Sète : La tradition chansonnière se recueille dans un livre et vise l’Unesco !

Cent vingt chansons qui irriguent l’esprit sétois composeront un  livre unique : Sète en Chansons. C’est la première pierre en vue d’une demande de classement au patrimoine mondial. Juste à temps avant Escale à Sète, du 12 au 18 avril 2022, inégalée fêtes des traditions maritimes avec ses magnifiques gréements.

Sète en chansons, une première ! Qui l’eût cru ? Qui eût cru que ces Saint-Louis à l’ancienne, démarrant et finissant dans un estaminet chauffé à blanc ; quand le grand-père se lançait dans sa chanson favorite que tout le monde attendait ; quand ce jeune hautboïste stridulait ou que ce jouteur plein de fougue chantait à tue-tête, joues rougies, comme s’il était aux portes de la postérité ? Un répertoire, un savoir-faire, un savoir-être, un corpus culturel qui pourrait même être reconnu un jour par l’Unesco ! La livraison de ce livre-patrimoine était prévue pour ce Noël mais ce sera en janvier, juste à temps pour se chauffer la voix avant Escale à Sète et ses traditions maritimes qui claquent au vent joli, en avril prochain.

Transmettre la riche tradition orale de Sète

Jean-Michel Lhubac. Ph. O.SC.

Comme Dis-Leur vous l’avait dévoilé ICI, répertorier et transmettre cette riche tradition orale de chansons sétoises : c’est l’objectif de Jean-Michel Lhubac, lui-même musicien traditionnel, qui réunit 120 de ces chansons dans un recueil unique, organisera concerts et interventions dans les écoles. Avec, en vue, une demande de classement à l’Unesco.

On pourra accéder, via un QR code, aux chansons

“Ces chansons sont issues d’une quarantaine d’informateurs. Le livre sera équipé de QR code qui permettront aux lecteurs, munis de leur smartphone de lancer des vidéos que nous avons tournées ou d’écouter certaines chansons parfois dans deux ou trois versions différentes”, précise Jean-michel Lhubac, président de l’association melgorienne Eurotambfi (pour tambour et fifre). On y retrouve avec délice l’évocation des revues locales de 1930 à 1970, sur l’air de musettes et chansons ; la nouvelle “bordée” de chansonniers sétois des Mourres de Porc, de 1990 à 2021. Qui ne connaît pas l’ironique Montpellier la Surdouée à qui Sète fait la nique ? De nombreux textes sont jubilatoires.

C’est quand même dommage que toutes ces chansons ne soient pas davantage valorisées”

Jean-Michel Lhubac
H. Perez Chibille. DR

Pourquoi un tel bouquin ? On en retient une vraie humanité. L’inventeur, Jean-Michel Lhubac dit : “J’ai joué cinq ans dans le groupe sétois les Mourres de Porc. On chantait que des chansons sétoises et je me suis aperçu de toute cette richesse chansonnière dès 2005. Je me suis dit : c’est quand même dommage que toutes ces chansons, y compris au-delà des Mourres, comme les chansons des jeunes jouteurs, ne soient pas davantage valorisées.” Il ajoute : “Ce qui fait patrimoine, ce n’est pas forcément ce qui fait ancien ou le plus sérieux ou encore le plus construit. C’est ce qui est pratiqué au sens large. Toutes ces chansons n’ont pas une qualité égale mais on n’a pas voulu faire de tri ; certaines ne sont peut-être pas terribles mais les jouteurs, par exemple, se régalent de chanter.”

Brassens, Gironès, Zardoni…

Sète, ancien premier port pinardier au monde ; Sète premier port de pêche de la Méditerranée ; Sète amoureuse du Bel canto, de l’opérette, de la chansonnette… Sète et son armada de vieux gréements paradant lors d’Escale ; Sète et ses troubadours-maîtres-chansonniers : Brassens, bien sûr ; Angel Gironès aussi ; et tant d’autres plus simples à l’instar de Jean-Louis Zardoni, par exemple…

Un patrimoine vivant qui doit le rester

Jean-Michel Lhubac et Marie-Josée Fages. DR.

C’est un patrimoine vivant au sens où ce n’est pas le sempiternel répertoire que l’on chante ad vitam. Le renouvèlement est permanent. De nouvelles chansons arrivent régulièrement dans le “répertoire” sétois. “Tout à fait, confirme Jean-Michel Lhubac. C’est le véritable objectif de ce livre : que ce patrimoine soit toujours vivant et qu’il évolue.” D’où l’envie, dans quelques années, de demander le label Unesco. “C’est, en effet, pour cela qu’il entre dans le patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco contrairement au folklore, rentre dans des pratiques populaires qui se perpétuent et continuent à exister. On est soutenus par la Drac, y compris financièrement (1).”

Parfois, quand les jouteurs chantent une chanson, c’est pour eux une couillonnade ; mais en fait, pas plus que les chansons qui s’écrivaient il y a 200 ans et qui se perpétuent”

“Pourtant quand je parlais de ce projet autour de moi les gens me disaient : “Oh non, la tradition chansonnière ici ça n’existe pas…” Ce que je me suis dis c’est que les gens n’ont pas forcément suffisamment de recul. La plupart vivent cela au jour le jour. Parfois, quand les jouteurs chantent une de leurs chansons, c’est pour eux une couillonnade; mais en fait pas plus que les chansons qui s’écrivaient il y a 200 ans et qui se perpétuent. L’idée était donc avec cet ouvrage de donner du recul pour montrer cette richesse de patrimoine.”

Jouteurs, repas de familles, baraquette

Jean–louis Zardoni. DR.

Le second objectif de Jean-Michel Lhubac et de son épouse Marie-Josée Fages, c’était la transmission. “Aujourd’hui, il reste les jouteurs, mais avant, la transmission de ce patrimoine se faisait aussi lors des repas de famille ; untel était repéré pour chanter telle chanson ; on attendait que ce soit son tour ; il y avait les repas de baraquette aussi ; de pêcheurs et de chasseurs – souvent entre hommes – les femmes, elles, en faisaient partie en des occasions particulières comme le Lundi de Pâques. elles chantaient plus volontiers des chansons connues, comme celles d’Edith Piaf ; les roses Blanches ; pas forcément des chansons écrites au jour le jour.”

Que la pratique chansonnière de Sète soit reconnue à l’Unesco

Natif de Gennevilliers (Haut-de-Seine), par hasard, à cause de la mutation de son postier de paternel, Jean-Michel Lhubac, 60 ans, hautboïste de joutes et son épouse tambour de joutes, en ont, eux, du recul. La famille de Jean-Michel, solides vignerons et oléiculteurs, sont de Sète. “L’Unesco a déjà labellisé la “pratique totémique” dans notre région à travers le boeuf de Mèze, le poulain Pézenas et la tarasque à Tarascon, rappelle Jean-Michel Lhubac. Ils font l’objet d’une fiche d’inventaire de l’Unesco. Nous avons en effet l’objectif de demander que la pratique chansonnière de Sète soit elle aussi reconnue de cette façon-là. On est d’ailleurs soutenus par deux ethnopoles dont celui de Michel Coleu, l’OPCI et le Cirdoc à Béziers. Il faudra peut-être quatre ou cinq ans.”

Unesco : une possibilité offerte depuis 2006

Contacté, Michel Colleu, cofondateur du Chasse-Marée, qui fut sous-directeur de l’OPCI , Office du patrimoine culturel immatériel, explique ce projet de Sète en chansons “s’inspire d’autres livres patrimoniaux de ce type que j’ai contribué à éditer”, dit celui qui conseilla la direction d’Escales à Sète. “Il existe ainsi d’autres recueils de chansons qui sont l’un des éléments d’un ensemble” qu’il est bien d’avoir réalisés avant de demander au ministère de la Culture de créer “une fiche spécifique que l’on espère pour 2022. Une fiche commune à toutes les pratiques des chansons maritimes des régions côtières de France”. Ce patrimoine culturel immatériel de l’Unesco est une possibilité offerte par une convention de 1972 que la France a, comme d’autres pays ratifiée en 2006. Elle permet de labelliser tout un tas de patrimoines oraux, des savoirs-faire, des gestes artisanaux, des recettes de cuisine, etc. Et de la musique, donc. L’intérêt de ce label c’est qu’il est le reflet d’une réalité.

“La dynamique actuelle apporte de l’eau à notre moulin”

D’ici-là, autour de ce livre joyeux, va se construire de belles opérations. “Il y aura par exemple une exposition ; un focus pendant Escale à Sète de notre association animer le village des traditions maritimes du Golfe du Lion. Quand toute cette dynamique de transmission et de restitution sera lancée, on pourra dire à l’Unesco : “voilà la pratique chansonnière est en train de redémarrer ; des groupes locaux se créent ; les gens rechantent et à quelles occasions ils le font comme Total Festum, pour des fêtes, des manifestations…” Il y a déjà, en ce moment deux ou trois groupes de chanteurs qui se constituent. On va donc attendre que cette dynamique apporte de l’eau à notre moulin.”

“C’est un bon moyen de s’intégrer!”

Les nouveaux arrivants n’ont donc pas tué “l’esprit sétois” ? “D’un côté, c’est vrai, à la Plagette, au Quartier-Haut ou à Saint-Clair, quand on a demandé aux habitants s’ils connaissaient encore des chansons, on s’est entendus répondre : “Ah non, il y a trop de nouveaux ; plus personne ne connaît ces chansons… Beaucoup de nouveaux installés ne connaissaient même pas cette pratique. Il y a eu une perte importante, c’est vrai. Mais on en a aussi qui viennent s’inscrire à des ateliers de transmission ! On avait répondu à un appel à projets de la Carsat qui s’appelle Prévention de la perte d’autonomie, en direction des (jeunes) retraités et, notamment, des nouveaux Sétois qui se disent : “Tiens c’est un bon moyen de m’intégrer…” De quoi écrire une chanson éternelle ! Comme Chagrin fai ta mala !

Olivier SCHLAMA

  • (1) Beaucoup de partenaires et d’institutions ont aidé” l’association Eurotambfi qui a reçu 5 000 € de la Région Occitanie ; 8 000 € de la Drac ; 2 000 € du Cirdoc ; 3 000 € de la fondation Banque Populaire du Sud et 1 500 € du département de l’Hérault, on a eu le fonds solidarité covid. Le budget du projet, côté défraiements et production, a été de 27 000 €. “Le livre sera édité par Domens Editions, à Pézenas qui se charge de le vendre. Nous ne toucherons pas un centime”, explique Jean-Michel Lhubac.

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