Tambourin, rames, joutes… : La course au second souffle

Peu à peu, les sports traditionnels sortent de leur léthargie imposée. Doucement. La crise sanitaire a laissé tout le monde groggy. Il va falloir du temps pour tirer les leçons de cette pandémie. Inventifs, responsables et passionnés redoublent d’énergie.

Avec l’été, l’espoir de retrouver ces rendez-vous festifs qui célèbrent nos cultures et nos traditions. Il n’est pas certain que nous puissions participer dans les mêmes conditions à l’abrivado (lâcher de taureaux escorté par des cavaliers “les gardians”), nous installer dans les arènes pour une course camarguaise (deux ou trois hommes, des raseteurs qui bravent un taureau afin de lui enlever, à l’aide d’un crochet, les attributs qu’il porte sur les cornes) nous asseoir au bord des quais pour assister à un tournoi de Joutes Languedociennes (deux équipes jouteurs armés d’une lance et d’un bouclier appelé pavois s’affrontent – un contre un sur des barques emmenées par des rameurs – afin de se faire chuter dans l’eau) ; ni même encore assister aux rencontres du jeu de balle au tambourin, descendant direct des jeux de paume. Ou perpétuer la rame traditionnelle héritée du monde de la pêche. sport très physique pratiqué avec le même matériel que par le passé et des rames en bois.

Ces disciplines traditionnelles perpétuent leurs us et coutumes en organisant des manifestations hautes en couleurs. Covid-19 oblige, de grands rassemblements ont dû être annulés et l’ensemble des associations et fédérations ont dû faire face aux contraintes sanitaires qui ont profondément perturbé le calendrier des compétitions et l’organisation de cette saison bien particulière.

Joutes : 59 tournois adultes et 53 tournois enfants en temps normal

Photo : Gérard Frances

La saison des courses camarguaises aurait dû commencer le 8 mars. En temps normal, elles comptent 900 courses officielles et plus d’un millier de courses d’entrainement. Le secteur dispose de 17 écoles réunissant 300 élèves. Créées il y a plus de trois siècles, les joutes languedociennes, elles, ce sont 59 tournois adultes et 53 tournois enfants (de 3 ans à 15 ans), 17 sociétés de joutes (environ 1 500 licenciés) auxquelles il faut ajouter 10 écoles de rames. Quant au tambourin ce sont plus de 2 200 licenciés dans toute la France. C’est dire la richesse de nos sports traditionnels.

De gros efforts dans toutes les disciplines

De l’avis de Nicolas Triol, président de la Fédération française des courses camarguaises, Patrick Grégogna, secrétaire général de la Ligue des joutes Languedociennes et rame traditionnelle, et Yvan Buonomo, président de la Fédération française de jeu de balle au tambourin, la gestion de la crise, jusqu’à présent, s’est avérée “très difficile et contraignante”.

Ils soulignent les efforts fournis par tous les acteurs de ces disciplines. De nombreuses réunions avec le ministère des Sports ont permis à chacun de travailler afin de s’adapter aux différentes directives et aux gestes barrières pour pouvoir assurer au plus tôt les entraînements. La crise sanitaire les a laissés “groggy”, même s’il a fallu faire preuve de réactivité. Mais, à leur avis, “il va falloir du temps pour en tirer toutes les leçons”.

Pas avant le 11 juillet

Patrick gregogna, secrétaire général de la Ligue des joutes languedociennes et rame traditionnelle confie : “Les tournois ne se feront pas avant le 11 juillet. Un protocole doit être signé entre le ministère des sports et la ligue des joutes languedociennes. Plus rien ne s’oppose à mettre en place des tournois officiels que ce soit au niveau du ministère ou de la ligue. Les présidents vont se réunir pour déterminer le calendrier.”

Et d’ajouter : Ils sont  invités à réfléchir sur l’organisation de leurs propres tournois. Sachant que le financement s’articule essentiellement autour des annonceurs qui est un frein important pour l’organisation des tournois officiels. La décision collégiale permettra de voir ou non émerger une saison amputée, mais non blanche. À cette heure, seule certitude c’est le maintient de La coupe de France fin septembre”.

Les entrainements de rame traditionnelle, eux, n’ont pas pu reprendre malgré les différentes propositions et les bonnes intentions de chacun. Pour Yannick Baëza, président de La Lance sportive mézoise, comprenant la société de joutes, l’école de joutes et la rame traditionnelle, « mettre une visière pour ramer était impossible, premièrement parce qu’au premier coup de rame on n’y voyait plus grand-chose et surtout sous l’effort on avait du mal à reprendre notre souffle. Ensuite on nous a proposé de placer les rameurs en quinconce : ce n’était pas envisageable voire impossible. »

La commune de Balaruc, avec Poussan et Mèze, devait accueillir fin août la Coupe du monde de tambourin, recevoir plus de dix nations, avec une cinquantaine de membres pour chaque équipe, sans compter les supporters…”

Freddy Tarin, président du Tambourin club mézois.

Depuis le début du confinement toutes les compétitions sont annulées mais si la date du 22 juin promettait un assouplissement des règles sanitaires, et des mesures moins contraignantes, les courses, tournois et rencontres semblent cependant pouvoir s’organiser au regard des annonces faites par le président de la République ce dimanche 14 juin même si le ton est à la prudence : “Les rassemblements devront être limités au maximum et strictement encadrés.”

La décision serait donc placée sous la responsabilité des élus locaux et des instances de ces activités. Le 11 juillet annoncera la reprise de tout-ou-partie de ces activités. La saison 2020 est d’ores et déjà amputée de plus de la moitié de ses épreuves sportives et les championnats fortement diminués, voire annulés pour ce qui concerne le championnat de ligue des joutes languedociennes.

Toutes les compétitions internationales sont annulées. Pire, “la ville de Balaruc, avec Poussan et Mèze, devait accueillir fin août la Coupe du monde de tambourin, recevoir plus de dix nations, avec une cinquantaine de membres pour chaque équipe, sans compter les supporters…”, se désole Freddy Tarin, président du Tambourin club mézois.

Le manque à gagner est conséquent. Ces annulations mettent à mal tout un pan de l’économie locale. Si les joutes dépendent essentiellement du mécénat, des aides financières des commerçants et du soutien des collectivités locales, les courses camarguaises, elles, ont besoin de leur public pour survivre.

Un appel aux maires pour relancer les fêtes votives

Thomas Pagnon, président de l’Union des Jeunes de Provence et du Languedoc pour la défense de la tradition s’alarme de concert : “À ce jour dans les manades, la vente de la viande ne représente que 10 % de leurs recettes. L’année dernière l’assurance des manadiers a augmenté, elle est cinq à sept fois plus chère.”

Certes, plafonnée à 5000 € pour la responsabilité civile. Les manades enregistrent  une perte sèche de plus de trois millions d’euros. “Beaucoup de commerçants disent faire 60 %  de leur chiffre d’affaires sur les dix jours que durent les fêtes.” Très présente sur les réseaux sociaux, l’association lance un appel aux maires des communes à agir pour accueillir au plus vite les fêtes votives. “La plupart des maires sont évidemment très motivés, mais ils attendent pour se déterminer de voir où on en sera au vu des conditions sanitaires à partir du 11 juillet.” 

En attendant, « deux des cagnottes d’aficionados mises en lignes pour soutenir les éleveurs de taureaux et les cavaleries ont déjà récolté 50 000 euros (1). Beaucoup de Cagnottes en ligne ont été créées surtout par des aficionados, des passionnés comme nous, Ils ont été très actifs pendant la crise. Multipliant les appels aux dons, soulignant les difficultés énormes rencontrées par les manades et nous relayons constamment les informations que nous possédons pour une éventuelle reprise”.

Une journée pour la défense des traditions

Si la solidarité joue à plein, c’est que la transmission et le partage sont les piliers communs de toutes leurs actions. Conscients des conséquences du covid-19 sur les fêtes et manifestations sportives traditionnelles, l’implication de tous ces bénévoles reste intacte.

L’Union des jeunes de Provence et du Languedoc continuera d’intervenir dans les établissements scolaires pour sensibiliser et préserver le patrimoine culturel des fêtes taurines, mais aussi d’organiser tous les ans une “journée pour la défense des traditions : L’Authentique” dans un lieu emblématique camarguais, la Churascaïa “pour but de faire revenir les plus jeunes sur les bancs des arènes, il faut dire que les cheveux se font de plus en plus blancs”.

Ateliers créatifs, projections de documentaires…

Sébastien Fabre, responsable des écoles de joutes à la ligue languedocienne, ne souhaite pas, lui, voir ses petits jouteurs et ses adolescents démunis face à cette situation : « Ce sont les plus fervents admirateurs de leurs ainés et ils trouvent dans les joutes une activité non seulement ludique mais une lecture de leur tradition, une reconnaissance ainsi qu’un cercle amical voire familial. Si les tournois de l’été devaient se voir annuler, on pourrait envisager de proposer des ateliers créatifs, des projections de documentaires et de films amateurs, des rencontres avec des personnalités des joutes, une sensibilisation au patrimoine musical ainsi que des discussions et des débats autour de la pratique ».

Quant à Yannick Baeza et Freddy Tarin, ils proposent souvent aux jeunes joueurs des initiations aux joutes et à la rame traditionnelle.

Si la crise a bouleversé beaucoup d’habitudes, elle a aussi révélé la volonté de continuer à transmettre ce patrimoine sportif et culturel. Pour tous les acteurs de ces instances, le discours varie très peu. Ces traditions s’inscrivent dans un lien social très fort et intergénérationnel privilégiant la transmission et l’échange. Le côté chaleureux et festif renforce l’attachement profond à leur région et son histoire. Avec cette passion vissée au corps et au cœur, acteurs et aficionados ne sont pas prêts de se laisser abattre par ce satané virus. Car force est à la foi : la fé di biou (la passion des taureaux), levons lances, pavois rames et tambourin et… a l’an que ven (à l’an prochain).

Marjory FABRE

Photographe amateur, il crée une cagnotte

Après une blessure, Fabrice Landas, 21 ans, anime une page Facebook dédiée à l’univers du taureau.

Fabrice Landas 21 ans, photographe taurin amateur : “Je suis aficionado. J’ai fait l’école de raseteur à Sommières le 16 octobre 2016 je me suis gravement blessé a la jambe lors d’un entraînement. Après une longue convalescence, j’ai dû me résoudre à ne plus pratiquer ce sport.” Sa passion, il la vit autrement : par la photo de scènes taurines qu’il publie sur les réseaux sociaux, notamment sur une page dédiée Facebook.
Il explique que “lors de cette crise, un collègue et moi même avons eux l’idée de créer une cagnotte pour offrir aux manades notre soutien, comme 95 % de leur activité s’est arrêtée à cause du covid-19. Nous en avons alors parlé à plusieurs photographes et vidéastes qui nous ont soutenu, la somme récoltée sera reversée à la fédération des manadiers. “
“Nous avons aussi quelques autres idées : si l’on devait subir une autre crise de cette ampleur, nous pourrions, par exemple, organiser des journées au pays en demandant à des manades de venir, et demander une participation de 3 à 4 € par personne en reversant aux manadiers l’intégralité des recettes. Certains clubs Taurins et comités des fêtes ont joué le jeu en versant aux manades la somme qu’elles devaient engager pour leur participation à leurs fêtes même s’il y a eu annulation.”

M.F.

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