Société : Le Facebook des jardiniers sort de terre

Sébastien Girault vient de créer Oasis citadines à Montpellier. Un réseau social qui met en relation les jardiniers amateurs. Photo : DR.

Le Montpelliérain Sébastien Girault a inventé Oasis Citadine, qui pourrait devenir, cet automne, après une phase de tests, le premier réseau social des jardiniers amateurs. Ce serait une première en France. “Si ça marche, l’idée est de se développer en Occitanie et, pourquoi pas, au niveau national”, confie le jeune créateur de 25 ans, qui a abandonné un emploi à la prestigieuse BPI (Banque publique d’investissement) pour se lancer dans cette aventure accompagnant l’engouement pour les jardins partagés. “Les jardins partagés, c’est un outil de santé mentale !” prophétise Marion Tharrey, thésarde à l’Inra.

Oasis Citadine. Le nom fleure bon la jeune pousse qui compte fleurir entre ordinateurs et béton. Son créateur s’appelle Sébastien Girault. Agé d’à peine 25 ans, ce jeune homme, originaire de Mayenne, habitant à Montpellier depuis deux ans, s’apprête à lancer un Facebook dédié aux jardiniers, en y intégrant une boutique en ligne. C’est une première en France ! Il y a un an, il a vite décliné la reconduction de son contrat à la prestigieuse Banque publique d’investissement (BPI) qu’il n’avait pas eu de mal à intégrer après une non moins prestigieuse école de commerce, à Reims. Il fait partie de cette génération en quête de sens, un de ces premiers de la classe qui, révolté, n’hésite pas à changer brutalement de voie.

Sébastien Girault, en pleine séance de formation sur le terrain. Photo : DR.

Trois cents jardiniers testent le réseau social

Actuellement abrité dans un incubateur spécialisé, Alterincub, à Montpellier, Oasis Citadine se développe autour d’un concept unique. Le jeune créateur explique : “Nous souhaitons, à travers ce nouveau réseau social, d’accès gratuit, mettre les jardiniers en relation ; nous en avons d’ailleurs près de trois cents qui s’y sont pré-inscrits. Ils pourront se partager tous les trucs et astuces ; se donner en clair un coup de main. C’est un réseau d’échanges sur les plants et les semences et les techniques agro-écologiques. Certains les testeront sur une parcelle de jardin bio que nous avons sur Montpellier. Oasis Citadine, qui s’adresse en priorité aux amateurs passionnés pourra également concerner des professionnels, mais plus occasionnellement.”

Le jeune créateur poursuit : “J’ai eu le déclic quand j’étais à la BPI. C’était un métier plaisant – pas de problème là dessus – ; on avait même des projets importants mais il me manquait l’aspect social ; le développement durable. A l’heure du réchauffement climatique, c’est à nous, les nouvelles générations, d’agir…” Sébastien Girault a eu la preuve de cette vocation quand il a mis les mains dans la terre : “J’en ai eu la confirmation lors d’une expérience de volontariat d’un mois dans une exploitation où l’on pratiquait la permaculture, l’agroécologie, etc., dit-il C’était en Espagne, dans le nord de l’Andalousie. On y reproduisait, sous différentes formes, un écosystème. C’était super.” Sébastien Girault précise : “Un écosystème, c’est comme une forêt durable, dont le cycle de vie, les ressources,  les déchets, etc. s’inscrivent dans un cercle vertueux.”

Faire pousser des plantes même quand on est cerné de béton

Le fondateur de Oasis Citadine a déjà réussi à récolter 9000 euros lors d’une opération de crownfunding. “Nous allons maintenant entrer dans une phase hyper-importante de tests du réseau social proprement dit jusqu’en septembre”, confie le jeune homme. En prévision, la jeune pousse s’est entourée de spécialistes du jardinage et des plantations. Elle dispose d’un terrain où chaque néo-jardinier pourra recevoir des formations ad hoc comme sur les cultures verticales par exemple, sur la conception de jardins partagés, la création d’un composteur, etc. Ils pourront apprendre à faire pousser du vert dans le gris, des plantes même quand on est cernés de béton : comment créer des jardinières dans un environnement citadin hostile par exemple. Ce sont ces formations et animations comme des ateliers pédagogiques pour enfants, team building, mettant en jeu différentes techniques servant à resserrer les liens entre membres d’une même équipe dans l’entreprise. Ceux-ci seraient payants et devraient assurer à terme la viabilité du réseau social. Peut-être sera-t-il ajouté un e-magasin.

“Nous avons noué un partenariat avec la Ruche qui dit Oui, un réseau qui vend des fruits, légumes et autres produits de producteurs locaux, en circuits courts. A l’automne, nous intègreront leur plate-forme. Et, dans un second temps, nous aurons notre propre site marchand”, confie-t-il encore. Il en est convaincu : “Ce n’est pas un truc de bobo. Les gens veulent se réapproprier le lien avec la nature et la terre, surtout en milieu urbain. Actuellement, il y a treize millions de jardiniers amateurs en France, de tous âges, de toutes les catégories socio-professionnelles, tous les horizons. C’est une activité multiculturelle oubliée.”

Marion Tharrey de l’Inra : “Un outil de santé publique !”

Marion Tharrey ne dit pas autre chose. Scientifique à l’Inra-Supagro de Montpellier, la jeune femme prépare une thèse sur les jardins partagés. Elle dit : “Ce genre de jardins est de plus en plus en vogue. Au niveau national, il y a un vrai engouement. Je suis convaincue que cela procure beaucoup de plaisir aux gens. C’est même, pour moi, formule-t-elle, un outil de santé publique ! Le jardin partagé reconnecte les habitants entre eux, mais aussi avec la terre et avec l’agriculture. Ils mangent mieux et de façon plus durable avec des aliments de proximité lorsqu’ils s’inscrivent dans ce mouvement-là. Il n’existe pas encore de preuve scientifique de tout cela. C’est le but de ma thèse.” Marion Tharrey prend l’exemple de Montpellier où il existe une “vingtaine de jardins partagés”.

Exemple, à Jacou, à quinze minutes de la place de la Comédie, où l’on a ainsi tracé 79 parcelles de 55 m2 à 120 m2. Pour y créer des jardins familiaux, tous en culture bio, sans pesticides ni engrais. Pour 70 euros par an, arrosage et cotisation compris, on est son propre maraicher. Cabanons pour entreposer les outils, échanges de bons tuyaux et légumes récoltés… Depuis 2009, on cultive là des légumes mais aussi le vivre ensemble. De quoi assurer une idée simple et populaire. “L’intérêt, c’est de faire pousser des légumes sains et de créer des occasions de se rencontrer”, explique François Diligent, le président de l’association qui gère ces jardins. “C’est très fédérateur à l’heure où tout le monde vit reclus chez soi.” A une motte de terre de là, la même idée prend la forme d’un verger partagé : 300 arbres d’une grande diversité sur 9200 m2 et de fortifier le lien social. “L’idée, c’est que des jeunes couples en appartement puissent bénéficier d’un bout de terre. Même dans une petite ville avec peiu de foncier disponible, c’est possible“, analyse Bernard Thibault, ex-premier adjoint de la commune, à l’origine du projet.

“La Métropole de Montpellier est très engagée dans une politique de développement durable”, reprend Marion Tharrey, reconnaissant l’existence d’une problématique : la difficulté de garder des terrains vierges face à la pression immobilière. “C’est un vrai problème, convient la scientifique, expliquant en substance qu’il faut arriver à convaincre urbanistes et politiques que c’est un “outil indispensable”. Les grandes villes ont ou vont adopté ce concept. “Les jardins partagés sont nés aux USA et il y en a de plus en plus Paris sur des espaces, des parcelles collectives. Même le microfleurissement en ville sert à se réapproprier l’espace social urbain.” Le jardin, c’est un peu le troquet du XXIe siècle.

Olivier SCHLAMA