La Cagette, supermarché autogéré : La réussite d’un modèle engagé dans le bien manger

Avec ses 3 000 coopérateurs, la Cagette est le N° 2 en France des supermarchés coopératifs, sans but lucratif. Lauréat des budgets participatifs de la Région Occitanie, il se propose d’animer des ateliers cuisine. Le bien manger après le bien vendre. Un contre-exemple à la grande distribution.

Manger. Manger si possible sainement. Manger au juste prix. Pour tous. Favoriser les filières courtes, le plus possible, les producteurs indépendants, mais proposer aussi des premiers prix. Le tout, pour redonner tout son sens à l’acte d’achat dans l’alimentation… A la Cagette, à Montpellier, on est des pionniers, mais en rien des doux rêveurs. On est des idéalistes pragmatiques. Pas question d’être des ayatollah du bio, par exemple. Pas moins de 3 000 coopérateurs ont ainsi décidé, en trois ans, de devenir acteurs de leur propre consommation. De leur propre distribution, sans but lucratif, dont tous les bénéfices sont réinvestis. “Notre objectif, dit-on, c’est de proposer une alternative à la grande distribution accessible à tous et lutter contre les inégalités alimentaires.”

Pour y faire ses courses, il faut acheter au moins une part sociale de 10 € et donner trois heures chaque mois

Ce lieu, c’est un supermarché coopératif et participatif. Son nom “commercial” est à l’image de la simplicité et d’absence de hiérarchie pyramidale corsetée et synonyme d’autorité soliste : La Cagette. Un vent de fraicheur dans le monde de la distribution alimentaire. Son nom : la Cagette, une coopérative, probablement numéro 2 en France de ce type. Pour y faire ses courses, il faut en être : acheter au moins une part sociale de 10 € et donner trois heures de son temps chaque mois, ce qui permet de réduire le prix de vente des denrées. Et ça marche.

Coopérateurs, coopé-acteurs

Les coopérateurs sont des coopé-acteurs. Selon une étude Obsoco de 2019, 1 % des Français fréquentent les épiceries et supermarchés coopératifs, 14 % disent connaître le concept. Et 15 % à 30 % moins cher qu’un panier classique : l’économie moyenne revendiquée par les supermarchés collaboratifs. Entre 50 et 100 projets sont en cours au sens large dans l’Hexagone, visibles sur cette carte coopérative.

Rejet du modèle classique, qualité alimentaire pour tous

Deux raisons principales à l’émergence de ces supermarchés alternatifs : le rejet du modèle classique et la qualité alimentaire pour tous. Le premier à avoir ouvert ses portes en France porte aussi le joli nom de la Louve, dans le XVIIIe, à Paris. Inspiré du Park Slope Food Coop à Brooklyn dans les années 1970. Ainsi plusieurs dizaines de ces supermarchés autogérés existent dont un à Sète, Toulouse, Marseille, Lille, Nantes, Bordeaux.

Et régulièrement l’idée d’un nouveau supermarché coopératif essaime ailleurs. “Un second supermarché coopératif est en cours à Clapiers, au nord de Montpellier, la Crèmerie, avec qui nos sommes en relation comme nous l’avons été avec d’autres”, confie Charles Godron de la Cagette. Façon grand frère du supermarché alternatif. Il ajoute : “Il y a plusieurs dizaines de projets de supermarchés alternatifs aux grandes surfaces traditionnelles en France.”

Lauréat des budgets participatifs de la Région

La Cagette, ou plus précisément l’association les Amis de la Cagette, vient justement d’être désigné lauréat des budgets participatifs de l’alimentation de la Région : les internautes l’ont placée dans le peloton de tête des projets à aider financièrement. La Région a donc octroyé au supermarché coopératif 15 000 €. “Nous voulons créer des ateliers cuisine”, précise Charles Godron de la Cagette qui propose pas mal de produits frais et de saison. Une suite logique, donc.

“Permettre à un plus grand nombre de connaître d’autres alternatives pour une meilleure alimentation…”

La Cagette explique : “Depuis le début de la mise en place du supermarché, des actions sont menées sous la forme d’ateliers de cuisine : les petit-déjeuners sains, les produits lacto-fermentés, réalisation de jus de fruits et légumes, la cuisine crue ou la découverte de recettes avec des légumes de saison… Nous aimerions aujourd’hui développer plus amplement ces pratiques en ouvrant nos savoir-faire et connaissances à des personnes qui ne font pas partie de la coopérative, notre but étant toujours d’être plus inclusifs et de permettre à un plus grand nombre de connaître d’autres alternatives pour une meilleure alimentation.”

Avec les fournisseurs indépendants, notre règle c’est de ne pas négocier les prix. Ce sont eux qui fixent les bons prix…”

Autre particularité de la Cagette, qui emploie sept salariés et qui a réalisé 5 M€ de chiffre d’affaires depuis son ouverture en septembre 2017, “Cela change beaucoup de choses quand on est une coopérative sans but lucratif, détaille Charles Godron. Nous ne nous fournissons pas auprès d’une centrale d’achats comme les autres supermarchés. Nous avons 130 fournisseurs, dont une trentaine de grossistes et une centaine d’indépendants. Pour les grossistes, c’est la même règle partout : plus on achète, plus le prix est bas. En revanche, avec les indépendants, notre règle c’est de ne pas négocier les prix. Nous fonctionnons sur une relation de confiance et sur la durée. Ce sont eux qui fixent les bons prix…”

Prises de décision : règle du consentement

Il y a aussi une transparence au niveau de la gouvernance : “Nous ne soumettons pas nos projets et nos idées au vote. C’est fastidieux, y compris à main levée et il y a toujours des déçus ; il y a ceux qui ont gagné et les autres, forcément déçus. Nous lui préférons la notion de consentement. Ceux qui veulent s’investir dans des ateliers, travailler ensemble sur un sujet le font et prennent la décision qu’ils pensent être la meilleure au moment où ils la prennent. On s’affranchit ainsi des écueils individuels” et des prises de pouvoir. “Après, rien n’est gravé définitivement dans le marbre. Si on veut placer une enseigne rouge, à moins d’une opposition légitime, on peut le faire. Ce système s’appelle l’holacratie. En revanche, quelqu’un qui ne participe pas à une commission, un atelier s’engage à ne pas critiquer l’action de ceux qui y participent.”

“Les gens ont besoin de renouer le lien social. Cela montre que l’on peut faire les choses ensemble”

Ces supermarchés autogérés sont une réussite. Pourquoi ? “Les gens ont besoin de renouer le lien social. Cela montre que l’on peut faire les choses ensemble.” Et aussi parce que le fonctionnement est agile et pragmatique. “Nous ne sommes pas en 100 % bio dans le magasin. Nous ne sommes pas là pour être des prescripteurs de bio, même s’il y en a beaucoup parce que la plupart d’entre nous aiment cela. Mais on propose aussi des premiers prix en épicerie pour les étudiants, par exemple. C’est d’ailleurs comme cela que, personnellement, j’ai eu le déclic pour participer à cette aventure en voyant deux étudiants faire leurs courses à Montpellier, en n’achetant que des produits de mal-bouffe. Ce n’est pas normal. C’est choquant.”

“On peut nous qualifier de supermarchés pour bobos. Nous sommes un supermarché de quartier et nous avons beaucoup de bac + 8 au RSA…”

Il y a aussi une transparence totale sur la marge réalisée, qui est réinvestie dans la coopérative. C’est aussi un lieu d’échange, de partage et de débat sur l’alimentation. “Elle est de 23 % pour tous. Quand on achète 100 €, on vend 123 €.” Cela exclut toute magouille sur les marges arrières, entre autres. Quant aux critiques sur ce modèle émergent… “On peut nous qualifier de supermarchés pour bobos. Nous sommes un supermarché de quartier et nous avons beaucoup de bac + 8 au RSA… Et c’est pour cela que nous travaillons à faire essaimer ce modèle et aide à l’installation de nouveaux supermarchés coopératifs.”

Des sociologues ont, par ailleurs, publié une étude sur le portrait-robot du “cageot” moyen. Qu’en ressort-il ? Une sur-représentation des femmes (66 %) ; des 26-35 ans et des 56-65 ans. 85 % se déclarent issues des classes moyennes et supérieures et par ailleurs 80 % ont au moins un niveau supérieur ou égal à bac + 3. Le salaire médian des sociétaires de la Cagette est de 1 800 € mensuels (à peu près celui des Français en moyenne : 1 789 €).

Olivier SCHLAMA