Occitanie : Pourquoi les collectivités plébiscitent les appels à la citoyenneté

7e Rencontres Dialogue Citoyen. Photo : Aurelien Ferreira, CD31

Référendums, votations, consultations… Lutter contre l’abstention, faire appel à l’intelligence collective, répondre à une demande croissante de la population… Les appels à la citoyenneté sont devenus mantra politique. Exemples avec la ville de Frontignan et les départements des Pyrénées-Orientales, du Gard et de la Haute-Garonne.

Référendums, consultations et autres votations fleurissent. Pour certains, c’est un gadget ; pour d’autres, au contraire, c’est la marque d’une volonté courageuse de retisser le lien avec les citoyens. Les derniers diront, enfin, que c’est une façon de créer une nouvelle dynamique politique et reconstituer un capital militant. Ils ont tous raison. Toutes les analyses coexistent. À Montpellier, on vient par exemple, de lancer les “premières assises du territoire” qui sont, certes, réservées aux professionnels mais visent à “offrir aux habitants du territoire, une qualité de vie dans chacun des quartiers de la ville et préserver le pouvoir d’achat des Montpelliérains”. A Castelnau-le-Lez, tout proche, on organise “une cérémonie citoyenne, où sera remise la carte d’identité”, pour lui redonner tout son lustre.

“C’est l’un des moyens de faire revenir les gens aux urnes…”

7e Rencontres Dialogue Citoyen en Haute-Garonne. Photo : Aurelien Ferreira/CD31

Dans les Pyrénées-Orientales, la conviction est plus ancrée, semble-t-il.  La présidente PS, Hermeline Malherbe, le dit sans détour : voter pour un pont, à Céret, pour la desserte du Haut-Vallespir et du Vallespir, il y a une semaine, “c’est l’un des moyens de faire revenir les gens aux urnes…” La méthode va ainsi se démultiplier : ce département va exploiter de plus en plus la “participation citoyenne, le fil rouge de notre action”, dit-elle. Une consultation vient d’être lancée pour l’agrandissement de la réserve marine de Banuyls et prépare une consultation sur le futur nom du département pour la fin de l’année.

Des moyens de financer des projets citoyens

La Région Occitanie a depuis plusieurs années réussi à fédérer des dizaines de milliers d’habitants autour de puissants budgets participatifs autour de plusieurs thématiques, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI. Frontignan lancera les siens les 19 et 23 février prochains avec des réunions publiques à la clef. “Il s’agit de donner la possibilité et les moyens à des habitants de financer des projets”, explique Loïc Linarès, élu chargé de l’aménagement durable à Frontignan et vice-président de l’Agglopôle de Sète chargé de l’aménagement du territoire. “Nous réserverons chaque année une enveloppe de 50 000 € pour réaliser les projets qui auront recueilli le plus de suffrages.” Un site internet sera dévolu aux votes citoyens.

“Resserrer les liens sociaux et de redonner du sens”

Frontignan- Le coeur de ville
Frontignan Le coeur de ville. DR.

Pourquoi mettre en place des budgets participatifs ?C’est aussi une façon de défendre la démocratie, de rétablir la confiance et le lien avec les habitants. Et aussi de faire prendre conscience de ce que nous faisons ; de faire de la pédagogie”, formule Loïc Linarès. C’est aussi un moyen de se “ressourcer” politiquement, en convient-il, comme le dit le politologue Emmanuel Négrier (lire plus bas).

Et de “faire confiance à l’intelligence collective dans un contexte où après deux ans de pandémie, il convient de resserrer les liens sociaux et de redonner du sens”. Frontignan avait déjà organisé une consultation citoyenne pour son nouveau coeur de ville avec l’ouverture d’une “maison du projet” pendant trois mois avec des ateliers thématiques. Le principal enseignement ? La ville allait dans la bonne direction : “Cela a confirmé nos orientations premières”, y compris pour la création de places”, confie encore Loïc Linarès.

Une assemblée citoyenne en Haute-Garonne

En Haute-Garonne, la conviction d’une participation prononcée des habitants est une conviction chevillée au corps. Fort d’une expérience de sept ans d’un dialogue citoyen ininterrompu donnant lieu à des actions concrètes déjà réalisées (sur la mixité au collège, sur la création d’une bourse d’aide aux projets, sur la gestion de la ressource en eau, en matière de culture, ou encore la création d’une web application…), le département géré là aussi par un socialiste, Georges Méric, a décidé de créer une assemblée citoyenne, de 162 membre tirés au sort (six par canton), ce qui en fera la plus grande de ce type en France et dont les avis comptera bien davantage que la fameuse Convention citoyenne pour le climat voulue par Macron qui ne comptait “que” 150 membres. Et dont beaucoup de propositions avaient été mises sous le tapis.

“Nous ne nous assoirons pas sur les demandes”

Sandrine Floureusses Ph. Aurelien Ferreira – CD31

Le projet d’assemblée citoyenne est très élaboré. “Nous ne nous assoirons pas, nous, sur leurs demandes”, formule Sandrine Floureusses, vice-présidente chargée du dialogue citoyen, des égalités et des jeunesses. Comment cette assemblée va-t-elle fonctionner ? Simple : on vient de lancer un appel à candidatures qui court jusqu’en juin ; ensuite, les 162 représentants retenus par tirage au sort se réuniront par groupes de travail et assisteront à trois assemblées citoyennes par an. “Ils seront désignés pour deux ans, précise Sandrine Floureusses. La représentation sera hyper-diversifiée puisque issue des cantons du département. Ils vont nous challenger ; nous interpeller…! Ce ne sera pas évident pour nous mais c’est un progrès.”

“Les propositions de cette assemblée seront mises en oeuvre”

Ce ne seront pas des fans et cet outil ne sera pas un gadget, assure encore l’élue haut-garonnaise, juriste de formation. “Ces citoyens seront à nos côtés, aux côtés des élus. On n’ira pas chercher ceux qui ont l’habitude de s’engager ; ceux des conseils de quartier de Toulouse, par exemple. Mais ceux qui n’ont pas l’habitude de prendre la parole, ceux qui vivent au fin fond d’un quartier et qui nous parleront vraiment de leurs besoins quotidiens.” Sandrine Floureusses dit que les élus sont faits pour cela et qu’il faut rester modeste et humble.” La vice-présidente ajoute : “Le président Méric est allé encore un cran au-dessus : les propositions de cette assemblée citoyenne seront mises en oeuvre autant que faire se peut.” 

Gard : consultation inédite sur la moitié du budget !

Photo ©Département du GARD

Dans le Gard, autre exemple, “pour mieux répondre aux besoins”, le département a lancé ce lundi 7 février et jusqu’au 30 avril, une vaste “concertation citoyenne” via une plate-forme numérique en vue de l’élaboration de son schéma des solidarités sociales allant jusqu’à 2027. Cela va de l’accueil de la femme enceinte à celui de la personne âgée ! C’est-à-dire tout le spectre du social qui nécessite un budget conséquent : 550 M€ sur plus de 1,1 milliards d’euros ! C’est une co-construction inédite malgré la technicité des différents sujets. Pas question que cela reste une questions entre “pros”.  “Les innovations sociales sont souvent issues de la bonne idée d’un citoyen, d’une association ou d’une commune. Pourquoi se priver de l’avis et des idées des experts du quotidien ?”, défend la présidente Françoise Laurent-Perrigot.

“Demander à tous les Gardois de faire part de leurs idées…”

“Ce qui nous anime, c’est le souhait que notre action soit inclusive et participative, c’est-à-dire que nous voulons la construire avec les personnes concernées.” La présidente du Gard ajoute : “En 2020, pour faire face à la crise sanitaire et au confinement, de nombreuses initiatives locales d’entraide ont vu le jour. Avec cette consultation nous souhaitons poursuivre ce grand mouvement de solidarité en demandant à tous les Gardois de faire part de leurs idées pour le Gard solidaire.”

Des sujets sensibles et complexes

Votation citoyenne Vallespir. DR.

Grâce aux outils numériques cette démarche est “plus simple qu’avant, même s’il faut bien le voir, c’est une consultation assez difficile que nous mettons en œuvre. Cette consultation porte sur des sujets la fois complexes et sensibles, à la fois très techniques et qui touchent à l’humain avant tout. Il ne s’agit pas de poser une question fermée : êtes-vous pour ou contre telle ou telle chose ? Il s’agit de donner les moyens à nos concitoyens de s’exprimer et de proposer.” Elles seront toutes étudiées puis soumises au vote des Gardois en mai. Et celles qui recevront le plus de voix seront présentées “lors du forum des solidarités sociales prévu fin juin 2022”.

“Il faut essayer”

Et de conclure : “Sur certains champs de ce schéma des solidarités comme le grand âge ou la pauvreté ce sera plus difficile que sur d’autres sujets de recueillir des avis ou des idées de personnes directement concernées. Il nous faut néanmoins essayer. Ce serait dommage de passer à côté d’une bonne idée donnée par quelqu’un qui sait de quoi il parle. Donc on tente.”

“Il faut que les citoyens se réapproprient le débat public, c’est une urgence”

Sandrine Floureusses, vice-présidente du département de  Haute-Garonne

Pourquoi les collectivités ont-elles, dans le fond, de plus en plus recours à des consultations et autres référendums ? Pour Sandrine Floureusses, vice-présidente de la Haute-Garonne, “le lien entre les citoyens et les élus s’est distendu comme celui entre les citoyens et les institutions. Il faut que les citoyens se réapproprient le débat public, c’est une urgence quand on voit le taux d’abstention lors des élections. Nous sommes là pour eux. D’ailleurs, une fois dans la concertation, certains me disent : “Alors, c’est ça la politique…?” Eh oui, je réponds. C’est faire pour les autres. Il faut rétablir la politique. C’est l’enjeu.”

Hémorragie de militants dans les partis

7e Rencontres Dialogue Citoyen en Haute-Garonne. Ph. Aurelien Ferreira/CD31

“Il y a eu une énorme hémorragie de militants dans les partis”, décrypte le politologue Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS, à Montpellier. La gauche peut en effet compter sur sensiblement moins de militants que dans les années 1970 et quand ont prétend être une force qui a “l’intention de changer la société”, il faut trouver une meilleure assise dans la population pour imaginer gagner des élections, même elle ne s’est pas mal tiré des élections locales et régionales.

“Un moyen de se ressourcer et de regagner du capital social”

Ces néo-militants, la gauche va les chercher dans le monde associatif où il y a une “accroche sociale”. Il lui faut trouver “un moyen de se ressourcer et de regagner du capital social. D’où ces appels à la citoyenneté. Car ce n’est pas parce qu’il y a désaffiliation qu’il y a dépolitisation”. Ce n’est pas parce que l’on ne s’encarte plus autant que les habitants se sentent loin de la politique. Au contraire. On s’investit dans le bénévolat, les associations mais on se tient à distance des partis.

Ce n’est pas simplement une manoeuvre de la gauche. Cela correspond à une vraie demande : s’investir autrement dans les actions publiques”

Délégué général de l’ICPC, l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne, Pierre-Yves Guihéneuf rejoint Emmanuel Négrier sur le fait qu’il y a “une crise des partis. Mais il y a une demande d’une nouvelle forme d’implication en politique. Ce n’est pas simplement une manoeuvre de la gauche. Cela correspond à une vraie demande des citoyens, celle de s’investir autrement dans les actions publiques, certifie-t-il. En revanche, les citoyens sont attentifs à l’efficacité de cette participation citoyenne. Participer ne leur suffit plus. Ils veulent que cela se traduise par une décision. Si ce n’est pas le cas, c’est une frustration et cela devient la principale critique”. Comme pour la Convention sur le climat où seulement 10 % des propositions sur 140 avaient été retenues. Totalement contre-productif.

Pierre-Yves Guihéneuf ajoute “qu’il y a 15 ans, beaucoup de dispositifs n’étaient pas efficaces. On mettaient des gens dans une salle pour une réunion publique et ça tirait à hue et à dia : il suffisait de crier fort… Ça ne servait à rien. Aujourd’hui, il y a une exigence de plus en plus grande et des dispositifs vertueux”. Le spécialiste ajoute qu’effectivement on assiste à une multiplication de ces appels à la citoyenneté. “Il y a dix ou quinze ans, les élus avaient peur que cela soit un risque pour eux et leurs prérogatives. Ce n’est plus le cas. Les craintes se sont estompées. L’ingénierie s’est améliorée. Tout s’est professionnalisé.”

Olivier SCHLAMA

(1) Tous les citoyennes et citoyens de plus de 18 ans domiciliés en Haute-Garonne, exceptés les élus titulaires d’un mandat électif et les agents territoriaux du Conseil départemental de la Haute-Garonne, peuvent s’inscrire ICI à la fin de la page.