Santé/glyphosate : L’herbicide qui empoisonne le débat

Inquiets de la possible interdiction du glyphosate, deux députés, un sénateur et des agriculteurs se sont retrouvés sur une exploitation héraultaise, ce lundi matin. Photo : DR.

L’action est sans doute inédite en France, à la mesure de l’inquiétude du monde paysan. Les Jeunes agriculteurs de l’Hérault ont réalisé ce lundi matin, à Saint-Thibéry, une opération de sensibilisation à visée dite “pédagogique”, précise Samuel Masse, président des JA 34. Devant la possible interdiction par l’Union européenne de ce désherbant parce que déclaré “cancérogène probable pour les humains” par le Centre international de recherche sur le cancer, qui dépend de l’OMS, que la firme Monsanto a généralisé au point que ce pesticide est devenu le plus utilisé au monde, les agriculteurs réclament un produit de substitution d’urgence. Marie-Monique Robin, prix Albert-Londres, et spécialiste, auteur d’un documentaire sur Arte et d’un livre alarmants sur le sujet (1), appelle à un grand plan de transformation de l’agriculture.

Une première depuis la bataille homérique pour l’interdiction du fameux DDT dans les années 70, aucune substance phytosanitaire n’avait autant mobilisé l’attention. Ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot avait annoncé que la France voterait pour l’interdiction du glyphosate pour les dix prochaines années. La présidente de la Fnsea, principale organisation agricole, était montée vivement au créneau. Ce lundi matin, les Jeunes agriculteurs de l’Hérault ont convié sur l’exploitation de Béranger Carrier, à Saint-Thibery, deux députés LREM, Patrick Vignal (9e circonscription, Lunel) et Philippe Huppé (Saint-Pons de Thomières, 5e circonscription), Henri Cabanel, sénateur PS, ainsi que qu’une trentaine d’agriculteurs et représentants syndicaux.

Pour le président des JA de l’Hérault, Samuel Masse, “L’idée est simple : ici, par exemple, l’exploitation est d’une part en bio et d’autre part en conventionnel. L’agriculteur utilise un désherbant, du glyphosate, et n’a pas d’autre alternative ! Comment peut-on vouloir supprimer cette molécule si on ne propose rien à la place ? Et puis il y a la question de l’harmonisation européenne…  Sans parler des pays hors CEE comme les USA, le Canada ou le Mexique qui en emploient partout, sans limites ! On n’est pas contre une transition, loin de loin, mais pas comme ça…”

“Le glyphosate garde l’humidité dans le sol et la vie microbienne et animale”

L’agriculteur concerné par cette opération, Béranger Carrier, 28 ans, explique qu’il “ne peut pas se passer” de pulvériser cette substance sur la partie de son exploitation, plantée en céréales. C’est la viabilité économique de son activité qui serait en jeu : “Sinon, on revient 20 ans en arrière, à l’époque du labour ; économiquement, je ne m’en remettrais pas… Il faudrait ajouter aux coûts de production plus de deux heures de travail à l’hectare soit entre 200 euros et 250 euros à l’hectare…” Or, ce produit est miraculeux : pas besoin d’aérer la terre, “il garde l’humidité dans le sol et la vie microbienne et animale qui vont avec”. Et d’ajouter : “Je n’aime pas utiliser ce produit mais comment faire sans ? On nous a poussé à ça. On a investi. On pulvérise pas n’importe comment mais avec des appareils guidés par satellites pour éviter de doubler la dose en certains endroits.” L’idée c’était d’être à la hauteur des autres pays à agriculture intensive : “Sur les marchés mondiaux, on est face aux Canadiens, Mexicains, Américains… Et puis si on arrête ce produit, ne va-t-on pas devoir utiliser d’autres produits phytosanitaires…?”

Le député Patrick Vignal, lui, dit : “D’abord, il faut prouver que c’est vraiment néfaste. Si on veut tuer les agriculteurs qu’on le dise ! Il doit y avoir des agriculteurs malintentionnés, mais c’est marginal ; il faut que le monde de la recherche se mobilise pour obtenir des produits pour une agriculture plus saine. Interdire purement et simplement le glyphosate, ce n’est pas la solution.”

Marie-Monique Robin : “Toute la population est contaminée”

“C’est le plus grand scandale sanitaire du XXIe siècle !” Marie-Monique Robin n’y va pas avec le dos de cuillère. La journaliste ajoute : “Si on compare avec l’amiante, qui a fait des milliers de victimes, la probabilité d’être exposé à l’amiante était assez réduite, sauf à avoir travaillé dans une usine ou un bâtiment amianté. Le problème du glyphosate, c’est qu’il est partout : dans les sols, dans l’eau, du robinet comme des rivières et dans les aliments ! Ce sont des faits que j’expose dans mon livre et mon film ; je ne prends pas de risque. Et je n’ai eu aucun procès après mon travail intitulé le Monde selon Monsanto, parce que je suis sûre de ce que j’écris. La Communauté européenne a établi une liste de 358 aliments susceptibles d’avoir des résidus de cette substance : toute la population est contaminée, notamment par l’alimentation. D’ailleurs, toutes les études d’imprégnation, en Europe comme aux USA, montrent que tous les citoyens ont dans leur organisme des traces de ce produit à des taux qui sont en moyenne douze fois supérieur à ce qui est autorisé dans l’eau. C’est très inquiétant. Moi-aussi, alors que je mange bio, je suis contaminée, même si c’est à un taux plus bas que les autres. Ceux qui mangent bio ont quatre fois moins de glyphosate dans leurs urines. Les enfants et les mangeurs de viande sont particulièrement contaminés : ils mangent des poules, des vaches, etc. qui sont nourris avec du soja transgénique imbibé de glyphosate.”

La journaliste Marie-Monique Robin, auteure d’un documentaire sur le sujet, le Juge et l’herbicide, qui sera diffusé sur Arte le 17 octobre, et d’un ouvrage Le Roundup face à ses juges, en rayons le 19 octobre. Photo : Solène CHARRASSE.

La journaliste, lauréate en 1995 du prix Albert-Londres (pour son ouvrage Voleurs d’organes), la plus prestigieuse des récompenses journalistiques, ajoute “comprendre le désarroi des paysans de l’Hérault, comme d’ailleurs. Et leur inquiétude. C’est terrible comme perspective. Ce que j’aimerais qu’on leur offre, c’est que le gouvernement eh bien ait le courage de leur proposer un grand plan pour transformer l’agriculture avec de vraies mesures d’accompagnement, en réorientant par exemple certaines aides de la Pac. Sans forcer les gens à faire. Pour aider ceux qui y sont prêts. Il faut sortir de l’idée du produit de remplacement. Le glyphosate a été mis sur le marché en 1974 par Monsanto pour interdire un autre herbicide… extrêmement toxique, le 2,4,5T, qui était, avec le 2,4D, l’un des composants de l’agent orange. Il faut sortir de cette logique chimique.

“Le problème, c’est la toxicité chronique”

Les agriculteurs sont très mal informés – je suis moi-même d’une famille d’agriculteurs – ce glyphosate n’est pas, par exemple, biodégradable ! Monsanto a été condamnée deux fois aux USA justement pour publicité mensongère, vous le verrez dans le film et le livre. Au contraire : ce produit s’accumule (…) Et depuis une enquête du Monde sur les Monsanto Paper’s, il y a quelques jours, on sait que s’il n’y a qu’une seule agence biomédicale, leCentre international sur le cancer, qui dépend de l’OMS, qui dit que le glyphosate est cancérogène probable, c’est que les autres ont été manipulées et qu’il y a eu des fraudes scientifiques, des connivences des autres avec les fabricants.” Elle rappelle qu’il y a de “plus en plus de paysans malades. Quand un agriculteur interpelle Nicolas Hulot, lors d’une manif de paysans, sur les Champs-Elysées, en lui disant “Si c’était toxique, on serait tous morts”, c’est du n’importe quoi. Bien sûr on ne meurt pas sur-le-champ avec ce produit. Le problème, c’est la toxicité chronique. Voire additionnelle avec d’autres produits dangereux. Il faut tourner une page. L’expérimentation, qui a duré 50 ans, est désastreuse. Et les agriculteurs en sont les premières victimes.” Après l’affirmation de Nicolas Hulot selon laquelle la France s’opposerait à la ré-autorisation du glyphosate, le Premier ministre a désavoué le ministre de la Transition écologique en disant que la France s’opposerait à une réautorisation de dix ans, ainsi que le propose la commission européenne. C’est clairement une reculade. Si interdiction il y avait, elle serait au pire de quelques années, le temps que Bayer rachète Monsanto…

Olivier SCHLAMA

Pour info : https://www.mariemoniquerobin.com

Et aussi  le lien pour voir la bande annonce du film sur Arte (provisoirement appelé “Le juge et l’herbicide”) et, éventuellement, pré-acheter le DVD avec les bonus, dont celui de l’agriculteur de l’Eure, qui pratique l’agriculture de conservation, sur le site M2R Films : https://m2rfilms.com/espace-membres/le-juge-et-l-herbicide