Rendez-vous : Procession de la Sanch, la foi entre l’intime et le spectaculaire

Spectaculaires, singulières et rescapées des temps anciens, les processions de Pâques dans les Pyrénées-Orientales sont uniques en France. Photo ©Ville de Perpignan

L’ originalité de la Semaine Sainte (du 10 au 17 avril) en Roussillon s’exprime par une ferveur à la fois intime et spectaculaire. Celle-ci trouve toute sa force dans le rituel spécifique qui entoure la procession de la Sanch (*). Une tradition vieille de plus de six siècles, qui se déroule chaque année en pays catalan, à Collioure, Arles-sur-Tech, Bouleternère, Elne (plus d’infos)… la plus connue et spectaculaire étant celle de Perpignan.

Chaque vendredi précédant Pâques (le 15 avril en 2022), la ville de Perpignan voit défiler une procession particulièrement étrange pour les yeux non avertis… Célébrant la fête religieuse la plus importante pour les catholiques, la Procession de la Sanch fait partie des coutumes catalanes qu’il faut voir absolument.

L’impressionnant rendez-vous de Perpignan

Une procession de 3 heures dans les rues de Perpignan… Photo ©Ville de Perpignan

La Procession de la Sanch ce n’est pas qu’un simple défilé. Cet évènement symbolise le chemin de Croix du Christ vers sa crucifixion. Sur les épaules des pénitents, les lourds misteris, représentations grandeur nature des stations du chemin de croix, pèsent plusieurs centaines de kilos…

Symboles vivants de la Procession de la Sanch, les pénitents sont au cœur du défilé. Vêtus de tuniques noires ou rouges, les processionnaires se distinguent par la Caperutxa, la coiffe conique traditionnelle qui recouvre la tête et le visage. Le Scapulaire, objet de dévotion en feutrine ainsi que la cordelière servant de ceinture sont également deux signes distinctifs du costume de pénitent.

Un événement “prévu, réglé avec minutie, depuis des siècles”

La Sanch, c’est la preuve que les traditions ont su garder ici une réelle authenticité. “La ferveur d’aujourd’hui n’a d’égale que celle d’hier. Tout ce qui touche au cérémonial des fêtes de la Semaine Sainte et de la Passion est prévu, réglé avec minutie depuis des siècles”, nous explique-t-on à Perpignan…

La cloche de fer rythme la Sanch… Photo ©Ville de Perpignan

La Sanch a Perpignan, ce sont les ombres et les lumières de la Semaine Sainte. Les couleurs et l’atmosphère si particulières amplifient la dramaturgie de l’avant et l’après Golgotha. Tout est contraste entre la longue tristesse du Carême et la brusque joie de Pâques. Contraste, aussi, entre les cantiques vibrants d’allégresse et les goigs douloureux.

L’événement attire chaque année une foule fascinée par l’ambiance de ce long cortège de pénitents qui marchent pendant près de 3 heures dans les rues de la capitale du Roussillon, portant le fardeau des péchés du monde. Avec leurs longues capuches pointant vers le ciel, les pénitents s’isolent du monde derrière leurs voiles de tissus.

Vêtus de grandes robes noires, les caperutxes défilent au rythme de la cloche de fer du pénitent rouge en tête du cortège. Portés sur leurs épaules, les lourds misteris relatent les différentes scènes de la Passion, entre Madones affligées et Christs crucifiés. À intervalle régulier, les pénitents s’arrêtent sous les roulements des tambours. Souvent les pieds nus, ils revivent la quête d’expiation qui animait les flagellants de saint-Vincent Ferrier.

Agnostique, curieux ou réellement croyant, le public ne reste jamais insensible à la ferveur de cette manifestation populaire de la foi en Catalogne et à l’émotion qu’elle suscite…

Philippe MOURET

(*) Sanch (il faut prononcer sank) signifie “sang” en catalan.

Le parcours de la procession :

 

Un peu d’Histoire :

1416 – 2022 : un patrimoine culturel et religieux immatériel d’une  longévité exceptionnelle ! À l’automne 1415, le Dominicain valencien Vincent Ferrier, qui sera canonisé en 1456, arrive à Perpignan à l’occasion du trés important sommet qui y réunit pendant deux mois le pape Benoît XIII, le roi d’Aragon Ferdinand Ier et le futur empereur Sigismond, afin de régler le Grand schisme d’Occident.

Toutes les étapes du Chemin de Croix, du Christ… Photo ©Ville de Perpignan

Vincent Ferrier développe à Perpignan une grande activité et délivre devant les foules de nombreux sermons enflammés, notamment sur la Passion, la nécessité de la pénitence afin de sauver le monde déchiré par la guerre et les divisions religieuses. Il est suivi par des foules qui processionnent en troupes exaltées pour engager à suivre ses préceptes.

Cette prédication va inspirer la constitution à Perpignan d’une confrérie de pénitents, officiellement instituée le 11 octobre 1416, dans l’église Saint-Jacques : la Confrérie du trés précieux sang de notre Jésus-Christ.

À la fin du Moyen âge, ce type de confréries pénitentielles regroupant des laïcs se multiplie, fondé autour de dévotions particulières. Les confrères, qui se soutiennent spirituellement, se dévouaient par des actions charitables et rendaient publique leur dévotion lors des processions. L’Archiconfrérie de la Sanch de Perpignan est consacrée à la Passion du Christ et à son chemin de croix.

C’est pourquoi elle avait pour fonction d’accompagner et de soutenir matériellement et spirituellement le condamné à mort au supplice et, sous l’anonymat de la cagoule, de partager avec lui les avanies de son calvaire. De la même façon, l’Archiconfrérie de la Sanch organise la procession qui accompagne le Christ, condamné suprême, qui avait lieu autrefois la nuit du Jeudi saint.

Au XVIIIe siècle, dans ce pieux cortège, la véhémence des flagellants incita l’autorité religieuse et le Conseil souverain du Roussillon à limiter les processions qu’ils jugeaient trop baroques et hispaniques. Pendant plus d’un siècle, la confrérie de la Sanch survivra entre les murs de l’église Saint-Jacques.

Ce n’est qu’en 1950, sous l’impulsion d’un groupe de personnes, dont Joseph Deloncle, que la procession avec les misteris venant de chaque paroisse de Perpignan, puis de chaque village, reprit son itinéraire dans le centre historique de la ville. Il en est encore ainsi chaque Vendredi saint.

Voir aussi :

En 2021, trois jeunes photographes et vidéastes perpignanais ont suivi les préparations et l’aboutissement d’une édition très particulière de la Sanch. Du fait de la situation sanitaire, la procession du Vendredi saint a dû être remplacée par un chemin de croix dans le Campo Santo.

Le service “évènements” de la Ville de Perpignan et les membres de l’Archiconfrérie de la Sanch ont accepté de montrer à ces jeunes artistes les étapes et l’esprit de cette célébration séculaire, candidate à l’inscription au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Unesco.

Mehdi Ragoub et Brian Poulard se sont rencontrés en 2015, en formant le groupe Brocam, auteur de musique et de clips, puis d’autres vidéos (Trobades médiévales). Ils créent en 2020 Brian & Mehdi, pour la réalisation de vidéos et de photographies.

Camille La Verde, titulaire du diplôme universitaire de photojournalisme, captation et images aériennes de Perpignan, se consacre à la photographie, avec un intérêt particulier pour le mouvement, les arts vivants et la chorégraphie du corps dans l’espace. Camille, Mehdi et Brian nous racontent la Sanch de l’intérieur, le maintien de la tradition fervente malgré les vicissitudes, et l’énergie des jeunes artistes. Ils témoignent de sa transmission, par-delà les générations et les représentations.

Centre d’exposition de la Sanch – Ancien évéché : 8 rue de l’académie. Du 8 avril au 30 octobre tous les jours de 11h00 à 18h30. Du 1er juin au 30 septembre du mardi au dimanche de 10h30 à 17h30. Entrée libre

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