Pyrénées : Le Desman, fragile symbole des menaces sur le vivant

Le Desman des Pyrénées, meacé dans son espace naturel... Photo © Gérard MONGE

On le croirait directement sorti de la série de films L’âge de Glace. Pourtant, le Desman existe bel et bien, classé « vulnérable » dans la liste rouge mondiale des espèces menacées de disparition. Ce petit mammifère nocturne semi-aquatique, emblématique des Pyrénées, incarne à merveille le message que le Museum de Toulouse veut faire passer avec son exposition : Extinctions, la fin d’un monde ?

C’est aujourd’hui sur un rythme effréné et sans précédent que les espèces s’éteignent et que la nature décline. Comme le souligne l’exposition du Museum : “Le rapport accablant de la Plateforme Intergouvernementale sur la Biodiversité et les Services Écosystémiques (IPBES), approuvé en 2019 par 130 États, sonne l’alarme devant la gravité de la situation : plus d’un million d’espèces végétales et animales sont menacées d’extinction. Face à cette urgence, il est plus que jamais nécessaire de réinventer un monde au bord de l’extinction, en composant un nouveau pacte avec le vivant.”

“C’est un peu le tigre ou le rhinocéros de chez nous”

Les gigantesques incendies qui touchent actuellement l’Australie et la mort de milliers de koalas, mettant l’espèce en danger, ont ému le monde entier. Ce désastre écologique et le destin tragique de ces petits animaux, déjà menacés en temps normal, a entraîné des réactions partout sur la planète. Pourtant, c’est à peu près dans la plus totale indifférence que se joue, tout près de chez nous, le destin d’un autre petit animal : le Desman des Pyrénées (Galemys pyrenaicus), surnommé “rat-trompette”.

C’est un récent article de la chronique “L’âge bête” dans Libération qui a lancé l’alerte. Mettant en avant les travaux menés par le programme européen Life + Nature en faveur du desman des Pyrénées. “C’est un peu le Tigre ou le Rhinocéros de chez nous et sa survie est entre nos mains…”, souligne Daniel Marc, directeur du Conservatoire d’espaces naturels de Midi-Pyrénées. (Voir aussi le site du Parc naturel régional des Pyrénées Ariégeoises)

Il ne vit que dans les plus beaux cours d’eau des Pyrénées

Le Desman des Pyrénées, une espèce à sauver… Photo © Richard DANIS

Et l’expert de poursuivre : “Longtemps connu des seuls pêcheurs chevronnés amateurs de truites, disparu du reste de notre mémoire collective à cause de sa discrétion et de sa raréfaction : 60% de son aire de distribution lui est devenue inhospitalière en quelques décennies (…) il ne vit plus que dans les plus beaux cours d’eau des Pyrénées. Le Desman des Pyrénées est moins connu ou photogénique que l’Ours ou le Grand Tétras mais il a de nombreux intérêts : indicateur de la qualité des cours d’eau par son besoin en eau pure et riche en insectes, témoin du rôle prépondérant de refuges que jouent les montagnes…”

Certains aménagements (barrages, conduites forcées, etc) et leur fonctionnement affectent non seulement les peuplements d’invertébrés et leurs larves -qui constituent l’alimentation de base du Desman- mais également directement les populations de Desman. La dégradation des aires de répartition du Desman (1) est majoritairement observée “dans la partie ouest des Pyrénées (Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées et Haute-Garonne) et dans les zones de plus basse altitude. L’Ariège, l’Aude et les Pyrénées-Orientales, semblent montrer une présence un peu plus homogène et stable avec tout de même la disparition de noyaux historiques notamment sur les têtes de bassin mais aussi à basse altitude”, précise Frédéric Blanc (CEN M.-P.)

S’il survit, ce sera dans les Pyrénées catalanes

Point positif, deux scientifiques belges (1) ont récemment démontré que “le Desman des Pyrénées possède un certain potentiel de fuite puis de recolonisation si son habitat est affecté et sa réponse à la modification de son environnement peut être rapide.”  Un rapport final sera rendu en juin 2020 à la Commission européenne. Mais comme le dit Daniel Marc : Si le Desman “doit survivre aux perturbations et changements globaux – climat, pollution chimique, exploitation des ressources, espèces exotiques envahissantes – ce sera probablement ici dans les Pyrénées catalanes.”

Le destin révélé de ce petit mammifére endémique des Pyrénées trouve une résonnance particulière avec l’exposition du Museum de Toulouse. Conçue pour éveiller les consciences, “Extinctions, la fin d’un monde ?” a été produite par le prestigieux Natural history Museum de Londres. Elle rassemble plus de 60 objets issus des collections du museum londonien, enrichis par près de 30 spécimens du Museum de Toulouse. À partir de ces spécimens, de vidéos documentaires, de témognages de scientifiques sur le terrain et de dispositifs multi-médias, elle propose un parcours rythmé et interactif qui donne à réfléchir sur l’évolution et la disparition des espèces. Mais aussi sur leur conservation et leurn préservation.

Comprendre les extinctions de masse

Une exposition qui interroge… Photo © Christian NITARD

Des dinosaures au dodo, en passant par le grand pingouin, 99% des espèces qui ont vécu sur terre sont désormais éteintes. Ce chiffre impressionnant n’a pourtant rien d’étonnant, l’extinction étant un phénomène inhérent à la vie sur terre. Grâce aux espèces animales et végétales qui ont survécu aux cinq grandes extinctions de masse, comme les tortues Luth, les crabes fer à cheval ou les arbres ginkgo, et grâce aux traces de celles qui se sont éteintes comme les dinosaures, les chercheurs parviennent aujourd’hui à expliquer en partie les processus en jeu.

Au fil de l’exposition, les connaissances actuelles sur les cinq extinctions de masse qui ont marqué l’histoire de la vie sur terre sont révélées au public ainsi que les menaces qui pèsent aujourd’hui sur la biodiversité, à partir d’espèces disparues et emblématiques, comme le dodo ou le grand pingouin. Ces périls sont mis en perspective avec les risques naturels qui ont causé des dommages mesurables grâce aux études de fossiles. Parallèlement, un montage de photographies d’actualité évoque les menaces humaines comme la surpêche ou le braconnage, mais aussi les expériences réussies de rétablissements d’espèces par les hommes comme l’oryx d’Arabie, le cerf du Père David ou le faucon pèlerin.

Prendre conscience de notre impact sur l’avenir du vivant

Découvrir, comprendre, réfléchir… Photo © Christian NITARD

Par ailleurs, le Muséum de Toulouse a souhaité apporter une dimension de proximité à cette exposition, en s’intéressant aux espèces locales emblématiques et surprenantes et à leurs milieux, qu’ils soient urbain, agricole, forestier, montagnard ou aquatique : “Une manière de toucher du doigt la perte de la biodiversité locale, mais aussi de valoriser les exemples positifs de préservation… et d’inciter à agir, à tous les niveaux !” Le Muséum présente aussi des espèces rares et spectaculaires, notamment des oiseaux pratiquement disparus d’Occitanie comme la grande outarde.

A découvrir jusqu’au 28 juin 2020, une exposition passionante, ludique ET salutaire, pour “prendre conscience de l’impact des actions quotidiennes de chacun et chacune d’entre nous sur l’avenir du vivant tel que nous le connaissons aujourd’hui”, souligne Francis Duranthon (lire aussi l’entretien ci-dessous).

Philippe MOURET

Le Museum de Toulouse (35, allées Jules-Guesde) est ouvert du mardi au dimanche (10h-18h). Tarifs : 9€/7€ (réduits 7€/5€). Informations Allo Museum : 05 67 73 84 84. Site du Museum : https://www.museum.toulouse.fr/accueil
(*) En mai 2019, après trois ans de travail et grâce à la participation de 455 experts de 50 ays, l’IPBES a publié un rapport sans précédent sur l’état de notre planète. Cette étude a mis à jour une perte très préoccupante de biodiversité, partout dans le monde, et à un rythme jamais atteint. Le rôle prépondérant des activités humaines dans ces extinctions est flagrant. Les scientifiques sonnent l’alarme. Certains d’entre eux parlent d’une possible sixième extinction de masse sur la Terre. Un million d’espèces, sur les 7 à 10 millions estimées sur la planète, sont aujourd’hui menacées
d’extinction.
(1) Johan Michaux, directeur de recherches au Fonds national de la recherche scientifique belge et directeur du laboratoire de génétique de la conservation de l’université de Liège et François Gillet, docteur en sciences de l’université de Liege.

L’entretien : Francis Duranthon

Francis Duranthon est le directeur du Museum de Toulouse, paléontologue et expert auprès du Conseil national de protection de la nature et de l’Union internationale de la conservation de la nature pour le ministère de l’Enviroennement.

Qu’est-ce qui caractérise l’extinction de masse ?

© Christian NITARD

Les espèces apparaissent, se développent et disparaissent. C’est un processus normal de l’histoire du vivant. L’extinction est donc une conséquence inéluctable de l’évolution. Mais à certains moments, il se produit une crise de biodiversité durant laquelle un nombre important d’espèces, végétales et animales, disparaît, sur un temps relativement court à l’échelle des temps géologiques. C’est ce que l’on appelle une extinction de masse. La terre a connu cinq grandes extinctions, qui résultent de processus naturels : volcanisme, variation des niveaux marins, changements climatiques naturels, chute de météorites… Les deux extinctions majeures se sont produites à la fin du Permien (il y a 250 millions d’années) où 97 % des espèces ont disparu et à la fin du Crétacé (il y a 66 millions d’années) qui a vu la disparition de 78 % des espèces, dont les dinosaures.

Que se passe-t-il après une extinction ?

Le vivant a une capacité de résilience très forte! Après une crise, les espèces survivantes vont se développer, évoluer et occuper les places laissées vides par les espèces disparues. Mais il faut plusieurs millions d’années pour que la diversité des espèces retrouve son niveau précédent.

Sommes nous entrés dans une sixième extrinction de masse ?

Ce que l’on constate actuellement, c’est une corrélation entre la vitesse de disparition de nombreuses espèces et l’action de l’homme sur la planète. Contrairement aux cinq précédentes crises du vivant, celle-ci ne résulte donc pas de processus naturels mais elle est le fait d’une seule espèce, l’Homo sapiens. Ce qui
distingue aussi la situation actuelle, c’est l’ampleur et la vitesse de la perte de biodiversité à laquelle nous sommes confrontés : depuis 20 ans, on considère que
400 espèces ont disparu. Aujourd’hui, toutes les espèces sont menacées, et ce à un rythme sans précedent.

Est-ce la fin de l’espèce humaine ?

Photo © Christian NITARD

L’humanité actuelle disparaîtra, c’est une certitude, comme toutes les espèces. Mais nous ne savons pas quand. La paléontologie n’est pas une science prédictive ! C’est la raison pour laquelle nous avons donné ce sous-titre à notre exposition : la fin d’un monde ? Le monde tel que nous le connaissons n’existera plus, mais la vie ne va pas s’éteindre pour autant. D’ailleurs, de nouvelles espèces apparaissent. Je pense notamment aux poissons cichlidés des lacs africains, dont les quelque 500 espèces sont apparues au cours des 10 000 à 15 000 dernières années, un temps bref à l’échelle géologique. On peut citer encore une forme endémique de moustique dans le métro londonien qui pourrait être apparue depuis sa construction en 1863.

Est-il déjà trop tard pour agir ?

Il n’est jamais trop tard ! Nous devons à tout prix limiter l’impact des activités humaines sur la planète, même si ce n’est pas simple. Nous sommes dans une situation de démographie galopante, qui nécessite toujours davantage d’espaces et qui provoque l’étalement urbain, la surexploitation des ressources, la surconsommation, la pollution, l’apparition d’espèces invasives, la propagation de maladies… Nos paradigmes économiques et de croissance systématique nous entraînent dans une course folle qu’il est difficile de freiner.

Alors, que peut-on faire ?

Nous devons donner aux espèces menacées les moyens de vivre et de s’épanouir dans leur milieu naturel. Quand on assèche une zone humide pour l’agriculture, ce sont des pans entiers de biodiversité qui disparaissent : libellules, poissons, oiseaux, insectes, amphibiens… Il faudrait laisser le temps aux milieux de se renouveler naturellement car le temps d’équilibre de la nature est un temps long, qui n’est pas à l’échelle d’une vie humaine. Cela justifie les politiques de conservation, de zones protégées, de grands parcs naturels, qui permettent aux espèces de se développer.

De quels autres moyens disposons nous ?

Le credo de l’Agenda 21 a longtemps été “Penser global, agir local”. À mon sens, il faut inverser le paradigme : c’est en pensant les choses localement que nous
pourrons avoir un impact global. Les grands plans sont indispensables, mais ils sont lourds à mettre en œuvre. Localement, nous pouvons agir très vite, en polluant moins, en recyclant, en créant des corridors de biodiversité, en acceptant aussi de ne pas systématiquement vouloir dompter la nature… Il faut agir ici et maintenant. L’homme doit prendre conscience que la nature n’est pas inépuisable. Cela passe beaucoup par l’éducation. Et c’est le rôle du Muséum que de favoriser cette prise de conscience.

Dis-Leur ! et la Nature :