne, rien pour se déplacer, hormis la chère voiture individuelle. “Dix communes nous ont suivi”, dont la communauté d’agglomération du Grand Montauban, précise Alain Jean, jadis élu EELV à Moissac, gérant de Rézo Pouce qui est une coopérative.

“La moitié des pratiquants sont pris en stop en moins de cinq minutes et 90 % en moins de dix minutes”

Alain Jean, gérant de Rézo Pouce

Ce sont les collectivités, qui y voient à la fois un vrai service d’appoint et une source d’économie (une ligne de bus basique coûte quelque 250 000 euros) qui lèvent la main pour ce nouveau service qui coûte, lui, entre 2 500 euros et 6 000 euros par an. “On  a travaillé pour que les collectivités adoptent ce mode de transport très souple et sécurisé comme complément à leurs réseaux de transports en commun ne dépassant pas 40 km. On est passés par des phases de tâtonnement, voire des moments où l’on ressent qu’il est difficile de changer le comportement” ; de faire passer le message qu’être seul dans sa voiture ce n’est pas productif et ce n’est pas l’avenir du transport ; de combattre l’auto-solisme”, comme le défendent les promoteurs de la voiture collective imaginée désormais comme si celle-ci était un petit mini-bus en puissance. Après “avoir essuyé les plâtres”, le système est pleinement opérationnel : “La moitié des pratiquants sont pris en auto-stop en moins de cinq minutes et 90 % en moins de dix minutes”, affirme Alain Jean, designer industriel à la retraite. C’est quasiment gratuit ; une très faible contribution pouvant être demandée au passager.

L’agglomération du Grand Pic saint Loup aux portes de Montpellier a déjà mis en place 130 arrêts “sur le pouce” auprès des 32 communes adhérentes, depuis son lancement le 8 février 2017. “Quand j’en suis parti, en octobre 2017, nous avions 300 inscrits, ce qui est pas mal. On avait testé le concept sur Teyran. Rézo Pouce ne peut fonctionner que s’il s’inscrit dans un vrai réseau de villes participantes”, décrypte Mathieu Villette qui y fut chargé de mission.

Rézo Pouce veut faire tâche d’huile auprès des collectivités et des grandes entreprises avec sa proposition baptisée de Rézo Pro, notamment pour les déplacements domicile-travail.”

“La plupart du temps, le trajet n’excède pas 15 kilomètres”, précise Alain Jean. Le succès est tel que Transdev, filiale de la SNCF, et la mutuelle Macif sont entrés au capital de Rézo Pouce qui dispose d’un budget de 350 000 euros par an et emploie “six salariés et bientôt huit”. “Nous sommes très implantés en Occitanie”, complète-t-il, d’ailleurs trois départements, l’Hérault et l’Aude veulent adhérer au dispositif.” Ainsi, Rézo Pouce veut faire tâche d’huile auprès des collectivités et des grandes entreprises avec sa proposition baptisée de Rézo Pro, notamment pour les déplacements domicile-travail.

“Que ce soit pour les particuliers ou les collectivités, nous ne nous fixons aucun objectif”, dit encore Alain Jean. “Il faut parfois du temps pour que les mentalités évoluent. Rézo Pouce a donc pensé à organiser “des baptêmes d’auto-stop” lors d’animations sur les territoires concernés et à former des animateurs pour porter la bonne parole…

Tout se joue sur le temps d’attente aux arrêts. Plus il est court, plus le dispositif de Stop organisé a du succès.” Et il y a un “marché” de niche pour de nombreux utilisateurs en puissance.”

Laurent Chapelon, professeur d’université

Professeur d’université à Montpellier, spécialisé dans la mobilité et les transports, Laurent Chapelon complète : “Rézo Pouce a pour but de rassurer le conducteur avec les inscriptions préalables d’utilisateurs. Tout se joue sur le temps d’attente aux arrêts. Plus il est court, plus le dispositif a du succès.” Et il y a un “marché” de niche pour de nombreux utilisateurs en puissance : “19 % des ménages ne sont pas motorisés et un ménage sur cinq (20 %) n’ont pas de voiture. Ce qui a vraiment changé, c’est le regard des collectivités sur l’auto-stop organisé ; moi par exemple j’ai beaucoup pratiqué le stop quand j’étais jeune et je l’interdis à mes enfants aujourd’hui par crainte d’insécurité, de l’accident, de l’enlèvement… ”

Il poursuit : “Il faut savoir que, selon la dernière enquête nationale transport et mobilité, 27 % des parents amènent leurs enfants à l’école en voiture et on sait que dès lors ils auront tendance à rester au volant de celle-ci ensuite toute la journée.” D’où le succès des vieilles solutions de déplacement à pied encadré par des adultes, remises au goût du jour comme Carapatte ou Pedibus. Dernier argument en faveur des micro-solutions visant à lutter contre le tout-voiture et l’autosolisme : “Pour un déplacement domicile-travail de 80 km aller-retour par jour, votre voiture vous en coûtera au minimum, tout compris, 8 000 euros par an…”

Olivier SCHLAMA

Solutions alternatives à la voiture, éco-mobilité, auto-partage,  : voici un LIEN qui fourmille d’idées.

(1) Rézo Pouce : Sur présentation d’une pièce d’identité, on obtient une carte Pouce personnalisée avec photo et numéro d’identifiant, ainsi qu’un kit mobilité. On peut donc se présenter spontanément à un arrêt dédié soit “pré-réserver” son trajet via une application smartphone.

  • Le passager se rend à “l’Arrêt sur le pouce” le plus proche, sur le principe des arrêts d’autobus, et présente sa fiche destination (fournie à l’inscription ou à créer en ligne) ;
  • Le conducteur colle l’autocollant RézoPouce sur le pare-brise de son véhicule. Quand il passe devant un “Arrêt sur le pouce”, il peut s’arrêter pour prendre un passager qui va dans la même direction que lui.
  • En amont, il existe aussi une e-solution via une application pour pré-programmer des trajets.

Contrairement au “stop” traditionnel, RézoPouce offre une garantie de sécurité pour les passagers comme pour les conducteurs puisqu’ils doivent se demander mutuellement leur carte d’identifiant, preuve de leur inscription au réseau. Sécurité supplémentaire, chacun peut “signaler” son partenaire en transmettant son identifiant par SMS à une plateforme de surveillance.