Présidentielle : “Le clivage gauche-droite existe toujours !”

Pascal Marchand l'affirme : "Tout ce qui échappe au consensus, on l'appelle ensuite "extrême". C'est a cela que l'on assiste. Ce qui fait dire à certains que les extrêmes se rejoignent parce que l'on appelle "extrême" tout ce qui fait briser le consensus du parti majoritaire qui s'articule autour d'idées libérales. Or, les extrêmes ne se rejoignent pas par leurs contenus mais parce qu'ils refusent ce consensus libéral que l'on nous présente comme la seule solution." Photo : Olivier SCHLAMA

À Toulouse, Pascal Marchand, chercheur en sciences sociales, a comparé les programmes des douze candidats à l’élection. Est-ce la fin de la gauche et de la droite ? Macron est-il de droite ; les extrêmes se rejoignent-ils… ? Les surprises sont nombreuses…

Les paroles s’envolent, les écrits restent. C’est encore plus vrai pour la présidentielle. Avant de glisser votre bulletin dans l’urne dimanche, lisez les programmes, ce sont les seuls qui fassent foi ! “Dans cette dernière phase de campagne électorale, on entend beaucoup de questions.” Comme : Macron est-il de droite ? Réponse : “Oui”, sans hésitation, malgré les quelques maigres gages donnés lors de son seul meeting du premier tour, dimanche. Le Pen est-elle devenue centriste ? “Non”. Mélenchon est-il d’extrême gauche ? Plutôt, “oui”. Est-ce que les extrêmes se rejoignent ? Eh bien “non”. Ce sont les conclusions de l’étude des textes des douze candidats qui a donné ces résultats, ICI, sur la page Iramuteq avec les liens vers les programmes des candidats à la présidentielle.

“Les deux versions du monde existent toujours”

Pascal Marchand, enseignant-chercheur à l’université de Toulouse Le Mirail. DR.

Attention, Pascal Marchand, professeur en sciences de l’information et de la communication au laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (Lerass) de l’université Toulouse Le Mirail, ne s’intéresse ici ni aux paroles ni aux attitudes des candidats mais seulement à leurs écrits sur papier ou internet. De cette analyse, on peut en conclure, selon lui, que “le clivage droite-gauche, deux versions du monde, existe toujours.”

“Tradition révolutionnaire” à l’extrême gauche et “gauche sociale et libérale” avec Hildago et Jadot

Le chercheur poursuit sa démonstration : “À l’extrême gauche, on maintient toujours une tradition révolutionnaire qui ne cherche pas à se rendre acceptable, à être dans l’air du temps mais qui cherche à valider l’idée qu’il y a toujours une exploitation des travailleurs par la bourgeoisie capitaliste. Une partie de ce bloc, de Mélenchon (LFI) à Roussel (PCF), se détache de cette extrême gauche en ce sens qu’elle reste pour un changement profond de la société, institutionnel, social et écologique mais aussi très attachée aux thématiques d’actualité. Sur l’écologie et l’emploi, notamment. Il y a ensuite une gauche davantage sociale et libérale, la gauche d’Hidalgo (PS) et Jadot (EELV) et aussi avec ce qu’a représenté la Primaire populaire.”

Toute la droite qui fait bloc

Election présidentielle, panneaux d’affichage. Ph. O.SC.

Après, on a toute la droite qui “fait bloc”, où il y a des “porosités, des frontières qui ne sont pas très claires, souligne Pascal Marchand. Leurs programmes sont clairement de droite, eux. On va y retrouver celui de Macron, Dupont-Aignan, Lassalle, Le Pen , Zemmour, Pécresse. C’est un bloc avec un lexique commun. Très sécuritaire. Très identitaire.” Macron avec Zemmour ?“Ils ne sont pas très loin. Attention, cela ne veut pas dire qu’ils se superposent. Mais que leurs vocabulaires ne sont pas très éloignés. C’est l’analyse textométrique qui le dit.”

“Macron soutenu par un entourage socio-écologique”

“Cela dit le programme de Macron se superposerait davantage sur celui de Lassalle. Et Zemmour sur celui de le Pen. Le programme de Macron, oui, est proche de ce bloc de droite. Ce qui est étonnant c’est que le lexique du président-candidat est de droite affirmée. En revanche Les Jeunes avec Macron (qui avaient publié une sorte de pré-programme, Ndlr) se situent davantage dans le champ social-libéral-écologique, tirant un peu vers Jadot. Cela veut dire qu’il est soutenu aussi par un entourage qui écrit des projets socio-écologistes. C’est le très macronien “en même temps” !

“Marine Le Pen ? Classiquement d’extrême droite”

Marine Le Pen, nouveau duel avec Macron… Photo Ph.-M.

Quant au programme de Marine le Pen (RN) ? “Il est clairement et classiquement d’extrême droite et superposable à celui d’Eric Zemmour (R), affirme Pascal Marchand. Il n’y a pas eu d’évolution depuis 2017. En revanche, elle peut afficher d’autres choses dans ses meetings, en changeant d’attitude. Par exemple, cette fameuse idée que Le Pen serait devenue la candidate du pouvoir d’achat, qu’elle est arrivée à construire et à diffuser auprès des médias n’est pas présente dans son programme. Ses mots préférés : ce sont compatriotes, fraude, islamistes, délinquants, civilisation, autorité…

“Zemmour pas si différent…”

Autre exemple, la différence entre le recours systématique dans les paroles d’Eric Zemmour au soi-disant grand remplacement (qui n’existe pas comme Dis-Leur vous l’a expliqué ICI) et son programme qui n’y est pas forcément. “À l’oral, il durcit cette ligne identitaire et il a une autre façon de se présenter et de focaliser sur tel ou tel point”, convient Pascal Marchand. “Mais dans son lexique, il n’est pas si différent de Le Pen que cela.”

Pourquoi il n’y a pas de jonction des extrêmes

Alors, les extrêmes se rejoignent-ils ? Eh bien Pascal Marchand répond par la négative. “On a des lexiques et des vocabulaires extrêmement différents entre les deux. Ne serait-ce que parce que tous les candidats de gauche font référence à l’écologie, pas ceux de droite qui n’y font pas référence. Le thème de l’immigration, les questions sécuritaires et identitaires se retrouvent dans tous les candidats de droite. Mais pas chez ceux de gauche. Cela va même jusqu’à prendre des formes très fines. Quelqu’un comme Poutou (NPA) va parler des migrants, sans parler d’immigration. Alors que chez le Le Pen ou Zemmour on va trouver les termes de “politique migratoire” et “immigration”. Il y a un jeu sur les mots qui se ressemblent parfois mais ils renvoient à une réalité radicalement opposée.”

Les extrêmes ne se rejoignent pas par leurs contenus mais parce qu’ils refusent ce consensus libéral que l’on nous présente comme la seule solution…”

Le scrutin des municipales, à Sète. Ph. O.SC.

Il y a une ambiance générale, qui nous vient des USA, et dont a profité largement Macron. Cela s’appelle la triangulation : repérer des aspects qui font consensus auprès de tout le monde ; qu’ils soient de droite ou de gauche, ce n’est pas grave pourvu qu’il y ait consensus. Et tout ce qui échappe au consensus, on l’appelle ensuite “extrême”. C’est a cela que l’on assiste. Ce qui fait dire à certains que les extrêmes se rejoignent parce que l’on appelle “extrême” tout ce qui fait briser le consensus du parti majoritaire qui s’articule autour d’idées libérales. Or, les extrêmes ne se rejoignent pas par leurs contenus mais parce qu’ils refusent ce consensus libéral que l’on nous présente comme la seule solution.”

L’apport du logiciel libre Iramuteq

“J’ai travaillé sur l’ensemble des programmes des candidats. Ou lorsqu’ils n’étaient pas encore déclarés (Macron ou Pécresse, à moment donné), je me suis appuyé sur les écrits de leurs partis. C’est comme cela que j’ai pris en compte les Jeunes avec Macron ou le site des Les Républicains. Ensuite, tous ces mots passent dans le logiciel libre Iramuteq que nous développons dans notre laboratoire qui permet de faire des tableaux statistiques.” Ceux-ci croisent les mots employés à l’écrit avec les candidats. On fait ensuite des calculs de distance entre les mots et entre les candidats. “C’est pareil que pour les calculs de distance, de kilomètres, entre les villes d’un pays. Si un candidat emploie le même mot qu’un autre candidat X fois, les deux candidats vont se retrouver proches dans notre tableau. Ou, à l’inverse, éloignés.”

Quelque 286 000 mots passés à la moulinette

Pour cette étude, Pascal Marchand a utilisé et analysé un corpus de 286 000 mots. Ce qui lui a permis d’établir une cartographie générale des distances lexicales entre les candidats. “Ce ne sont que des statistiques”, dit-il. Après il y a une analyse, une interprétation des graphiques ; c’est un travail de sciences humaines et sociales : pourquoi cela se passe comme ça ? Qu’est-ce que l’on peut en dire ? Etc.”

Faire de la politique aujourd’hui c’est se donner un objectif de conquête sans regarder la cohérence des doctrines et les visions du monde. Le but étant juste de gagner…”

Par exemple : “Que peut-on dire de la dynamique de l’équipe Macron, qui véhicule un discours qui n’est pas forcément celui du candidat pour ramener un maximum d’électeurs. Ce qui participe du brouillage idéologique. Et, à mon avis, cela contribue à la fin de la consistance doctrinaire : faire de la politique aujourd’hui c’est se donner un objectif de conquête sans regarder la cohérence des doctrines et les visions du monde. Le but étant juste de gagner. C’est ce qui se passe entre les Jeunes avec Macron et le président-candidat. Quels que soient les discours.”

“Brouillage idéologique”

L’idée de décrypter les programmes, s’ils étaient ou non le reflet de l’expression des candidats. Ou non. “J’avais un peu renoncé à travailler sur cette élection, dit en prélude Pascal Marchand. Il y avait un brouillage idéologique et que l’on en sortait plus grand chose. C’était moins évident d’aller chercher les spécificités de chaque programme.” Etait-on dans une période de redéfinition des champs politiques ? “On entend beaucoup que le clivage droite-gauche n’existe plus ; que les clivages ce serait entre extrêmes et modérés ou entre nationalistes et mondialistes, etc. Mais il fallait s’y attaquer, en fait.”

Pascal Marchand a produit des études retentissantes sur les Gilets jaunes dont Dis-Leur vous a rendu compte ICI. Avec d’autres chercheurs de ce laboratoire toulousain, ils avaient passé à la moulinette 117 351 articles de journaux. Pour Pascal Marchand, son directeur, “les Gilets jaunes ont désorienté la presse. On est passé d’une recherche de référence pour les journalistes à un mouvement qui a imposé la sienne”. Passionnant.

Olivier SCHLAMA

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