Dans les P.-O., on a voté pour un pont : “L’un des moyens de faire revenir les gens aux urnes…”

Evocation du projet du pont de Céret porté par le département des Pyrénées-Orientales. DR.

Une votation dans 24 communes pour un pont, c’est rare. Le département des Pyrénées-Orientales en a organisé une ce week end, validant avec succès le projet de desserte du Vallespir. C’est l’un des moyens pour faire “revenir les citoyens aux urnes”, confie Hermeline Malherbe, la présidente, citant budgets participatifs ; appel à projets pour les jeunes et consultation pour le nom du département. “Tout ceci prépare le terrain à des projets immobiliers”, maintient Daniel Bouix de l’association Bien vivre en Vallespir, malgré les dénégations du département.

C’est ce que l’on appelle une votation citoyenne. Le week end dernier, samedi 29 et dimanche 30 janvier, sur 25 000 inscrits (issus de 24 communes du Vallespir et du Haut-Vallespir), 4 900 personnes ont pris part au vote. Résultat : 2 736 habitants (56,27 %) ont voté “Oui” à la construction d’un pont de 330 mètres de long et 17,5 mètres de haut ; et 2 126 (43,73 %) ont glissé un bulletin “Non” dans l’urne. Le taux de participation peut paraître bas (19,12 %) mais pour ce “genre de votation, c’est un bon résultat”, indique-t-on au département des Pyrénées-Orientales qui organisait ce vote. Ces aménagements entre la RD 115 et la RD 618, dont ce pont sur le Tech, seront construits d’ici 2025.

Soulager l’accès au Vallespir et au Haut-Vallespir

Photo : compte Twitter Hermeline Malherbe.

Davantage de fluidité et de sécurité en détournant une partie du trafic surchargeant l’entrée de Céret pour soulager l’accès au Vallespir et au Haut-Vallespir où il n’est pas rare d’enregistrer plus de 20 000 véhicules quotidiens : c’est le but de ce pont, qui doit voir le jour en 2025, accompagné de trois giratoires, des voies cyclables, d’aires de covoiturage et d’un pôle d’échanges multimodal pour se connecter à la voie ferrée – que le département aimerait voir arriver jusqu’à Céret- pour participer à la création du fameux “RER” catalan, appelé de ses voeux par la présidente du département, comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI.

“Un bon début, malgré les apparences”

Présidente PS du département, Hermeline Malherbe dit : “Nous sommes contents de la participation à cette votation. Cela peut surprendre mais sur ce type d’exemple qui n’avait pas eu lieu dans les P.-O., on est d’habitude entre 10 %, 12 % voire 15 %. C’est un bon début, contrairement aux apparences. On n’est pas en Suisse où cela existe depuis 300 ans…!” Il faut que l’information arrive “jusqu’aux personnes”, ajoute-t-elle.

“Plus on se sent concernés sur ce genre de sujet, plus on vote et plus on vote “oui”

Dans les communes de Céret, Saint-Jean-Pla-de-Cors, Reynès, on est quand même autour de 30 % de participation. Soit dix points de plus. “Là où le oui est majoritaire, il est entre 27 % et 30 %. La petite commune de l’Albères affiche même un taux de participation de 48 % mais à relativiser avec ses 80 inscrits seulement. Au contraire, au Boulou, il n’y a que 8 % de participation. “Plus on se sent concernés sur ce genre de sujet, plus on vote et plus on vote “oui”.

“Si le “non” l’avait emporté, on ne pouvait pas garder le projet en l’état”

À propos du nombre important de “non”, Hermeline Malherbe explique qu’il y a eu de “vrais débats, des réunions, on a laissé largement la place à toutes les expressions ; il y avait des associations qui portaient le “non”, d’autres le “oui”. Au final, cela a été une belle démocratie de proximité. Et puis ceux qui sont contre se mobilisent davantage que ceux qui sont favorables ou indifférents au projet. Il y a même des maires qui disaient : “De toute façon, ça se fera ; pas besoin d’aller voter “oui”… C’était une prise de risque : si le “non” l’avait emporté, on ne pouvait pas garder le projet en l’état.” 

Golf, maisons, pôle touristique : “du mensonge organisé”

Golf, maisons, pôle touristique… Ce pont est-il la première pierre vers d’autres équipements à venir ? “Ce sont de fausses informations des opposants. Le département ne construit pas de golf et n’est pas favorable à un golf sur ce territoire, y compris par rapport à la politique de l’eau. Il y avait un vieux projet qui a été abandonné. Ce pont et ces aménagements pour une nouvelle porte d’entrée à Céret, faut-il le rappeler, émane de la demande de la population elle-même il y a plus de dix ans. Il n’est question ni de golf ni d’urbanisation. Plus généralement, ce n’est pas le département qui construit les logements, ce sont les communes. Quand nous intervenons, c’est avec notre bailleur social, l’Office 66, on est sur des préconisations R +2 en fonction des besoins que sur de l’étalement urbain en pavillons. Et dans les discussions que j’ai avec le maire de Céret, il n’y a pas de volonté d’urbaniser. C’est du mensonge organisé.”

Il y a 18 mois-2 ans, il y avait une demande “d’écologie”. Je trouvais que c’était bien de la prendre en compte dans le cadre du dialogue citoyen

Hermeline Malherbe, présidente des Pyrénées-Orientales

Comment est née cette idée de pont ? “Cela vient de la population elle-même. C’est la jointure entre deux départementale qui permet une nouvelle entrée sur Céret. À côté, il y a un périmètre de protection des zones agricoles et naturelles, porté par le département dont les études sont largement financées par nous. Nous sommes l’un des départements ayant le plus de PAEN de France. Les leçons de pseudo-écolos, nous les entendons. À un moment, quand on a besoin d’aménagements, on les fait, y compris en terme de sécurité – c’est le premier objet –  et même d’environnement – toute voiture qui fait du surplace dans les bouchons émet davantage de CO2. Il y a 18 mois-2 ans, il y avait une demande “d’écologie”. Je trouvais que c’était bien de la prendre en compte dans le cadre du dialogue citoyen.”

Réserve de Banyuls, nom du département

Cette votation va-t-elle en engendrer d’autres ? “Ce n’est pas celle-là qui nous donne envie d’en organiser d’autres. Ce processus, nous l’avions réfléchi avec les autres élus de la majorité au moment de notre projet électoral. Faire participer le plus et le mieux possible les citoyens, c’est ce que nous voulons faire. Nous avons aussi lancé la concertation sur l’agrandissement de la réserve de Banyuls avant même l’obligation officielle. Et puis nous envisageons au dernier trimestre 2022 une consultation sur le nom du département.”

“Il y a tout un travail, y compris de pédagogie à faire”

Est-ce une façon de faire retrouver le goût de la politique aux citoyens ? “Quand on fait le constat – et on sait le taux de participation avec lequel nous avons été élus – que lorsque quelque chose ne joue pas directement sur sa vie au quotidien, les habitants ne se mobilisent pas forcément. Il faut renouer. Il y a tout un travail, y compris de pédagogie à faire. Mais, franchement, cette votation est encourageante.”

Votation-laboratoire

Une votation-laboratoire. “Ceux qui considèrent cela comme un échec à cause du faible taux de participation, oublient qu’il faut donner l’habitude de participer à ce genre de consultation. Il ne faut pas en faire trop. La Région Occitanie en fait ; le département du Gers aussi avec des budgets participatifs que nous avons prévus également. Il faut trouver le bon équilibre.”

“C’est une voie pour renouer avec la politique”

Hermeline Malherbe poursuit : C’est pour cela que nous avons créé un conseil des jeunes, une assemblée des collégiens, que l’on va sans doute relancer l’idée d’une assemblée de citoyens qui viendraient travailler avec les élus… On a aussi lancé des appels à projets pour les jeunes que l’on a concrétisés… C’est un tout. C’est un travail de longue haleine pour faire revenir aux urnes des citoyens… C’est une voie pour renouer avec la politique. Ce n’est pas simple. Il y a des situations politiciennes ; il y a encore des voyous, que ce soit dans le monde des affaires ou en politique ; il y en a un qui vient de partir aux Beaumettes” (le maire du Barcarès, Ndlr).

Plusieurs maires se sont dit favorables à l’arrivée de 2 000 à 3 000 habitants et à la construction de 400 à 500 maisons”

De son côté, Daniel Bouix, membre de l’association Bien Vivre en Vallespir et porte-parole d’une coordination d’une trentaine d’associations environnementales, Bivre, s’inscrit en faux : “Certes, le département n’a pas vocation à lotir mais ce pont, qui est un viaduc, préparent le terrain à des aménagements à venir, comme un pôle touristique d’excellence et un golf inscrits dans le Scot. Dans plusieurs réunions, plusieurs maires se sont dit favorables à l’arrivée de 2 000 à 3 000 habitants supplémentaires chez eux. Et à la construction de 400 à 500 maisons. Cette consultation, c’est grâce à nous qu’elle a eu lieu ; nous étions monté au créneau après que la population se fut tournée vers les associations. On pense que cette dépense pharamineuse ne sert pas à fluidifier les routes. Et que vont devenir les villages du Haut-Vallespir s’ils doivent travailler plus bas ? Ils préfèreraient que l’on entretienne les routes existantes…”

Les consultations citoyennes sont assez rares. Voire infinitésimales. Depuis 2003, la Constitution française permet aux conseils municipaux, départementaux ou régionaux d’avoir recours à des référendums. Finalement, les collectivités y ont peu recours. Sauf en 2020, a relevé l’IFOP, où dix-huit référendums locaux ont été organisés en quinze mois. L’abstention et l’impression laissée par les Gilets Jaunes ont sans doute joué. Mais cette possibilité reste peu utilisée. Tout comme le référendum d’initiative populaire, rendu possible par la réforme constitutionnelle de 2008.

Olivier SCHLAMA

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