Roman : La Pastorale retrouvée, polar pictural inspiré par Collioure

Garder ? Revendre ? Conserver une toile de maître trouvée dans une poubelle ? Romain Arazm utilise une intrigue policière pour nous faire voyager avec talent dans l’univers de l’art pictural. Un roman de haute volée où se mêlent philosophie, littérature et art…

Un livre ample. Dans ce polar mâtiné d’incursions artistiques savantes dans le domaine de l’art pictural (mais avec des notules infinies comme dans la collection La Pléiade), on se sent porté par les oeuvres des plus grands fauvistes. Le point de départ, simple, est vrai : en 2010, cinq tableaux sont dérobés au Musée d’Art moderne de Paris. Le monde de l’art est sous le choc.

Nul ne sait ce que sont devenues cinq oeuvres célèbres

Si les voleurs ont bien été arrêtés et embastillés à Fresnes – en clamant la même chose : que ces toiles ont été jetées à la poubelle ! -, nul ne sait ce que sont devenues ces oeuvres célèbres : un Henri Matisse, la Pastorale, peinte à Collioure en 1905, dans ce village des P.-O., où se situe une partie de l’intrigue et qui l’a inspirée, et un Georges Braque, l’Estaque, petit port près de Marseille, ainsi que des Modigliani, Léger et Picasso. Tous en sont ignares, sauf un : Paul Mazar, anagramme du nom de l’auteur de ce premier livre, Romain Arazm, producteur – créateur de Mazart production – et historien de l’art “amoureux de la région”.

Intensité lumineuse de Collioure

Dans cette anse de Collioure où les Pyrénées rencontrent la mer ; où la France se marie avec l’Espagne, le réel est une oeuvre d’art. C’est là que Henri Matisse, qui s’y établit en 1905, a ressenti cette vibration, cette énergie. Depuis, nombre d’artistes n’ont eu de cesse de se confronter à ces paysages à l’intensité lumineuse à nulle autre pareille. La plupart, d’une manière ou d’une autre peignent la lumière où plane encore l’ombre tutélaire d’un autre immense de la peinture, Picasso, qui fut, lui aussi, aimanté par ces lieux.

Une flânerie dans les venelles de l’art moderne

Le narrateur vivra même un an in petto avec le Matisse, la fameuse Pastorale, petit tableau de 46 X 55 centimètres qu’il aura découvert dans une poubelle. Gardera-t-il cette oeuvre ? La restituera-t-il ? L’auteur montre dans ce premier roman des fulgurances qui font écho aux mondes de la littérature, de l’art, de la philosophie et même à celui de la psychanalyse. Un roman à part qui aimante l’intérêt tout au long de ses 496 pages.

 Ce livre est placé  sous le signe du recueillement, de cette solitude voulue avec l’art…”

Chevillée à cette histoire romanesque, on découvre une intimité avec Anna qui n’est rien d’autre que la directrice adjointe du musée cambriolé. Malgré les doutes de cette rencontre opportune quant à sa sincérité, un amour va naître. Le roman est aussi une flânerie dans les venelles de la peinture moderne. Sur ses territoires. Romain Arazm interroge les fonctions de l’art dans nos vies, ce qui a une vraie résonance avec cette crise sanitaire et nos vies régulièrement claquemurées.

C’est l’histoire d’un jeune passionné de peinture qui a “cette joie de pouvoir garder une toile de maître durant un an – car il se trouve que j’ai mis un an pour écrire ce livre lors d’une rédaction quotidienne, de 2018 à 2019. C’était avant le confinement et cela pose aussi la question de l’intériorité d’un appartement qui devient autre avec la présence d’un chef d’oeuvre. C’est une thématique aussi de la réclusion qui est abordée.”

Il y a aussi cette phrase de Matisse mise en exergue au début du livre : “Je voudrais vivre comme un moine dans une cellule pourvu que j’ai de quoi peindre sans souci ni dérangement. Ce livre est placé  sous le signe du recueillement, de cette solitude voulue avec l’art…”

Il y a une forme de renaissance. Et la Pastorale, ce moment heureux, est un symbole de cette restauration de son bonheur” 

La Pastorale est l’une des toiles importantes que Matisse a peinte à Collioure sur laquelle Romain Arazm écrit de belles pages. Elle figure quelque chose de simple mais qui révèle une complexité : “C’est une scène en extérieur avec des arbres ; avec des jeunes femmes nues ; un jeune homme qui joue du aulos, instrument antique. Cela révèle un attrait pour l’arcadie, pour ce rapport très entier avec la nature. Loin des cubistes et de leur envie d’urbain. Et même quand Matisse part à Tahiti en 1931, après avoir traversé les Etats-Unis en chemin de fer, c’est un thème qui restera gravé.” 

La psychanalyse y est très présente : le narrateur trouve ces deux tableaux à l’issue de la dernière séance de son travail analytique d’une année. “Ce n’est pas anodin de trouver quelque chose quand on finit de le chercher. C’est un moment où le narrateur est en résilience, après un an de psychanalyse, après une rupture sentimentale ; avec la rencontre avec Anna… Il y a une forme de renaissance. Et la Pastorale, ce moment heureux, est un symbole de cette restauration de son bonheur.” 

 

Je perçois la peinture presque comme un “pays”, un monde à part dans lequel on peut évoluer, passer de pays en pays, de peintre en peintre”

L’enquête est le fil rouge mais elle est presque marginale. Il y a une dimension incontournable : un voyage initiatique à travers l’art moderne. “Pour moi, il y a une vraie corrélation entre le territoire, pays et la peinture. C’est une oeuvre emblématique de Matisse à Collioure. Je perçois la peinture presque comme un “pays”, un monde à part dans lequel on peut évoluer, passer de pays en pays, de peintre en peintre. Il y a le réel et il y a des territoires comme la peinture qui permettent de vivre au-dessus, un peu dans les nuages. C’est l’essence du roman.”

Qu’est-ce qui est mieux pour déplacer son esprit ? Déplacer son esprit ? Le voyage métaphysique par le livre ? C’est les deux : lire en voyageant”

Romain Arazm cite aussi Casanova : “L’homme qui veut s’instruire doit lire d’abord et puis voyager pour rectifier ce qu’il a appris.” Il dit : “C’est l’exacte confrontation avec le réel. J’ai l’occasion de pas mal voyager, j’ai une passion pour le récit du voyage. La question se pose : qu’est-ce qui est mieux pour déplacer son esprit ? Déplacer son esprit ? Le voyage métaphysique par le livre ? C’est les deux : lire en voyageant. C’est un double déplacement. On change ses lunettes et on voit d’autres choses. Doublement neuf.”

Perquisition, chanceuse malgré tout… On ne dévoilera pas la fin “qui reste relativement ouverte. On se doute que le narrateur a gardé quelque temps cette toile. cela pose la question de la morale et l’éthique. Qui est la victime ? Le musée ? Bien sûr. Mais qui regarde avec autant d’attention que mon narrateur ? Personne. Peut-être que la personne la plus attachée au monde à cette peinture, c’est lui…” Le vrai propriétaire, finalement…

Ce livre atypique donne tout son sens à… l’art-thérapie. “Oui. C’est aussi cela. Comment la contemplation d’une oeuvre, d’un monde imaginaire peut soigner l’âme. Peut créer un cocon. Avant dans l’intérieur de Paul Mazar mais aussi dans son esprit.Le Sétois Pierre Soulages est aussi présent dans La Pastorale retrouvée avec une “dimension sacrée du noir”, notamment dans une scène où le narrateur met des bougies, un climat qui le plonge dans un univers monacal…” Propice à la beauté du moment.

Olivier SCHLAMA

  • Publié il y a un an aux Presses Littéraires, la Pastorale retrouvée en est à son 4e tirage.
  • Une conférence-dédicace est prévue fin septembre à Collioure avec l’auteur ainsi qu’une conférence au musée Matisse, le 18 septembre prochain, à Cateau-Cambresis (Nord).