Santé : Médecins Solidaires invente les gardes volontaires dans les déserts médicaux

En six mois, l’association, réseau de 150 généralistes venus de toute la France, dont certains d’Occitanie, ont déjà assuré 1 800 consultations dans un village de la Creuse. Le projet, simple, ambitieux et innovant, espère se déployer sur tout le territoire national.

Sept millions de Français vivent dans des déserts médicaux, soit 12 % de la population. La perte d’espérance de vie en zone rurale par rapport aux métropoles est estimée à deux ans et, selon un rapport du Sénat du 19 mars 2022, 45 % des médecins généralistes sont en situation de burn-out.

Tour de France des déserts médicaux en camping-car !

On ne pouvait pas rester dans cette situation de désert médical”, maugrée Martial Jardel, 32 ans, médecin lui-même, dans un village de Haute-Vienne, Le Dorat, et fondateur du collectif Médecins Solidaires. Cette association de médecins généralistes est partie d’un simple constat : “C’est une solution pragmatique immédiate.” Marre “de ces rapports, de ces tours de table sans solution…”

Son terreau originel ? Son père était médecin de campagne ; lui-même, s’il a effectué son internat à Paris, a fait son externat à Limoges. “Je me suis dit, complète l’intéressé, comme projet de fin d’étude que ce métier est formidable : on peu l’exercer partout. D’où cette idée de mobilité que j’ai creusée en faisant une sorte de Tour de France des déserts médicaux en camping-car en 2021 : en cinq mois, j’ai fait dix remplacements dans dix lieux différents qui n’avaient pas de médecins…”

Compléter l’offre de soins défaillante

Elisabeth Borne vient en Aveyron, ce vendredi 7 avril, visiter un centre de santé rural, à Salles-Cura, à la rencontre de professionnels de santé et d’élus qui “portent des initiatives locales pour améliorer l’accès aux soins des Français”.

La Première ministre doit ensuite se rendre à l’hôpital de Rodez où des services ont “mis en place des initiatives innovantes : équipes mixtes, plateau d’imagerie mutualisé, consultations avancées….” Et où elle évoquera un projet de maison des internes “permettant de rendre le territoire encore plus attractifs pour les jeunes professionnels”. À voir.

En attendant, ces gardes hebdomadaires assurées par des médecins d’autres régions, c’est bien l’une des solutions de l’offre de soins défaillante en de nombreux endroits du territoire, aux côtés des centres de santé, par exemple, qui se déploient dans tout le territoire et notamment en Occitanie, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. “L’idée, c’est aller au bout du possible. Cela dépendra du nombre de médecins qui nous rejoindront. Il y a des besoins partout en France”, dit encore Martial Jardel confiant que “toutes les régions lui font un appel du pied…”

L’idée est simple : apporter du soin là où il n’y en a plus. En octobre 2022, l’idée chevillée au coeur, cette association qui a monté le projet avec l’association nationale Bouge Ton Coq qui oeuvre, elle, dans la revitalisation des villages, notamment en ouvrant des épiceries associatives, comme Dis-Leur vous en a parlé ICI, ouvre son premier centre médical dans la Creuse, à Ajain, qui vient de voir son seul généraliste tirer le rideau pour cause de retraite, il y a deux ans.

700 patients et 1 800 consultations en six mois

Six mois plus tard, pas moins de 700 patients dont le centre est “médecin traitant” ont donc pu consulter un généraliste près de chez eux lors de 1 800 consultations. Et quelque 150 médecins généralistes sont inscrits à cette aventure. Et, déjà, un second centre va ouvrir, dans la Creuse également. Très vite, à partir de cette expérience concluante, il s’agira de “sortir de la Région Nouvelle-Aquitaine pour essaimer ailleurs. Et donner au projet une dimension plus nationale”. Et : “Cette idée, c’est venu comme une fulgurance… Je me suis dit : il faut agir. Et à la question pourquoi les médecins ne viennent pas spontanément dans les déserts médiaux ? La réponse était simple : parce que c’est trop d’engagement ; on a donc diminué cette charge mentale en augmentant le nombre de médecins.” 

“Chaque généraliste vient travailler une semaine par an”

Pour participer à cette économie solidaire, Agence régionale de santé, collectivités locales, Sécurité sociale, conseil régional ont mis leur écot pour financer un budget de quelque 150 000 € par an. Et les Médecins volontaires ont même accepté de “baisser leur rémunération pour que ce soit viable économiquement”. Cette solution s’ajoute à toutes celles déjà trouvées. “Chaque généraliste vient travailler une semaine par an dans ce centre de santé dans la Creuse.” Pour l’instant, les patients sont reçus dans des préfabriqués, plus économiques dans le cadre d’une expérimentation. “Cela permettait aussi d’être tout de suite opérationnel : pas besoin de travaux ou de demande de permis de construire.”

Les volontaires doivent se faire remplacer à leur cabinet

Reste que les médecins participants à ces semaines de garde doivent eux-mêmes se faire remplacer dans leur cabinet. “Certes, il y a déjà des médecins qui ont la tête dans le four ; qui donnent déjà beaucoup à leur territoire. En revanche, on a des généralistes bien installés dans des structures qui fonctionnent bien, dotées d’un flux de remplaçants assez fort ; il y a aussi de jeunes retraités par exemple qui, avec notre système, n’ont rien à organiser et n’ont pas besoin d’assumer la charge mentale d’un tel projet. Il y a aussi des médecins remplaçants qui sont agiles et sont contents de pouvoir de participer ; il y a aussi des médecins salariés dans des hôpitaux que ce projet intéresse.”

Objectif secondaire : que l’un des médecins volontaires s’installe dans ce désert

Avec un “objectif secondaire” : que l’un des médecins volontaires trouve finalement le désert médical intéressant pour s’y installer définitivement. Plus besoin de coercition et d’obliger les généralistes à s’installer dans un lieu qu’ils ne connaissent pas, loin de leurs amis, de leurs centres d’intérêts, de leur ville universitaire. “Je suis convaincu qu’en créant un tel flux de passage de médecins dans un village, cela puisse se produire. Ce flux peut faire mûrir un projet d’installation”, confie encore Martial Jardel. Reste que le toubib est comme le reste de la population : il veut une vie de famille ; faire du sport ; avoir des congés… “C’est pour cela qu’il faut changer de système ! En tout cas penser différemment : au lieu de demander beaucoup à peu, il vaut mieux demander peu à beaucoup. Créer les conditions de travail d’une médecine différente”, formule-t-il.

“Notre volonté : se répartir sur tout le territoire national…”

Âgée de 38 ans, Cindy Boizard est médecin généraliste à Narbonne. Comme elle le dit, “Je suis très mobile. Cela fait partie de mon mode de vie. Je déteste que la routine s’installe…” Pendant son internat à la fac de Montpellier, elle effectue des stages à Carcassonne, Perpignan, Béziers, Nîmes, Sète. “J’ai choisi d’être médecin remplaçant un peu partout.” Dans toute la France, en zones rurales, urbaines, balnéaires, montagnardes ou ultra-marines. Cindy Boizard a exercé à Ajain une semaine en janvier, sous la neige, et envisage de revenir en août dans la Creuse.

Engagée auprès de Médecins Solidaires comme médecin pionnier, la médecin le dit : “Il suffit que ce village plaise à un seul médecin parmi ceux d’entre-nous qui iront travailler une semaine et peut-être même deux !” Imagine-t-elle que Médecins Solidaires crée une “branche” en Occitanie où il y a de vrais déserts médicaux ? “Notre volonté, c’est de se répartir sur tout le territoire national…”

Un papa et son fils avaient fait 80 km aller-retour pour une consultation : ils m’ont sauté au cou…!”

À l’opposé, Alain Jallais a 72 ans. “J’ai la particularité d’avoir eu Martial Jardel, fondateur de Médecins Solidaires, comme médecin stagiaire en 2015. C’est un jeune médecin de 32 ans qui a même effectué un Tour de France en camping-car ; qui a gagné un concours d’éloquence….” Ce n’est pas la seule particularité : Alain Jallais, qui exerce à Souillac (Lot), est censé être retraité de la médecine. Mais il est toujours… “actif“, rigole-t-il : “Je suis remplaçant de mon… successeur ; j’aime la médecine !” Il intervient aussi dans un service de soins palliatifs. Bref, il travaille encore “trois à quatre jours par semaine”... Sur le projet de Médecins Solidaires, il dit : “Ces déserts médicaux, les jeunes médecins se font souvent des idées sur la médecine libérale rurale. Il y a de bons côtés qui peuvent au final plaire à un ou deux de ceux qui interviendront dans la Creuse…”

Sa motivation ? Sans doute se rendre toujours et encore utile aux autres. Comme lors de sa semaine de garde à Ajain, dans la Creuse, où “un papa et son fils avaient fait 80 km aller-retour pour une consultation : ils m’ont sauté au cou…!”

Olivier SCHLAMA

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